Un an après le retour d’Ebola en RDC, la menace gagne les villes
Un an après le retour d’Ebola en RDC, la menace gagne les villes
Par Joan Tilouine
Deux cas ont été diagnostiqués à Goma, la capitale du Nord-Kivu. Depuis le 1er août 2018, 1 800 personnes ont perdu la vie. Les attaques de groupes armés et la défiance d’une partie de la population freinent les activités de la structure chargée de la lutte contre l’épidémie.
Jusque-là, Goma, la capitale du Nord-Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ne se sentait pas vraiment concernée par le virus Ebola. Il semblait lointain, confiné aux zones septentrionales de la province et à l’Ituri, plus au Nord. Là, plus de 1 800 personnes infectées par la maladie ont perdu la vie depuis le déclenchement officiel de la dixième épidémie d’Ebola sur le territoire congolais, il y a juste un an, le 1er août 2018 ; la plus grave et la plus difficile à combattre, elle avait miraculeusement épargné Goma.
Depuis le 14 juillet et le diagnostic positif d’un premier malade, l’angoisse est montée d’un cran dans cette ville frontalière du Rwanda. Le malade est mort. Puis, un second cas a été diagnostiqué deux semaines plus tard, un homme de 46 ans venu de la zone aurifère de Mongbwalu, à 600 km au nord de Goma. D’abord pris en charge à Bunia, la capitale provinciale de l’Ituri, selon les autorités congolaises, il s’est évadé du centre de soin et a rejoint par la route les rives du lac Kivu, à Goma.
Une histoire banale qui illustre la mobilité des populations dans cette région densément peuplée, la défiance à l’égard de la maladie et du dispositif de soins, de même que le risque très élevé de contamination au cours d’un périple. Lui aussi est mort, mercredi 31 juillet.
Un an après le retour du virus dans le pays, la situation épidémiologique semble incontrôlable, malgré l’importante mobilisation de la communauté internationale. Les épicentres se sont déplacés du Nord-Kivu vers l’Ituri, puis se sont multipliés, comme par scissiparité, dessinant plusieurs fronts dans une « guerre » partie pour durer.
Urgence sanitaire mondiale
« Il est temps que le monde entier prenne note de la situation et redouble d’efforts », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette agence des Nations unies (ONU), qui coordonne la Riposte, la structure de coordination de la lutte contre Ebola, en appui des autorités congolaises, a fini par décréter, le 17 juillet, l’état d’urgence sanitaire mondiale.
« Cette épidémie est toujours à son paroxysme y compris là où elle a démarré en août 2018. Il n’y a jamais eu autant de patients dans le centre de traitement d’Ebola de la ville de Beni que ces dernières semaines », constate Augustin Augier, directeur général de l’ONG Alima.
A Beni, ville du Nord-Kivu traumatisée par des massacres de civils depuis 2014, la situation sécuritaire reste préoccupante, ce qui freine les activités de la Riposte, suspendues à plusieurs reprises à cause des quelque 200 attaques de groupes armés recensées par l’OMS. L’agence de santé elle-même a perdu un médecin épidémiologiste tué à bout portant en avril, à Butembo, cité commerçante à 60 km au Sud. « Le défi le plus important est de parvenir à éviter toute interruption de la Riposte par des attaques des groupes armés », insiste David Gressly, coordinateur de l’ONU pour la réponse d’urgence à Ebola.
A cela s’ajoute la défiance d’une partie des populations, qui perçoit la Riposte comme un instrument du pouvoir politique contesté de Kinshasa. Au déclenchement de l’épidémie, les équipes dépêchées par le ministère congolais de la santé et l’OMS ont fait l’erreur de privilégier les élus locaux, plutôt que les structures communautaires et la société civile, l’élite politique plutôt que les chefferies coutumières souvent plus influentes.
Une nouvelle stratégie
« La majorité de la population soutient la Riposte mais cette dernière a donné l’impression d’être politisée, explique Rachel Sweet, chercheure à l’université Harvard. Ce qui a été un obstacle majeur et a favorisé des instrumentalisations de la part de politiciens locaux, la propagation de rumeurs et d’incitations à la violence. »
La Riposte a fait une autre erreur : snober les centres de santé publics et privés, souvent dans des états déplorables mais tenus à bout de bras par du personnel issu des communautés. D’autant qu’une grande partie des contaminations s’y déroule car les malades préfèrent ces dispensaires locaux aux centres de traitement d’Ebola effrayants. « Il nous semble important de démontrer que la riposte Ebola permet de renforcer les centres de santé existants et non de les affaiblir en favorisant un système parallèle pour les malades d’Ebola », explique-t-on chez Médecins sans frontières (MSF) qui milite pour la gratuité des soins.
Face à un bilan mitigé du dispositif de lutte contre Ebola menée par le ministère de la santé, le nouveau président Félix Tshisekedi a adopté une nouvelle stratégie visant, entre autres, à gagner les cœurs de la population. Le chef de l’Etat a confié la direction de la Riposte à un comité d’experts mené par le professeur Jean-Jacques Muyembe Tamfum. Ce scientifique congolais de réputation mondiale qui a co-découvert le virus Ebola en 1976, a pris le risque de déclarer son ambition de venir à bout de cette épidémie en « trois à quatre mois ».
Désavoué, le ministre congolais de la santé, Oly Ilunga, a démissionné le 22 juillet et a dénoncé avoir subi des « pressions de toutes parts ». Dans un entretien accordé au Monde, M. Ilunga révèle notamment « des tentatives d’introduction illégale » du vaccin expérimental mis au point par un laboratoire belge, filiale du groupe américain Johnson & Johnson qui dément fermement ces accusations. « Ce vaccin que nous n’imposons pas, mais que nous proposons, est en cours d’utilisation en Guinée et au Libéria mais aussi à Mbarara, en Ouganda », a précisé M. Muyembe Tamfum. De son côté, le Groupe stratégique consultatif d’experts de l’OMS a préconisé son introduction.
Une gestion des fonds tortueuse
Pour l’instant, seul le vaccin, lui aussi expérimental, développé par le géant pharmaceutique américain Merck, est utilisé. Toutefois, plusieurs acteurs de terrain dénoncent des quantités insuffisantes et une gestion opaque des réserves de doses par l’OMS. « On constate un manque de transparence par rapport à la quantité de vaccins disponibles en RDC et déployables sur le terrain, en plus de ce qui reste en stock mondial », souligne Ghassan Abou-Chaar, responsable adjoint de la cellule d’urgence de MSF.
Il en va de même pour la gestion des fonds, dont une partie demeure tortueuse. Et ce, malgré des audits de la Banque mondiale, l’un des principaux soutiens financiers, pointant quelques anomalies. « Des fonds ont été bloqués par l’OMS et le ministère congolais de la santé. Certaines ONG agissant sur le terrain ont eu un mal fou à en bénéficier », confie un acteur de la Riposte. Toutefois, la Banque mondiale a récemment annoncé l’octroi de 300 millions de dollars (271 millions d’euros), sous forme de dons et de prêts. Ce qui correspond au montant réclamé par l’OMS et Kinshasa pour cette nouvelle phase de lutte contre Ebola. Soit, le triple du budget alloué jusque-là.
Une manière d’alerter derechef sur cette « urgence » mondiale qui indiffère une bonne partie du monde, inquiète toute l’Afrique des Grands Lacs et continue de tuer, aux confins d’une région traumatisée par des décennies de violence.