La Sénégalaise qui envoie de bonnes ondes aux paysans
La Sénégalaise qui envoie de bonnes ondes aux paysans
Par Maryline Baumard
Ces femmes d’affaires qui mettent l’Afrique en boîtes (4/5). Ndeye Amy Kebe a créé la plate-forme Jokalante pour informer le monde rural sur les technologies agricoles grâce à des spots téléphoniques et radiophoniques.
La Sénégalaise Ndeye Amy Kebe a créé la start-up Jokalante. / JASON FLORIO / JOKALANTE
Quand les techniques ancestrales sont oubliées et que la modernité n’arrive pas, les campagnes se retrouvent dans un no man’s land très préjudiciable. Ndeye Amy Kebe le sait. A l’en croire, le Sénégal émergeant – que le président Macky Sall appelle de ses vœux pour 2030 – se fera uniquement si les paysans, qui représentent 55 % de la population active et sont analphabètes à 66 %, entrent eux aussi dans le XXIe siècle. Comme elle le répète volontiers, « recevoir un peu d’info peut changer une vie ».
L’an dernier, de novembre à janvier, après la récolte et avant l’hivernage, Jokalante, la plate-forme Internet qu’elle a montée, a vanté au moyen de spots téléphoniques et radiophoniques les mérites des balles de mil. Disséminés sur les sols, les résidus de récolte augmentent leur fertilité. Pourtant, la plupart des paysans se débarrassent de cette matière organique, car ils ont oublié, au fil des décennies, que leurs pères les épandaient dans les champs avant les semailles… La radio locale le leur a rappelé dans leur langue avec des reportages. Des organisations paysannes partenaires ont mis sur pied des « jours de champs », retransmis sur les ondes, pour raconter ce qu’en pensent les agriculteurs qui pratiquent déjà ces méthodes.
« Education pour adultes »
Une satisfaction que cette campagne pour cette Dakaroise de 34 ans, qui veut « changer les mentalités, faire bouger l’état d’esprit du Sénégal ». C’est avec cette idée fixe qu’elle a monté sa plate-forme qui promeut les technologies agricoles auprès des petits paysans en utilisant les langues locales : sérère, wolof, diola, mandingue et peul. A travers un réseau d’une trentaine de radios communautaires, elle informe cette population oubliée de tous, sur ce qui peut les aider à avancer. Aujourd’hui, plus de 200 000 personnes ont été sensibilisées à un ou plusieurs messages grâce à leur téléphone et plus d’un million d’auditeurs grâce à la radio.
Jokalante est né de la jonction de deux besoins. Celui des campagnes reculées, en mal de développement. Et celui de Ndeye de transmettre et d’enseigner. « J’avais fait une formation en finance et comptabilité sans bien savoir ce que recouvrait ce champ, dit-elle dans un franc sourire. En fait, cela ne m’intéressait pas et plutôt que me désespérer, ou prendre la route vers l’Europe ou le Canada, je me suis inscrite à un master de sciences de l’éducation option ingénierie pédagogique et multimédia de l’université Lille-I, avec l’idée de lancer un programme d’éducation pour adultes. » La jeune femme continue à travailler en parallèle. C’est à ce moment-là, en 2015, que son idée prend corps et la pousse à établir un business plan. Les premiers à y croire sont les Etats-Unis qui l’incluent dans Usaid (l’agence de développement américaine) sur le programme appelé New ICT Challenge.
Au Sénégal, l’insécurité alimentaire menace encore chaque année des zones entières. Le modèle de Ndeye Amy Kebe, qui n’exclut pas les méthodes d’autrefois, veut aussi faire profiter les paysans du progrès. Ainsi, une large opération a été menée pour informer sur les variétés de semences améliorées que peuvent fournir certaines coopératives et dissuader de garder les mêmes graines pendant plusieurs années au risque d’entacher la récolte.
De même, certaines fermes, qui enchaînaient des cultures d’arachide sans prendre garde à l’épuisement des sols, ont été guidées pour faire tourner les plantations. « Il s’agit d’offrir une éducation à la culture à des paysans qui bien souvent n’ont pas été scolarisés. Si les messages sont en langue locale et viennent de professionnels de la terre, l’impact est fort », explique Ndeye Amy Kebe.
« Redonner de la fierté »
Jokalante permet également de diffuser une information d’urgence à des populations longtemps exclues de la prévention, car éloignées de tout. A ces groupes, elle estime nécessaire de « redonner de la fierté ».
En collaboration avec l’ONG Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF), l’entreprise sociale fournit aussi aux éleveurs transhumants et acteurs de l’élevage des informations utiles sur les risques liés au pastoralisme, des alertes sur les maladies animales, des informations climatiques et des mises à jour sur l’état des puits.
« Les services de l’Etat comme de nombreuses ONG mais aussi des coopératives ont des informations à faire passer aux paysans. Nous sommes là en intermédiaires pour aider à la diffusion et notre modèle est duplicable à d’autres secteurs », rappelle Ndeye Amy Kebe, qui vient de terminer une sensibilisation sur le bien-être animal et prépare un programme sur la malnutrition auprès de groupes de mères en Gambie. Sa nomination au WIA (Women in Africa) parmi les 54 femmes distinguées en 2019 lui permettra, espère-t-elle, de passer encore à la vitesse supérieure.
Sommaire de notre série Ces femmes d’affaires qui mettent l’Afrique en boîtes
Du Cameroun au Mali en passant par le Sénégal et la Sierra Leone, le Monde Afrique vous emmène à la rencontre de quelques-unes de ces femmes entrepreneuses qui n’azttendent pas de trouver un emploi salarié pour faire bouger leur communauté et leur continent.