Jason Rubin, d’Oculus : « Les joueurs sont de plus en plus satisfaits par la réalité virtuelle »
Jason Rubin, d’Oculus : « Les joueurs sont de plus en plus satisfaits par la réalité virtuelle »
Propos recueillis par Michaël Szadkowski
La marque pionnière du jeu en réalité virtuelle continue de sortir ses nouveautés, malgré la retombée de l’euphorie dans le secteur. Entretien avec le responsable du catalogue des jeux sur Oculus.
Jason Rubin, responsable du catalogue des jeux d’Oculus, en 2015. / Derrick Coetzee - FlickR (Licence Creative Commons)
Après une certaine effervescence au milieu des années 2010, la réalité virtuelle (VR) est, peu à peu, retombée dans un oubli relatif, en dehors des passionnés du genre. A l’E3 2019, le salon mondial du jeu vidéo qui se tient tous les ans à Los Angeles, aucun projet majeur de réalité virtuelle n’a été annoncé par les constructeurs et studios de jeux vidéo – même si les ventes de matériel sont reparties à la hausse en début d’année.
Seul Oculus, le pionnier du secteur, et son acteur le plus en vue depuis son rachat par Facebook, disposait d’un stand pour présenter ses nouveautés. La marque a lancé, en 2019, deux modèles de casques de réalité virtuelle : l’Oculus Rift S, une mise à jour de son casque-phare (qui requiert d’être branché à un ordinateur), et l’Oculus Quest, sorti en mai 2019, un casque nomade plus puissant et performant que le Go.
Mais si le matériel s’améliore, quel est désormais l’avenir des jeux et environnements conçus pour la réalité virtuelle ? Nous en avons discuté à l’E3 avec Jason Rubin, actuel responsable du catalogue des jeux d’Oculus, aussi connu pour avoir lancé la série Crash Bandicoot dans les années 1990 et fondé le studio Naughty Dog.
Le casque Oculus Quest et ses manettes, présenté à l’E3 2019 de Los Angeles. / Michaël Szadkowski pour Le Monde
Nous avons pu tester l’Oculus Quest. Les progrès par rapport aux premiers casques Oculus sont très nets. En revanche, en ce qui concerne les jeux proposés, on ne voit pas forcément d’évolutions notables. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne suis pas d’accord. Il y a plein de jeux qui ont été créés qui n’auraient pas pu tourner en 2014. Comme The Climb : un jeu d’escalade pour lequel il a fallu inventer une nouvelle gestion des mains, des sauts et des manières de se déplacer. Y parvenir a été une petite révolution. Lone Echo est une manière tout à fait nouvelle de jouer en « gravité zéro ». Et Beat Saber, avec son système inédit de danse avec les bras, a clairement plu à bon nombre de joueurs.
Beat Saber – E3 2018 Announce Trailer | PS VR
Durée : 01:07
Il y a beaucoup de titres qui innovent. Et on le voit dans les données de jeu que nous récoltons : il y a davantage de rétention, davantage de temps passé à jouer. Ce qui signifie que les joueurs sont de plus en plus satisfaits, en tout cas plus qu’il y a cinq ans.
Cela peut aussi s’expliquer par les changements dans la manière d’accéder à ces jeux. Vous pouvez maintenant jouer en réalité virtuelle avec des casques et des manettes spécifiques fonctionnant sans ordinateur et sans fil, pour 400 euros environ. En 2014, vous aviez besoin d’un PC très puissant, avec des contrôleurs reliés qui étaient des manettes de console ou des claviers.
Ces progrès techniques n’ont-ils pas été plus importants que les développements d’univers de jeux conséquents ? Prenez Vader Immortal, qui se déroule dans un univers Star Wars : l’aventure principale dure moins d’une heure. Le jeu est moins long que le premier Doom, qui est pourtant théoriquement jouable en VR…
Les gens qui ont réussi à bidouiller pour transposer Doom en réalité virtuelle n’ont pas pensé au confort de jeu dans cet environnement. C’est une adaptation sauvage, un hack, en quelque sorte, qui ne prend nullement en compte les avantages, ni les contraintes, de la réalité virtuelle.
Les premières années des jeux en réalité virtuelle – qui sont encore toutes fraîches – ont consisté à tâtonner et à tester des produits qui n’étaient pas conçus pour. Beaucoup ont pris des jeux conçus pour un écran 2D pour voir s’ils fonctionnaient avec un casque. Depuis quelque temps, ce genre d’erreurs n’existe plus. On sait maintenant que les simples portages de jeux en 2D ne sont pas bons. Les développeurs disposent de règles de plus en plus claires : s’ils sont motivés pour importer une licence, ou des personnages qui leur sont chers, ils peuvent le faire en suivant les règles propres à la réalité virtuelle.
Le vrai enjeu est-il de créer de nouvelles expériences de jeux ou d’importer des licences existantes ?
Les adaptations en réalité virtuelle sont dans tous les cas très compliquées. Certains jeux sont des cauchemars à adapter, ou même à concevoir. Les jeux de sports collectifs par exemple. Nous ne savons pas faire. Par exemple, Madden [la série de jeux vidéo de football américain] : c’est un jeu en équipe, où vous devez incarner des joueurs différents en fonction de qui a la balle. Si vous n’incarnez qu’un seul joueur, vous passerez beaucoup de temps à être seul à regarder le terrain autour de vous. Ce n’est pas l’expérience que vous recherchez. Personne ne sait actuellement créer des bons jeux de foot en réalité virtuelle.
Dans les FPS [first-person shooter, les jeux de tirs à la première personne] récents conçus pour un écran 2D, rien ne fonctionne en réalité virtuelle. Un écran qui tremble trop, une scène où quelqu’un vous attrape la tête pour la secouer dans tous les sens, ce n’est pas confortable. Voir des bras et des jambes qui ne correspondent pas à ce que vous seriez capable de faire avec les vôtres (beaucoup trop musclées, ou avec des mouvements impossibles en conditions réelles) : cela ne fonctionne pas.
Comment jette-t-on quelqu’un d’un hélicoptère en réalité virtuelle ? On n’aura peut-être jamais de réponse satisfaisante à cette question. Mais ce n’est pas grave. Je pense qu’on va plutôt se concentrer sur ce que les joueurs peuvent savoir faire, de manière réaliste. Par exemple, il est facile de s’asseoir dans un kayak. Et de pagayer. Vous ne feriez jamais un jeu de kayak pour un écran en 2D. Mais en réalité virtuelle, c’est génial, ça fonctionne super bien. Cela donne Phantom Covert Ops, un jeu d’infiltration militaire sur kayak.
Phantom: Covert Ops | Oculus Quest + Rift
Durée : 00:35
Le catalogue de jeux sur Oculus Quest reste encore très restreint par rapport à celui des Oculus Rift. Sera-t-il un jour similaire ?
Non. Les Oculus Rift fonctionnent avec des ordinateurs, nécessaires pour afficher des graphiques que les Quest ne peuvent pas gérer. Mais ils ne s’adressent pas aux mêmes publics. Les joueurs de réalité virtuelle sur PC sont souvent prêts à essayer des jeux encore expérimentaux.
Un Oculus Quest est comme une console : les jeux qui sont dessus n’ont pas forcément vocation à recouper les expériences de jeux sur PC. De toute façon, un Oculus Quest ne dispose pas d’une carte graphique et d’un processeur aussi puissants que ce que peut offrir un PC. Il est équipé de composants prévus pour appareils mobiles, et cela génère certaines contraintes.
Mais les développeurs arriveront peu à peu, j’en suis sûr, à contourner ces contraintes. Et, dans le même temps, les composants informatiques pour appareils mobiles seront améliorés. La compétition est féroce dans le domaine des processeurs pour smartphones. Nous en tirerons parti.
Dans un casque Oculus, il n’y a pas que des jeux. Il y a par exemple une application Netflix ou YouTube, qui permet de regarder des films en streaming. Est-ce qu’on peut imaginer que des jeux vidéo fonctionnent sur le même mode ?
Cela fait des années que j’attends que de telles technologies fonctionnent. Ce sera peut-être l’un des arguments majeurs pour convertir des joueurs. Avec un système de jeu en streaming, on peut imaginer appuyer sur « pause » pendant une partie sur l’écran en 2D du salon, afin de permettre à son mari, ou à sa femme, de regarder la télévision : on enfile son casque, et on peut reprendre sa partie très vite. On aurait alors un casque qui permettrait de combiner deux usages : de la réalité virtuelle pure, mais aussi des jeux en 2D.
Votre casque pourrait même devenir le meilleur écran pour jouer à des jeux en 2D, enrichis avec de la vraie 3D. Je m’explique : on pourrait voir des éléments utiles au jeu, dans son casque, qui existent en dehors des limites de l’écran en 2D simulé. On pourrait imaginer que des éléments annexes au jeu (les statistiques, les fenêtres de dialogues…) soient sur le côté, en dehors du cadre. Des projectiles pourraient aussi s’en échapper. Si quelqu’un me jette une hache, elle pourrait traverser l’écran, et passer à mes côtés.
Dans ce contexte, est-ce qu’Oculus travaille sur un système de jeux en streaming, tournant sur des serveurs à distance, comme Google l’a annoncé avec son projet Stadia ?
Le streaming a aussi un très fort potentiel pour nous. Au bout d’un moment, on peut imaginer qu’on arrivera à diffuser en streaming des jeux de VR directement dans un casque. Dans la pratique, personne n’a encore réussi à faire fonctionner un tel système.
Mais, si ça fonctionne un jour, on se serait affranchis de nombreuses contraintes. Un casque avec un processeur mobile limité pourrait être connecté à un serveur envoyant toutes les images nécessaires. La création et le déploiement de scènes et graphismes complexes se fera à distance. C’est ça l’avenir, c’est ce à quoi nous pensons, réfléchissons, vers là où nous tendons les mains. Ce sera comme dans le film Ready Player One : plus besoin d’un gros casque, seules des petites lunettes connectées suffiront pour entrer dans la réalité virtuelle.