Lutte contre l’homophobie dans les stades : « La difficulté, c’est de dépasser aussi bien l’indignation que le déni »
Lutte contre l’homophobie dans les stades : « La difficulté, c’est de dépasser aussi bien l’indignation que le déni »
Par Jérôme Latta
L’arrêt du match de L2 entre Nancy et Le Mans, vendredi 16 août, en raison de chants insultants dans les tribunes marque une étape importante, à laquelle la lutte contre l’homophobie ne doit pas s’arrêter, écrit notre chroniqueur Jérôme Latta.
L’arbitre Mehdi Mokhtari, en septembre 2016. / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP
C’est une première en France : le match de Ligue 2 Nancy-Le Mans a été interrompu à la 27e minute par son arbitre, Mehdi Mokhtari, vendredi 16 août. Le speaker du stade a alors demandé aux supporteurs lorrains de cesser leur chant homophobe (à destination des rivaux messins, qualifiés de « pédés ») et le jeu a repris – non sans que lesdits supporteurs n’entonnent « La Ligue, on t’enc… ».
C’est dire que le chantier est vaste et complexe. Mehdi Mokhtari a en tout cas appliqué l’étape 1 du nouveau protocole contre les expressions racistes ou homophobes, défini par la Direction technique de l’arbitrage, qui peut aller (étape 3) jusqu’à l’arrêt définitif de la rencontre. Après des années de passivité, ce volontarisme peut être salué, comme n’ont pas manqué de le faire Roxana Maracineanu, ministre des sports, et Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
J’adresse mes félicitations à l’arbitre Mehdi Mokhtari ainsi qu’au délégué de la @LFPfr Alain Marseille qui ont pri… https://t.co/4zUr5wDBdj
— RoxaMaracineanu (@Roxana Maracineanu)
Le « folklore » n’est pas une excuse
Les deux membres du gouvernement avaient déjà été à l’origine d’un premier épisode de médiatisation de la question, en mars, quand la première s’était émue de tels chants lors de PSG-OM. A l’époque, la ministre s’était vu reprocher sa « découverte » d’usages malheureusement habituels – comme l’est d’ailleurs le chant des Nancéiens. Pour sa part, Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel (LFP), s’était exposée aux critiques en évoquant un « folklore » : « Je ne suis pas en train de dire que ça doit le rester, mais c’est une réalité. »
Force est de lui donner raison – à condition de ne pas faire de ce constat une excuse ou un argument en faveur du laxisme. Le folklore a aussi été invoqué par le président d’un groupe de supporteurs de Nancy, cité par L’Equipe : « Nous, on n’a rien contre les homosexuels. Quand on insulte Metz, c’est plus pour le folklore, la tradition. »
L’existence d’une tradition ne justifie pas sa perpétuation, mais y mettre un terme n’est pas une affaire de décret ni de communication. Et si frapper les esprits peut avoir un impact positif, à terme, il vaudra mieux les convaincre. Déjà pour ne pas donner l’impression de désigner des « boucs émissaires », comme l’a suggéré Jean-Michel Roussier, le président de Nancy.
Percer les bonnes consciences
La difficulté est là, dans la lutte contre l’homophobie : dépasser aussi bien l’indignation moralisatrice que le déni du problème. La Ligue a défini un « plan d’action », annoncé en mai comme « un système complet ». Mais, pour parvenir à percer les bonnes consciences de ceux qui ne voient pas le mal, elle doit s’assurer que les sanctions ne précèdent pas la pédagogie.
Il est délicat de se lancer dans l’exégèse des chants et des slogans insultants, mais à la différence de l’injure raciste, intentionnelle et directe en ce qu’elle vise des joueurs racisés, l’injure à caractère homophobe ne cible pas directement les ou des homosexuels. Elle s’inscrit plutôt dans la déplorable culture de la disqualification de l’adversaire par sa féminisation ou par la stigmatisation de son homosexualité supposée.
Des procédés si bien intériorisés que, le plus souvent, ils ne sont pas perçus comme sexistes ou homophobes : les supporteurs incriminés se défendent de l’être et, faute de se mettre à la place des victimes de l’offense, ils ne la perçoivent pas. D’où la nécessité de l’explication et du dialogue, notamment entre associations LGBT et de supporteurs – surtout dans un contexte où ceux-ci sont eux-mêmes stigmatisés et privés de droits élémentaires.
Progrès et réticences
Il faut donc expliquer que si ces images sont rarement le symptôme d’une haine personnelle des homosexuels, elles entretiennent collectivement l’homophobie ordinaire. Laquelle, apparemment bénigne, banalise, voire favorise d’autres niveaux de violences symboliques ou matérielles.
Cela revient à expliquer que les temps ont changé, pas forcément en mal. Et que les efforts demandés sont tout à fait soutenables. La langue française a suffisamment de ressources pour renouveler le stock de métaphores insultantes – cela peut même être fait de façon créative, au pays de Cyrano ou d’Audiard.
Les progrès de la sensibilisation à l’homophobie dans le football, mais aussi les réticences du milieu à embrasser cette lutte avaient été illustrés par le suivi partiel de l’opération de mai, lorsqu’il avait été demandé aux capitaines de porter des brassards arc-en-ciel.
Antoine Griezmann a récemment encouragé les joueurs homosexuels à faire leur coming out, et à en être fier, mais le nombre de footballeurs professionnels européens en activité s’étant déclarés homosexuels est resté à zéro. Zéro pour cent d’homosexuels, soit autant qu’en Iran, officiellement.