Editorial du « Monde ». Dans le paysage dévasté de la gauche, une seule formation politique a aujourd’hui quelques raisons d’y croire : Europe Ecologie-Les Verts (EELV) se sent pousser des ailes.

Ce micro-parti a pourtant bien failli disparaître au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, victime de ses divisions internes et de son incapacité à assumer l’exercice du pouvoir sous le précédent quinquennat. Le 26 mai, cependant, Yannick Jadot lui a redonné espoir en obtenant 13,47 % des suffrages exprimés pour la liste qu’il menait aux élections européennes. Ce score a placé EELV loin devant La France insoumise et le Parti socialiste, allié à Nouvelle Donne.

Depuis, l’ancien animateur de Greenpeace proclame que « le temps des écologistes est venu ». Il se positionne comme la troisième force capable de bousculer le duopole Macron-Le Pen. Il affiche sa volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir au plus vite. Son ambition est de tirer un trait définitif sur l’alliance PS-Verts-PCF qui avait permis pendant des années au PS d’asseoir son hégémonie sur la gauche. Yannick Jadot veut construire une nouvelle force politique dominée par les écologistes et compte pour cela sur les institutions de la Ve République, qui permettent de faire émerger de nouvelles figures dans un rapport direct avec le peuple.

« Le complexe du bonsaï »

La conjoncture s’y prête. Elle est exceptionnellement favorable aux écologistes. Le réchauffement climatique a cessé d’être la préoccupation d’un petit cercle d’initiés pour devenir celle de la population tout entière, sous l’effet de la multiplication des épisodes caniculaires. En France, l’écologie est à présent la première cause de mobilisation chez les jeunes. Partout en Europe, elle progresse, autorisant des actions concrètes, notamment au Parlement européen, qui s’est considérablement verdi lors du dernier scrutin.

Tout semble donc sourire à EELV, et pourtant rien n’est joué. Pour gagner son pari, Yannick Jadot va devoir réussir le plus dur : tordre le bras à ses soutiens, mener à bien la révolution interne que Daniel Cohn-Bendit n’était pas parvenu à accomplir il y a dix ans, lorsqu’il avait lui aussi effectué une percée aux élections européennes. Il va devoir transformer les Verts en un parti de gouvernement, leur faire aimer le pouvoir, les inciter à l’exercer à tous les niveaux, local et national.

Vaste tâche. Les Verts, disait Cécile Duflot, leur ancienne secrétaire nationale, ont « le complexe du bonsaï » : ils sont petits et résistants, mais n’ont pas envie de grandir. C’est l’héritage du gauchisme qui les imprègne depuis toujours. L’héritage, aussi, du confort que leur ont longtemps garanti les accords électoraux avec le PS. Pour une partie des militants, imaginer aujourd’hui supplanter le PS a quelque chose de vertigineux. D’autant que Yannick Jadot les bouscule : prenant exemple sur les Verts allemands en pleine ascension, il pousse les écologistes français à conclure des alliances locales non seulement avec des élus de gauche mais aussi de droite, pourvu que ces derniers adhèrent à la cause écologiste.

Les puristes tordent le nez. Ils craignent de perdre leur âme autour d’un projet qui reste à ce stade délibérément flou : Yannick Jadot se positionne en héraut « de l’antilibéralisme, de la justice sociale, de la solidarité, de l’égalité des droits, de la défense des libertés » mais, au pied du mur, se garde de préciser la nature des compromis qu’il acceptera de nouer pour exercer le pouvoir. S’il veut vraiment révolutionner le logiciel vert, il va lui falloir se dévoiler davantage.