Roubaix, Ispahan, Cabourg, New York, une semaine nomade au cinéma
Roubaix, Ispahan, Cabourg, New York, une semaine nomade au cinéma
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LA LISTE DE LA MATINALE
Il flotte comme un parfum de rentrée à l’étal des multiplexes : on voit se bousculer un des récents prétendants à la Palme d’or, un long-métrage qui réunit le plus fameux des acteurs et le plus notoire des écrivains français, une découverte iranienne et une comédie new-yorkaise qui passe sans efforts le test de Bechdel. Autant profiter de cette rentrée anticipée.
« Roubaix, une lumière » : l’éternel retour de Desplechin
ROUBAIX, UNE LUMIERE - Bande Annonce
Durée : 01:49
Depuis 2007, année de la mise en vente de la maison familiale du cinéaste, Arnaud Desplechin revient à Ithaque, autrement nommée Roubaix. Autour de la maison d’enfance, l’amour et la cruauté, la tendresse et la folie tendent au cinéaste les spectres de la hantise dissociative en même temps que le havre auquel on ne peut faire autrement que revenir. Roubaix, une lumière apporte, dans ce registre, deux nouveautés d’importance. Le fait divers et le polar. Inspiré d’un documentaire immersif qui fit sensation pour avoir enregistré le terrible aveu d’un assassinat – Roubaix, commissariat central, affaires courantes de Mosco Boucault, diffusé en 2008 sur France 3 – le film de Desplechin lui reste étonnamment fidèle dans son découpage, au point d’en paraître bizarrement ficelé. Plusieurs pistes partent ainsi de la première partie du film – à l’instar du documentaire naviguant au gré des urgences de Police secours – sur les pas du commissaire Daoud et de son équipe, confrontés à la misère sociale et humaine de la ville. Bagarre de voisinage, escroquerie à l’assurance, fugue d’une mineure, viol d’une toute jeune fille, incendie dans un immeuble.
Mais déjà, quelque chose s’éloigne irrémédiablement du réalisme documenté. Ce quelque chose est la ligne qui sépare l’ombre et la lumière. L’ombre, c’est Roubaix poussé au (film) noir, sa nuit rougeoyante, sa dure pauvreté, sa lutte poisseuse pour la survie. La lumière, c’est Daoud – et avec lui la grandeur de l’acteur Roschdy Zem –, commissaire de police et enfant du cru. L’incendie dans la cour d’immeuble masque le cadavre d’une vieille femme détroussée dans son appartement, un acte criminel abject et deux jeunes suspectes, voisines de cour croisées au cours de l’enquête.
Le crime comme symptôme social, comme violence expiatoire et climax passionnel n’intéresse pas Desplechin. Il ne le représente d’ailleurs même pas. Le crime comme témoignage de l’existence et de l’opacité du Mal, sa reconstitution comme reconquête maïeutique – par les mots et par les gestes – d’une humanité perdue, voilà en revanche qui justifie sa recherche. Jacques Mandelbaum
Film français d’Arnaud Desplechin. Avec Roschdy Zem, Sara Forestier, Léa Seydoux, Antoine Reinartz (1 h 59).
« Thalasso » : Gérard et Michel s’en vont en cure
THALASSO - Teaser "Les Fans" - Au cinéma le 21 août
Durée : 00:48
Gérard Depardieu, Michel Houellebecq. D’un côté, la bonhomie ogresque, un appétit pour tout, le vin, l’élan vital, le corps du cinéma français. De l’autre, l’hyperlucidité dépressive, la nicotine, la silhouette décharnée de l’intellectuel qui n’habite pas son corps, une certaine idée, tout à la fois juste et caricaturale, de l’écrivain français. Si l’on devait présenter la France à des extraterrestres, on choisirait ces deux-là. Le cinéaste Guillaume Nicloux, qui les réunit dans Thalasso, le sait et ça l’amuse. Thalasso aurait pu s’appeler « Les Aventures de Michel et Gérard », être une bande dessinée ou un dessin animé, tant les corps de ses deux vedettes sont immédiatement burlesques. Cette rencontre ne s’organise pas n’importe où, mais dans un décor qui aurait très bien pu surgir de la plume de Houellebecq : un hôtel et centre de thalassothérapie. Au programme : bilan de santé, fruits et légumes, eau pétillante, massages en tout genre, et l’alcool est bien évidemment proscrit.
Pour Houellebecq et Depardieu, ce séjour est un pur cauchemar climatisé. Nicloux transforme les deux mythes qu’il filme en adolescents adeptes de l’école buissonnière et qui se planquent pour fumer, picoler, engloutir du pâté et déblatérer sur l’existence de Dieu. On ne sait plus très bien si la cure a eu raison du duo comique, ou si Michel et Gérard ont finalement inoculé un étrange virus dans ce décor aseptisé : celui de la jouissance, du vin et de la parole qui coulent et du monde qu’on refait de la meilleure des manières, un peu à la va-vite. Murielle Joudet
Film français de Guillaume Nicloux. Avec Gérard Depardieu, Michel Houellebecq, Maxime Lefrançois (1 h 32).
« Reza » : divorce à l’iranienne
REZA Bande Annonce (2019) Comédie, Romance
Durée : 02:10
Reza déjoue l’image que l’on se fait du cinéma iranien. Point de brouillage entre fiction et réalité ni de guêpier moral, mais une délicate et drolatique étude de mœurs qui n’est pas sans rappeler l’ego-trip urbain et sentimental façon Woody Allen. Ce premier long-métrage est l’œuvre de l’écrivain Alireza Motamedi et l’on ne sait si le passage d’Alireza à Reza, un rôle que l’auteur s’est attribué, indique que le récit est autobiographique. Il suggère à quel point il est personnel : Reza est un artiste, que l’on découvre au moment de sa séparation d’avec sa femme Fati, après neuf ans de mariage. Un divorce sans cri ni larmes, mais avec une complicité inentamée, comme si les futurs ex-époux n’avaient jamais été aussi proches. Toujours amoureux Reza traîne sa dégaine bonhomme et déphasée dans les rues et sur les ponts d’Ispahan, la ville safavide comme sortie d’un rêve de beauté.
Découpé en saynètes, Reza affiche une mise en scène simple, parfois quelque peu monolithique, mais dont les prises longues servent judicieusement le naturel et la bonne alchimie entre les comédiens, d’un charme et d’une spontanéité confondants. Mathieu Macheret
Film iranien de et avec Alireza Motamedi. Avec Sahar Dolatshahi, Solmaz Ghani, Reza Davoudnejad, Setareh Pesyani (1 h 34).
« Late Night » : règlements de comptes sur petits écrans
LATE NIGHT - Bande-annonce VO
Durée : 01:47
Star de la comédie sur petit écran aux Etats-Unis, Mindy Kaling, auteure du scénario et interprète de Late Night, est à peu près inconnue en France. Aussi conventionnel qu’il soit dans sa forme et sa structure, ce long-métrage est une excellente occasion de découvrir ce talent irrépressible. Mindy Kaling incarne une jeune comique d’origine indienne, embauchée, un peu par hasard, un peu par obligation, pour sortir la présentatrice d’un talk-show (Emma Thompson) de la routine – et faire remonter ses scores d’audience. Entre la reine des neiges congelée dans un univers (la télévision linéaire, le star system) en voie d’extinction et la millenial rompue à la pratique des réseaux sociaux, les occasions de malentendus et de conflits sont innombrables, Mindy Kaling et Emma Thompson (qui est avant tout une actrice comique, c’est l’occasion de s’en souvenir) en tirent le meilleur parti. La confrontation entre les deux femmes, leurs statuts sociaux, leurs cultures, fait des étincelles, assez longtemps pour que l’on passe sur les bons sentiments qui commencent à dégouliner vers la fin du film. Thomas Sotinel
Film américain de Nisha Ganatra, avec Mindy Kaling, Emma Thompson, John Lithgow (1 h 42).