Le Groenland, dernier caprice de Donald Trump
Le Groenland, dernier caprice de Donald Trump
Le président américain a annulé à la dernière minute sa visite au Danemark après le refus du pays de lui vendre l’île. Si l’intérêt pour ce territoire n’est pas illégitime, la manière dont Trump s’y est pris a été désastreuse.
Le président américain Donald Trump, le 21 août, à Washington. / Carolyn Kaster / AP
Editorial du « Monde ». L’affaire pourrait paraître burlesque si elle n’émanait pas de l’homme le plus puissant de la planète. L’épisode du Groenland, que le président Donald Trump a très cavalièrement proposé d’acheter avant de provoquer un incident diplomatique avec le Danemark, l’un de ses plus solides alliés au sein de l’OTAN, est en réalité un concentré de tout ce qui rend ce président américain ingérable : narcissisme, irrationalité, susceptibilité et, pour finir, infantilisme.
Les faits, d’abord. Le 16 août, le Wall Street Journal rapporte que M. Trump a, à plusieurs reprises, en privé, manifesté son intérêt pour l’achat du Groenland ; ses conseillers, selon le quotidien, sont divisés. Le sujet fait aussitôt les délices des comiques des shows télévisés, tandis que les détracteurs du président s’étranglent. Vu de Washington, pourtant, s’intéresser au Groenland n’est pas totalement inepte : à deux reprises, en 1867 – année de l’acquisition de l’Alaska –, puis en 1946, sous la présidence d’Harry Truman, les Etats-Unis ont proposé d’acheter ce vaste territoire de l’Arctique. Aujourd’hui, le Groenland est un territoire autonome de 56 000 habitants, rattaché au Danemark, qui en gère les fonctions régaliennes et finance la majeure partie de son budget.
Riche en ressources naturelles précieuses mais difficiles à exploiter, le Groenland présente aussi des atouts stratégiques importants ; il abrite d’ailleurs depuis plusieurs décennies une grosse base de l’US Air Force, la base de Thulé, qui fait partie du bouclier antimissile américain. Après la fin de la guerre froide, l’Arctique est devenu l’objet de nombreuses convoitises, notamment de la part de la Chine. Les Etats-Unis, qui ont pris du retard dans cette zone, ont réussi à bloquer une tentative chinoise de financer des aéroports au Groenland en 2018. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avait prévu de s’y rendre en mai dernier, visite qui a été annulée en raison de l’actualité iranienne.
Mauvais joueur
Mais si s’intéresser au Groenland n’était pas illégitime, la manière dont Donald Trump s’y est pris a été désastreuse. Le président des Etats-Unis a d’abord confirmé son intérêt pour ce qu’il a qualifié, « essentiellement », de « grosse opération immobilière ». Puis, rectifiant le tir, il a posté sur Twitter un montage photo qui se voulait humoristique pour illustrer ce qu’il « ne ferai[t] pas au Groenland » : une Trump Tower rutilante au milieu des jolies petites maisons locales. En fait, a-t-il ajouté, il voulait rendre service aux contribuables danois, qui déboursent chaque année 700 millions de dollars pour entretenir le Groenland.
I promise not to do this to Greenland! https://t.co/03DdyVU6HA
— realDonaldTrump (@Donald J. Trump)
Curieusement, les Danois n’ont pas trouvé cela drôle. Pas plus, d’ailleurs, que les Groenlandais. Cette idée est absurde et le territoire n’est pas à vendre, a répliqué la première ministre, Mette Frederiksen. Piqué au vif, M. Trump a réagi en annulant la visite officielle qu’il devait faire au Danemark les 2 et 3 septembre, sans même en avertir son ambassadrice à Copenhague. On ne dit pas au président des Etats-Unis qu’il est « absurde », s’est-il emporté mercredi, aussi mauvais joueur qu’un gamin dans une cour de récréation.
Ce n’est ni le premier ni le dernier caprice de ce président américain, et Mme Frederiksen l’a traité comme il le méritait. Donald Trump est en campagne pour un deuxième mandat. Les alliés des Etats-Unis doivent intégrer cet élément : l’important, pour lui, ce n’est pas le monde qui l’entoure, mais son électorat, chez lui, devant lequel il aime tant jouer les gros bras.