La femme, avenir du monde arabe
La femme, avenir du monde arabe
Par Charlotte Bozonnet
« Quand les gens bougent, c’est une émeute, lorsque les femmes les rejoignent, cela devient une révolution. » Rencontre entre la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy et l’auteur algérien Kamel Daoud.
Mona Eltahawi et Kamel Daoud. | Sarah Aubel/Agent Mel pour "Le Monde" - AFP
La rencontre s’annonçait superbe, et elle le fut. Corps des femmes, avenir des révolutions arabes, port du voile, lien entre dictature et islamisme : pendant une heure, ce samedi après-midi, la journaliste et militante américano-égyptienne, Mona Eltahawy, et le journaliste et écrivain algérien, Kamel Daoud, ont noué, devant une salle comble de l’Opéra Bastille, un passionnant dialogue sur la situation des femmes dans le monde arabe, samedi 26 septembre à l’occasion du Monde Festival.
« Mona Eltahawy, vous dites des hommes au Moyen-Orient : ‘ils nous détestent’, a rappelé Christophe Ayad, chef du service international du Monde, en introduction, mais la question n’est-elle pas ‘pourquoi ils vous détestent’ ? ». Pour la journaliste, qui n’a de cesse de s’attaquer à la misogynie et à l’obsession du contrôle du corps et de la sexualité des femmes dans les sociétés arabes, il s’agit de « déconstruire ce triangle de l’oppression que représentent l’Etat, la rue et la maison. » Ces lieux où se perpétuent les clichés et les ressorts de l’oppression, pas seulement du fait des hommes. Mona Eltahawy le rappelle : « Les mères élèvent leurs enfants pour qu’ils survivent dans un environnement misogyne ». Kamel Daoud l’avoue : si lui a pu s’extraire de cet environnement, c’est grâce aux livres. « Il est nécessaire de dénoncer le sort fait aux femmes mais il faut aussi comprendre pourquoi on transforme les hommes en bourreaux. »
Interrogée sur le port du voile, Mona Eltahawy rappelle que les raisons pour lesquelles une femme se voile peuvent être extrêmement différentes. Sa mère le fait par respect, sa soeur, qui vit à New-York, pour dire « merde » aux islamophobes, raconte-t-elle. Elle-même a expérimenté le port du voile lorsqu’elle est arrivée en Arabie saoudite à l’âge de 15 ans, avant de l’enlever. Mais, quelles que soient ces raisons, « la vraie question est ailleurs », souligne la journaliste, « et c’est : pourquoi le corps des femmes devrait-il être la toile sur laquelle on écrit la politique et l’idéologie ? ».
Le corps des femmes, ce qu’en fait la religion, « c’est le noeud gordien », a rappelé Kamel Daoud, qui parle d’un « profond problème philosophique ». Si la religion s’en prend ainsi au corps des femmes, c’est qu’il lui est insupportable : « On veut la réduire, la tuer car la femme est la preuve que le corps existe », souligne l’écrivain algérien. « Une femme n’est pas coupable de son corps. C’est à l’homme, celui qui lui fait face, de changer », rappelle-t-il, poursuivant : « le porno-islamisme, cette fixation sur le corps des femmes, ça arrive chez vous et vous êtes l’Occident ».
« Il faut des citoyens, pas des croyants »
Mona Eltahawy et Kamel Daoud déplorent la façon dont les débats sont souvent posés en Occident. De cette désastreuse façon de choisir entre dictatures et islamismes – une impasse – au port du voile. Un débat monopolisé par les racistes et l’extrême droite, sans que jamais les femmes musulmanes n’aient la parole, regrette la journaliste.
Sur l’avenir des révolutions arabes, que beaucoup voudraient présenter comme un échec, Mona Eltahawy et Kamel Daoud répliquent par la marche de l’histoire. « La révolution, ce n’est pas un évènement Facebook qu’on peut liker. C’est un processus de long terme », souligne la journaliste américano-égyptienne. Kamel Daoud rappelle lui que « l’histoire est en marche » : « Ces révolutions n’ont été que des moitiés de révolutions. » (...) « Ça ne sert à rien de faire tomber un dictateur si on ne fait pas tomber le ciel. Il faut des citoyens, pas des croyants ».
Ce combat contre l’obscurantisme, tous les deux le vivent au quotidien. Mona Eltahawy a été agressée par des militaires alors qu’elle couvrait la révolution égyptienne de la place Tahrir du 25 janvier 2011. Son premier livre, Foulards et hymens (Belfond), s’ouvrait par un vibrant appel à la désobéissance lancée aux femmes : « Soyez impudiques. Soyez rebelles, désobéissez et sachez que vous méritez d’être libres. » Kamel Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran et auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud), pour lequel il a reçu le prix Goncourt du premier roman 2015, a été visé par une fatwa de mort lancée par un mouvement salafiste algérien.
Les femmes sont-elles l’avenir du monde arabe ? Oui, sans aucun, nous répondent ces deux esprits lumineux. « Quand les gens bougent, c’est une émeute, lorsque les femmes les rejoignent, cela devient une révolution », explique Kamel Daoud. Mona Eltahawy résume : « Sans égalité politique pour les femmes, nos révolutions échoueront ».