« Panama papers » : David Cameron avoue qu’il a bénéficié d’un fonds offshore
« Panama papers » : David Cameron avoue qu’il a bénéficié d’un fonds offshore
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Le premier ministre britannique a admis qu’il détenait jusqu’en 2010 des parts dans le fonds fiduciaire de son père, immatriculé aux Bahamas. Le Parti travailliste dénonce son « hypocrisie ».
David Cameron reconnaît avoir eu des actions dans un fonds offshore
Durée : 01:09
A moins de trois mois d’un référendum incertain sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE), David Cameron vient de trébucher sur un obstacle inattendu, les « Panama papers ».
Après trois jours de semi-déni et quatre communiqués gênés face aux accusations sur les profits qu’il aurait tirés des paradis fiscaux, le premier ministre britannique a dû admettre, jeudi 7 avril au soir, qu’il avait bénéficié du fonds fiduciaire (trust fund) que son père, Ian, décédé en 2010, avait géré pendant près de trente ans par l’intermédiaire du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca sans payer le moindre impôt.
Lors d’une interview diffusée jeudi soir par la chaîne ITV, M. Cameron a reconnu que son épouse, Samantha, et lui-même avaient détenu, entre 1997 et 2010, des parts de Blairmore Holdings Inc, le fonds géré par son père. Cette période inclut les années pendant lesquelles il était chef de l’opposition conservatrice.
Juste avant les élections de 2010, qui l’ont conduit au pouvoir, il a revendu ses parts pour « quelque chose comme 30 000 livres [37 000 euros] », a-t-il déclaré, le visage rougi et crispé. Au passage, il a réalisé un profit de 19 000 livres. « Je ne voulais pas que quelqu’un puisse dire que j’avais d’autres agendas ou des intérêts privés », s’est-il justifié, ajoutant n’avoir rien commis d’illégal, ayant payé l’impôt sur le produit de la vente, mais non celui sur les gains en capital, car il était juste en dessous du plafond d’exonération.
Affirmant qu’en 1982 le fonds Blairmore avait été créé non pas pour échapper au fisc, mais pour profiter de la fin du contrôle des changes, M. Cameron a assuré : « Je n’ai honnêtement rien à cacher. Je suis fier de mon père et de ce qu’il a accompli (…). Je ne peux supporter que son nom soit traîné dans la boue. »
M. Cameron s’est déclaré « détendu » par rapport à son patrimoine. Il avait promis en vain de le rendre public en 2012. Ce qu’il n’a pas fait, mais, a-t-il précisé, il serait aujourd’hui « très heureux » de le faire.
Communication erratique
David Cameron lors de son discours le jour de l'annuelle Conférence du Parti Conservateur à Birmingham, le 1er octobre 2014. | OLI SCARFF / AFP
Le premier ministre a aussi affirmé qu’il ignorait si l’argent dont il avait hérité de son père avait bénéficié d’une exemption fiscale liée à la domiciliation à Jersey de la société qui les gérait. « Je ne peux à l’évidence pas remonter à la source de chaque somme d’argent, a-t-il expliqué, et papa n’est plus là à présent pour que je lui pose ces questions. »
Alors que les « Panama papers » remettent en lumière ses origines favorisées, M. Cameron, ancien de l’ultrachic Eton College, a assuré qu’il n’avait « jamais caché le fait qu’il avait eu beaucoup de chances d’avoir des parents fortunés qui [lui ont] donné une éducation formidable et ont financé une école extraordinaire ». « Je n’ai jamais prétendu être quelqu’un que je ne suis pas », s’est-il défendu.
Ces explications interviennent après trois jours d’une communication erratique passant du no comment absolu au semi-aveu sous la pression de médias, dont le scepticisme a été aiguisé par des informations visiblement lacunaires.
Lundi, après les premières révélations des « Panama papers » dans les médias britanniques partenaires – la BBC et The Guardian – le 10 Downing Street avait affirmé que le patrimoine du premier ministre relevait d’une « affaire privée ». Mais, mardi, M. Cameron a lui-même rompu le silence en affirmant qu’il ne possédait personnellement « aucune action, aucun trust offshore, aucun fonds offshore, rien de tout cela ». Mercredi, un porte-parole du gouvernement a accru la confusion en déclarant qu’« à l’avenir, le premier ministre ou ses enfants ne tireront des bénéfices d’aucun fonds offshore ou société fiduciaire ».
« Jours difficiles »
L’opposition s’est saisie sans excès de cette affaire gênante pour le pouvoir. « Un premier ministre dirige en donnant l’exemple. Il ne peut dire une chose et en faire une autre », s’est exclamé Tom Watson, le numéro deux du Labour, en accusant M. Cameron d’« hypocrisie ». Il rappelle que ce dernier se pose en champion de la transparence financière et a qualifié récemment de « moralement condamnables » des combinaisons fiscales proches de celles dont il a bénéficié.
Avant les déclarations de jeudi, Jeremy Corbyn, le patron des travaillistes, s’était contenté de réclamer une enquête pour déterminer ce que les bénéficiaires des paradis fiscaux « auraient à payer en impôts depuis des années ».
Le caractère non illégal et relativement courant des pratiques mises au jour semble empêcher le Labour d’aller plus loin, d’autant qu’il fait campagne, comme le premier ministre, en faveur du vote « in » (maintien dans l’Europe), lors du référendum du 23 juin.
Les travaillistes ont d’ailleurs peu réagi aux informations du Financial Times de jeudi révélant qu’en 2013 M. Cameron était intervenu auprès de Bruxelles pour que les mesures de transparence préparées par l’UE excluent les fonds fiduciaires analogues à celui que son père avait géré.
« Ces derniers jours ont été difficiles », a avoué M. Cameron sur ITV. Il n’est pas certain que les suivants voient la fin de la tempête médiatique. Vendredi matin, la quasi-totalité de la presse britannique montrait en substance la même « une » : « Cameron : “J’ai profité des paradis fiscaux” ». Le premier ministre, déjà en butte quotidiennement aux attaques des eurosceptiques de son propre parti, pourrait sortir affaibli de l’épisode « Panama papers », au moment où le camp pro-européen a besoin de toute son énergie.