Les droits humains doivent être au cœur de la relation franco-égyptienne
Les droits humains doivent être au cœur de la relation franco-égyptienne
Dans une lettre ouverte, des ONG demandent à François Hollande, avant sa visite en Egypte dimanche 17 avril, la fin de la répression menée contre les opposants au régime.
Francois Hollande et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, à Paris le 30 novembre 2015. | © Philippe Wojazer / Reuters / REUTERS
Excellence, Monsieur le président de la République,
Dimanche 17 avril, vous rencontrerez le président de la République arabe d’Egypte, M. Abdel Fattah Al-Sissi afin notamment d’évoquer des contrats d’armements et d’ « approfondir avec lui la relation stratégique entre vos deux pays ».
La FIDH, Amnesty International, Human Rights Watch, le Réseau euro-méditerranéen pour les droits humains et la Ligue des droits de l’homme s’alarment depuis de longs mois de ce choix diplomatique, considérant qu’il joue un rôle crucial et dangereux dans le renforcement d’un régime coupable de violations d’une ampleur et d’une gravité qui dépassent toutes les répressions précédentes de l’histoire de l’Egypte moderne. Comme le déclarait récemment le Conseil égyptien des droits de l’homme, aucune stabilité n’est possible avec la poursuite d’une répression aussi brutale.
Détentions arbitraires
Il serait, à nos yeux, propice aux véritables intérêts et valeurs de la France de plaider auprès de ce pays en faveur d’une réforme en profondeur des services de sécurité dont les crimes contribuent chaque jour à rendre la situation plus explosive. Ces services sont responsables de graves actes de torture, de disparitions forcées, de détentions arbitraires, d‘exécutions extrajudiciaires et de l’incarcération de dizaines de milliers de personnes depuis l’arrivée d’Abdel Fattah Al-Sissi au pouvoir en juillet 2013, au prix d’au moins 200 morts en détention.
Le nombre de personnes arrêtées ou poursuivies depuis le renversement de l’ancien président Morsi en juillet 2013 atteint des dizaines de milliers, excédant 40 000. De plus en plus de témoignages attestent du rôle joué par cette violence d’Etat, au nom de la lutte contre le terrorisme, dans la radicalisation de la jeunesse.
Mais l’objectif principal de cette lettre est de vous alerter sur le rôle crucial que la France, par votre intermédiaire, est susceptible de jouer à l’occasion de ce voyage. Votre visite intervient à un moment décisif, un moment de vie ou de mort pour la société civile indépendante égyptienne encore organisée. Dans les semaines qui viennent, nous estimons que des dizaines de défenseurs des droits humains, qui constituent la colonne vertébrale de la société civile indépendante, sont susceptibles d’être inculpés avec des peines allant potentiellement jusqu’à vingt-cinq ans de prison, simplement pour avoir reçu des subventions de l’étranger sans autorisation de l’Etat.
Geler leurs avoirs
Des dizaines d’ONG égyptiennes sont en effet menacées de fermeture, dans le cadre de la réouverture de l’enquête sur le financement des ONG locales et étrangères débutée en 2011 qui avait alors abouti à la condamnation de quarante-trois membres de cinq ONG, à des peines allant de un à cinq ans d’emprisonnement. A ce jour, plus de dix défenseurs des droits humains, sous le coup d’une investigation, sont interdits de sortie de territoire. Certains se sont vus geler leurs avoirs. Régulièrement, de nouvelles enquêtes sont ouvertes à l’encontre d’autres défenseurs. C’est l’ensemble de la communauté des droits humains en Egypte qui est susceptible d’être écrasée du jour au lendemain.
Plusieurs audiences contre des défenseurs des droits humains, notamment la dernière audition contre Hossam Bahgat et Gamal Eid concernant le gel de leurs avoirs, ont été reportées sous le coup d’une pression internationale forte, à une date immédiatement postérieure à votre visite en Egypte. Une telle série de condamnations aurait sur l’image de la France un effet dévastateur : alors que les administrations onusienne, américaine, allemande et britannique exercent depuis plusieurs semaines des pressions sans précédent pour empêcher ces condamnations, votre visite, sans condamner publiquement ces attaques contre les défenseurs, serait perçue comme un blanc-seing donné à l’écrasement de la société civile indépendante en Egypte.
Le sort de ces personnes dépend aujourd’hui du seul et unique bon vouloir du président Abdel Fattah Al-Sissi. Dans ces conditions, nous considérons qu’il vous revient, Monsieur le président, de lui répéter ce que ses plus proches partisans lui soutiennent depuis des semaines ouvertement dans les colonnes des journaux : qu’il en va de son intérêt de cesser ces poursuites.
Nous vous demandons expressément d’exhorter Abdel Fattah Al-Sissi à abandonner les poursuites engagées dans le cadre du cas dit 173 dans l’affaire des financements étrangers des ONG, à libérer les prisonniers d’opinion, notamment les figures emblématiques de la révolution de janvier 2011, à assurer à toutes les personnes poursuivies pour des motifs politiques un procès équitable, à annuler la loi de 2013 sur les manifestations et à respecter la liberté d’association.
Silence des autorités françaises
Nous vous demandons également d’interroger les autorités égyptiennes sur l’état d’avancement de l’enquête sur le meurtre du Français Eric Lang, tué dans un commissariat du Caire en septembre 2013 dans des circonstances non encore élucidées. Le silence des autorités françaises sur ce sujet contraste avec l’attitude du gouvernement italien qui vient de rappeler son ambassadeur en Egypte suite à la mort sous la torture de l’étudiant Giulio Regeni, et avec les déclarations du Foreign Office britannique qui vient également d’interpeller l’Egypte à ce sujet.
Enfin, nous demandons au gouvernement français d’annoncer comment il met en application la décision du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne de 2013, qui annonçait la décision des Etats membres « de suspendre les licences d’exportation vers l’Egypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne, de réévaluer les licences d’exportation des équipements couverts par la position commune 2008/944/PESC et de réexaminer l’assistance qu’ils apportent à l’Egypte dans le domaine de la sécurité. »
Alors que la France a signé d’importants contrats d’armement avec l’Egypte ces dernières années, nous vous exhortons à assurer toute la transparence sur les accords commerciaux conclus, les matériels livrés et les garanties fournies par les autorités égyptiennes que ces équipements et matériels ne serviront pas à la répression interne ou à des crimes relevant du droit international humanitaire.
Ces demandes ne sont pas seulement un gage de fidélité aux valeurs universelles, elles constituent une condition sine qua non de la stabilité de l’Egypte. L’arrêt des poursuites contre la société civile, la libération des prisonniers d’opinion détenus arbitrairement et la réforme des services de sécurité sont des conditions indispensables à l’amélioration de la situation sécuritaire, économique et sociale de l’Egypte. Celle-ci est aujourd’hui pire que jamais, avec la menace de groupes armés, qui font des victimes par centaines chaque année.
Mais rien ne peut justifier qu’au prétexte de la lutte antiterroriste, les défenseurs des droits humains et la société civile dans son ensemble fassent l’objet d’une tentative d’anéantissement pure et simple. La France porterait une lourde responsabilité en s’abstenant d’interpeller son interlocuteur égyptien sur ces points. Outre la menace directe et immédiate qu’elle fait peser sur la vie de milliers de personnes, la poursuite de la politique menée par le président Abdel Fattah Al-Sissi, en effet, risque d’entraîner l’Egypte dans un chaos bien plus grand que l’instabilité qui a suivi le soulèvement révolutionnaire de janvier 2011.
Elle constitue également un risque pour la France de se rendre complice de graves violations du droit international, s’il venait à être prouvé que des armes françaises sont utilisées dans des attaques contre des civils.
Veuillez recevoir, Monsieur le président de la République, l’expression de notre respectueuse considération.
Karim Lahidji, président de la Fédération Internationale des droits de l’homme ; Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France ; Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ; Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits humains (EuroMed Droits) ; Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch ; Tony Fortin, président de l’Observatoire des armements.