L’opposition syrienne quitte les négociations de Genève
L’opposition syrienne quitte les négociations de Genève
Par Marc Semo
Pour protester les violations de la trêve par le régime, l’opposition ajourne sine die sa participation aux pourparlers de paix.
Riyad Hijab, coordinateur du Haut comité des négociations (HCN) syriennes, lors d'une conférence de presse à Genève le 19 avril 2016. | Salvatore Di Nolfi / AP
Les négociations de Genève sur la Syrie sont à l’agonie. Les principaux dirigeants de l’opposition du Haut Comité des négociations (HCN) ont décidé, mardi 19 avril, de reporter sine die leur participation après les bombardements effectués par l’aviation du régime, qui ont tué au moins 44 civils dans deux marchés de la province d’Idlib (nord-ouest), une zone où sévit le Front Al-Nosra, un groupe djihadiste lié à Al-Qaida.
« Viser des marchés populaires bondés de civils représente une escalade dangereuse », souligne le communiqué du HCN. Ses responsables estiment « inacceptable » de poursuivre les discussions alors que la cessation des hostilités, en vigueur depuis le 27 février, est en train de voler en éclats et que l’acheminement de l’aide humanitaire pour les villes assiégées par les forces de Damas reste bloqué. « Nous attendons du Groupe international de soutien à la Syrie qu’il prenne des mesures décisives contre celui qui massacre le peuple syrien », a déclaré lors d’une conférence de presse Riyad Hijab, le coordinateur de l’opposition, ajoutant que les grandes puissances devaient prendre acte du fait que, sur le terrain, la trêve est « révolue ».
L’ajournement des discussions étant sans limite dans le temps, la suite dépendra « de l’évolution de la situation sur le terrain », a expliqué mardi George Sabra, un des négociateurs du HCN sur les ondes d’Orient TV. La veille, les négociateurs de l’opposition avaient demandé une « pause ». Seuls quelques « techniciens » resteront à Genève en contact avec l’équipe de l’envoyé spécial des Nations unies, le diplomate italo-suédois Staffan de Mistura.
Nombre de diplomates occidentaux s’inquiètent de voir l’opposition tomber dans le piège du régime. « Elle risque de se priver pour longtemps de la possibilité d’être à la table des négociations et de pousser sur la transition, mais elle se trouve dans une situation intenable », constate l’un d’eux. Soumis notamment à la pression des groupes armés rebelles agissant sur le terrain, ses responsables ont donc décidé de franchir le pas. « Ils ont estimé que ces négociations ne sont en l’état qu’un leurre qui permet au régime de gagner du temps et de continuer à consolider son assise sur le terrain », explique Karim Bitar, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Le piège du régime
Commencé le 13 avril, ce nouveau cycle de négociations devait « se concentrer sur la transition politique, sur la gouvernance et sur les principes constitutionnels ». Le HCN, avec le soutien affiché de Paris – et celui, moins évident, de Washington –, exige le départ de Bachar Al-Assad, et que l’autorité de transition soit dotée des pleins pouvoirs. Le régime concède tout au plus l’entrée de quelques opposants triés sur le volet dans un gouvernement présenté comme d’union nationale. « Il n’y aura pas de solution tant que le président Bachar Al-Assad restera au pouvoir ; à cet égard, il rêve », a rappelé Riyad Hijab, qui a demandé à l’ONU le déploiement d’observateurs sur le terrain pour constater les violations d’une trêve désormais moribonde. L’émissaire spécial de l’ONU, Staffan de Mistura, doit s’entretenir mercredi avec la délégation du régime, qui, elle, est restée à Genève.
« Il faut que nous préservions ce cessez-le-feu de toutes nos forces afin que les négociations puissent reprendre avec tout le monde, car il n’y a pas de solution militaire à ce conflit », a souligné le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, qui a rencontré, mardi à Moscou, le président russe Vladimir Poutine et son homologue Sergueï Lavrov, dans le cadre d’une visite consacrée aux dossiers de l’Ukraine mais aussi de la Syrie, où la Russie est un acteur clé. Mais les positions de Paris et de Moscou restent aux antipodes.
« Comme un enfant gâté »
M. Lavrov a pour sa part estimé que les négociations n’étaient pas « gelées », malgré le départ de représentants du HCN. « Forte de ses soutiens extérieurs, cette opposition se comporte comme un enfant gâté exigeant de fixer l’agenda du processus, y compris sur le départ d’Assad », a martelé le ministre russe, dénonçant « des protagonistes sur la scène internationale qui rêvent de renverser le régime par la force, qui font tout, y compris en sapant les négociations de Genève ». « Il me semble que les Etats-Unis, la France sont résolument opposés à ces tentatives », a-t-il ajouté.
Washington, co-parrain de ce processus lancé avec Moscou, a cherché à préserver les apparences, estimant qu’il s’agissait d’une « pause » plutôt que d’une véritable rupture des négociations. « Personne n’a jamais pensé que cette semaine à Genève pourrait être l’aboutissement de tout le processus politique », a expliqué le porte-parole de la diplomatie américaine, John Kirby, affirmant que, malgré les combats des derniers jours, les violences avaient diminué de 70 % depuis l’instauration de la trêve.