Au Canada, l’exode par terre et par air pour fuir l’incendie à Fort McMurray
Au Canada, l’exode par terre et par air pour fuir l’incendie à Fort McMurray
Par Anne Pélouas (Edmonton (Canada), envoyé spéciale)
Des milliers de sinistrés se pressent sur les routes pour être évacués vers le sud de la ville. L’incendie, qui a déjà ravagé 100 000 hectares, pourrait durer encore des semaines.
Un convoi d'habitants en cours d'évacuation près de Fort McMurray au Canada le 6 mai 2016. | MARK BLINCH / REUTERS
L’incendie de forêt qui a forcé l’évacuation de 80 000 habitants de la région de Fort McMurray, en Alberta, a encore progressé vendredi 6 mai. Pendant que les pompiers luttaient contre le gigantesque brasier pour protéger les zones d’habitations et les infrastructures stratégiques, les autorités ont déclenché vendredi matin une vaste opération, routière et aérienne, pour évacuer vers le sud de Fort McMurray, Calgary et Edmonton tous ceux qui s’étaient réfugiés dans des camps de l’industrie pétrolière et gazière au nord de la capitale de l’or noir, après l’ordre général d’évacuation donné mardi.
Sur 25 000 sinistrés ayant pris cette direction, 7 000 ont quitté les camps par un pont aérien tandis que les autres attendaient l’autorisation de reprendre la route, a précisé vendredi la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, notant que la population réagissait avec calme, comme lors de la première évacuation. L’autorisation est venue à 7 heures du matin, déclenchant un embouteillage continu sur l’autoroute 63, artère principale de circulation pour accéder au nord comme au sud de Fort McMurray.
Toute la journée, un long convoi de voitures et de camionnettes, avançant à pas de tortue sous une chaleur écrasante, occupait deux voies de l’autoroute. Escortés par des policiers, survolés par des hélicoptères militaires assurant la surveillance aérienne, leurs occupants ont dû traverser la ville dévastée avant de poursuivre vers le sud. L’exode pourrait durer quatre jours, a averti le responsable albertain de la prévention des incendies, Chad Morrison, alors que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, promettait de se rendre dans la région sans préciser de date.
« La ville n’est pas près d’être sécurisée »
A Lac La Biche, première agglomération à 291 kilomètres au sud de Fort McMurray, on se préparait vendredi, avec l’aide de la Croix-Rouge et de bénévoles, à accueillir de nouveaux habitants de la ville sinistrée. « Trois mille sept cents se sont déjà arrêtés ici depuis mardi pour profiter des services de secours mis en place, manger, dormir, se vêtir, précise Jihad Moghrabi, responsable des communications de Lac La Biche County, qui compte 29 000 habitants. Nous sommes prêts à fournir à ceux arrivant du Nord l’aide matérielle mais aussi le réconfort dont ils ont besoin. Ils ont vécu une expérience traumatisante, mais ceux que nous avons vus sont dans un bon état d’esprit. » Nombreux seront sans doute ceux qui poursuivront leur route – plus sereinement qu’au nord – pour rejoindre familles ou amis, voire un autre centre de secours à Edmonton ou Calgary.
Mme Notley a annoncé vendredi une aide d’urgence aux sinistrés de 100 millions de dollars canadiens (68 millions d’euros), disponible la semaine prochaine. La Croix-Rouge a fait état vendredi de 29 millions de dollars de dons reçus de Canadiens et d’entreprises.
Sur le front de l’incendie, les nouvelles sont rassurantes pour Fort McMurray. Centre-ville, hôpital, aéroport ont été épargnés, mais « les dommages sont considérables, la ville n’est pas près d’être sécurisée et la reconstruction prendra des mois », a déclaré Mme Notley, sans confirmer le chiffre de 9 milliards de dollars canadiens nécessaires à cette reconstruction, cité par des médias. Même si les vents éloignent désormais le foyer principal de l’incendie vers le Nord-Est, les « conditions demeurent extrêmes » et l’incendie pourrait « durer des semaines à la faveur de la sécheresse et, ce, même avec de la pluie », a prévenu Chad Morrison, ajoutant que l’enquête sur ses causes serait difficile.
Le bilan de vendredi fait état de 101 000 hectares brûlés et de deux nouveaux foyers d’incendies déclenchés par des éclairs dus au feu principal. Aucun site d’exploitation de pétrole ou de gaz n’a été touché, a encore précisé M. Morrison.
Réduction de la production de pétrole
Cependant, plusieurs compagnies d’Athabasca, principale région productrice de pétrole issu des sables bitumineux, ont mis leurs installations au ralenti, avec un minimum d’employés. L’Association canadienne des producteurs de pétrole (CAPP) refusait vendredi d’évaluer les pertes, bien que les médias aient fait état d’une réduction de la production de 800 000 à un million de barils par jour, soit la moitié de la normale, depuis mardi. Dans le même temps, les prix du baril de pétrole clôturaient à la hausse vendredi comme la veille. Affichant une perte record de 4,8 milliards d’euros en 2015, les compagnies pétrolières canadiennes ont supprimé plusieurs dizaines de milliers d’emplois depuis deux ans à la suite de la chute des cours pétroliers.
« L’industrie forestière ne devrait pas être beaucoup touchée par l’incendie », estime en revanche Mike Long, du ministère albertain de l’agriculture et des forêts, l’exploitation de la forêt boréale se faisant davantage dans l’ouest de la province.
Certains estiment que le Canada paie le prix d’une mauvaise gestion forestière au fil des années. Pour réduire davantage les risques aux abords des villes et villages implantés en zone forestière, il faudrait les « nettoyer de tout “combustible”, branches, souches, bois morts », estime Kelly Johnston, directeur associé de Partners in Protection, qui gère FireSmart, un programme canadien de prévention. « Cela n’arrêtera pas tous les feux, dit-il, mais réduirait de beaucoup les dommages. »
Les experts canadiens s’attendent à une augmentation des feux de forêt et des superficies ravagées, notamment en forêt boréale, sous l’effet du réchauffement climatique. Au ministère canadien des ressources naturelles, la spécialiste de l’écologie des feux de forêt, Sylvie Gauthier, relève aussi que les systèmes de protection ont été établis de longue date, quand les épisodes de sécheresse étaient plus rares. Aujourd’hui, souligne-t-elle dans le quotidien québécois Le Devoir, « arrêter un feu de forêt en saison sèche, c’est comme tenter d’arrêter un ouragan ».