« Moi, Daniel Blake » : l’Angleterre néo-victorienne selon Ken Loach
« Moi, Daniel Blake » : l’Angleterre néo-victorienne selon Ken Loach
Par Thomas Sotinel
A près de 80 ans, le cinéaste britannique sort de sa retraite, avec une rage intacte et impatiente, pour un nouveau film en compétition à Cannes.
Dave Johns et Hayley Squires dans le film britannique de Ken Loach, « Moi, Daniel Blake ». | LE PACTE
Après Jimmy’s Hall, évocation de l’impossible repos du combattant révolutionnaire présentée à Cannes en 2014, Ken Loach avait annoncé sa retraite. C’était compter sans David Cameron, George Osborne (chancelier de l’Echiquier) et Iain Duncan Smith (secrétaire d’Etat au travail et aux retraites). La politique des tories au pouvoir depuis 2010 est incompatible avec l’inactivité du vieux cinéaste socialiste (et il préciserait lui-même que son socialisme à lui n’a rien à voir avec celui des partis socialistes européens actuels).
Ken Loach, 80 ans en juin, a repris sa caméra pour raconter l’histoire de Daniel Blake. Ecrite par son scénariste habituel, Paul Laverty, elle cueille le héros (ordinaire et magnifique) au moment où il passe un entretien d’aptitude au travail. A Cannes, les questions absurdes de l’employée qui veut savoir si ce sexagénaire, victime d’un accident cardiaque sur un chantier, a des troubles du transit intestinal ou de la motricité fine, ont déclenché l’hilarité. La lecture de la presse britannique garantit la nature tragique de cet échange : la chasse aux tire-au-flanc a pris les allures d’une croisade, et sa fureur s’abat régulièrement sur des innocents.
Moi, Daniel Blake n’est pas une satire d’un système absurde. Ken Loach n’est pas un humoriste, c’est un homme en colère et le parcours de l’ouvrier privé de travail et de ressources est filmé avec une rage d’autant plus impatiente qu’elle est impuissante.
Labyrinthe mortel
Minutieusement, le cinéaste trimballe son personnage dans un labyrinthe qui n’a pas besoin de minotaure pour être mortel. Les médecins de Daniel Blake lui ont interdit de reprendre le travail, l’employée de la société à laquelle le ministère du travail a sous-traité les entretiens de santé juge que Daniel est apte et donc non éligible à une pension d’invalidité. Il lui faut donc s’inscrire au chômage, et consacrer trente-cinq heures de sa semaine à la recherche d’un emploi pour toucher une allocation. Bien sûr, s’il accepte un travail, il met sa vie en péril.
Avec son génie du casting, Ken Loach a confié le rôle de Daniel Blake à un inconnu, Dave Jones, comique de scène, qui incarne ici, avec une bonhomie inflexible, une espèce d’idéal prolétaire britannique : un homme droit et désintéressé, prêt à défendre ses droits pour mieux protéger ceux de ses camarades. Il se heurte à une succession d’individus qui en sont à peine, des êtres qui parlent comme des répondeurs téléphoniques à options multiples, qui veulent le forcer à se plier à des règles qui n’ont pour lui aucun sens.
A ses côtés, il trouve comme alliée Katie, une mère célibataire qui s’est vu infliger une sanction dès son premier rendez-vous au job center, pour être arrivée un peu en retard. Avec son air perdu, et ses deux bambins qui trouvent en Daniel Blake un grand-père idéal, Katie finit de donner au film une couleur dickensienne, inhabituelle chez Loach. Comme dans les romans de révolte du réformateur du XIXe siècle, les tribulations de Daniel et de sa tribu d’adoption tirent des larmes. Mais il ne faut pas prendre ces paroxysmes sentimentaux pour un attendrissement de vieillard. Pas seulement. Ce que Ken Loach démontre avec rigueur et énergie, c’est que le retour aux idées victoriennes (la pauvreté est un péché, elle se corrige par la discipline, entre autres) amène le retour des drames du temps d’Oliver Twist.
I, Daniel Blake / Moi, Daniel Blake (2016) - Extrait 1 (French Subs)
Durée : 01:53
Film britannique de Ken Loach avec Dave Jones, Hayley Squires (1 h 37). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/moi-daniel-blake