Mata Hari acquittée, verdict d’un concours d’éloquence féminisé
Mata Hari acquittée, verdict d’un concours d’éloquence féminisé
Par Agathe Charnet
Un procès en révision de la danseuse convaincue d’espionnage en 1917, organisé par la Fédération française de débat et d’éloquence, a vu s’affronter autant d’étudiantes que d’étudiants.
A la Sorbonne, Stanislas, qui remporte la palme du meilleur témoin, fustige l’agent H21. | Fédération française de débat et d'éloquence
Il lui aura fallu attendre quatre-vingt-dix-neuf ans. Fusillée pour espionnage en 1917, Mata Hari a été acquittée sous un tonnerre d’applaudissements, dans le vénérable « amphi Richelieu » de la Sorbonne, vendredi 13 mai. Les avocats de la danseuse néerlandaise et ses accusateurs ont à peine vingt ans, mais ils sont déjà rompus aux grands procès. Avant Mata Hari, la Fédération française de débat et d’éloquence (FFDE), dont ils font partie, a rejugé Dark Vador, Booba, Klaus Barbie ou encore Nelson Mandela.
Mata Hari était-elle « l’agent H21 », une habile séductrice chargée de récolter les confidences des officiers français pour le compte de l’Allemagne ou une innocente courtisane, sacrifiée pour l’exemple ? C’est Lorraine Thouéry, 22 ans et étudiante en Master 1 de droit à Assas, qui remporte le prix de la meilleure plaidoirie, en défendant avec verve la danseuse. « J’adore juger les mecs morts », s’exclame celle qui a déjà fini première au procès de Pétain, et « seulement deuxième pour Napoléon ». « Les reconstitutions de procès historiques nous permettent d’explorer des facettes peu connues des grands personnages. Je suis d’autant plus ravie d’avoir pu défendre Mata Hari, car c’est le procès des mœurs, le procès de la femme ! »
Parité rare
Si les clubs et concours d’éloquence séduisent désormais de plus en plus d’étudiants – au-delà de ses filières traditionnelles que sont le droit, les sciences humaines et politiques –, le faux procès organisé ce soir se distingue par la participation de quatre étudiantes, soit autant que d’étudiants. Une parité de candidats « rare », et dont se félicite Charles Crespel, qui préside la fédération organisatrice. « Le milieu de l’art oratoire est plutôt masculin. Les mecs peuvent être assez désagréables et décourager les filles lorsqu’elles prennent la parole. Nous faisons en sorte de les inciter à participer. »
Lorraine Thouéry, prix de la meilleure plaidoirie, défend avec verve Mata Hari. | Fédération française de débat et d'éloquence
Pour les huit candidats, en costume ou robes du soir et talons aiguilles, ce faux procès est aussi l’occasion de se faire remarquer. Le jury réunit enseignants en droit, secrétaires de la conférence des avocats du barreau de Paris ou personnalités politiques. « La fédération nous permet beaucoup d’opportunités, s’enthousiasme Charles Crespel. Nous avons reçu le soutien de Jean-Louis Debré, de Jean-François Copé. Autant de personnalités qui sont d’habitude inaccessibles. Et le plaisir de se rencontrer est souvent partagé, les membres du jury nous donnent de précieux conseils. »
Allergique à l’injustice
Ce soir, l’honneur de juger Mata Hari et de départager les candidats revient à Rama Yade. L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, qui vient d’annoncer sa candidature à l’Elysée, est l’objet de toutes les attentions des plaideurs, qui lui donnent avec malice du « madame la présidente… du jury ».
Ismail Ben Amor en pleine plaidoirie face au Jury présidé par Rama Yade. | Fédération française de débat et d'éloquence
A l’issue de plaidoiries et réquisitoires mêlant alexandrins et envolées lyriques, la parole revient à Clarisse Serre, membre du jury. « Je suis très fière de vous, mesdames, salue cette avocate du barreau de Paris, également conseillère pour la série « Engrenages » de Canal+. Le milieu du pénal est compliqué pour les femmes et il n’est pas facile de s’y imposer. Mais à vous voir et vous entendre ce soir, je ne peux que dire : longue vie aux futures avocates ! »
« Certes, l’éloquence est un milieu d’hommes et le droit pénal davantage encore, concède l’étudiante lauréate du jour, d’une belle voix rauque. Mais je ne me pose même pas la question d’y avoir ma place ou non. Depuis que j’ai 11 ans, je souhaite devenir avocate pénaliste. Je suis allergique à l’injustice et je veux donner la parole à ceux à qui l’on dit de se taire ! »