« Permis de rien », à l’auto-école de la vie
« Permis de rien », à l’auto-école de la vie
Par Ghazal Golshiri
Négar Zoka filme une société iranienne tiraillée au quotidien entre respect des règles et prise de libertés (dimanche 29 mai à 9 h 10 sur Public Sénat).
Traduction dans le documentaire, d’un panneau d’avertissement en Iran. | Public Sénat
Négar Zoka filme une société iranienne tiraillée au quotidien entre respect des règles et prise de libertés (dimanche 29 mai à 9 h 10 sur Public Sénat).
Vivre en Iran est un permanent jonglage entre interdits et autorisés, tant les lignes rouges sont multiples et changeantes. Dans un pays où les injonctions religieuses et les intimations aux bonnes conduites sociales sont omniprésentes sur les murs des villes, le mépris de la loi semble l’emporter sur son respect. Une grande partie des Iraniens considèrent que ceux qui écrivent ou appliquent les lois ne tiennent guère à protéger les droits du peuple. Voilà pourquoi, à en croire les conversations futiles dans les transports en commun, les hors-la-loi, les escrocs à qui il n’arrive rien sont considérés comme « les vrais débrouillards ».
C’est peut-être la raison pour laquelle mettre de l’ordre dans le trafic d’une métropole comme Téhéran, avec ses 16 millions d’habitants, s’apparente, selon un proverbe persan, à « trouver une aiguille dans une réserve de paille ». L’état chaotique des rues de la capitale témoigne ainsi de l’échec des efforts déployés à faire respecter la loi et le code de la route.
La réalisatrice Négar Zoka a donc eu la géniale idée de montrer ce perpétuel antagonisme à travers une auto-école de la capitale. Son documentaire, Permis de rien, est un pari risqué, mais très réussi, car les événements qui se passent dans cette auto-école en disent long sur la société iranienne, les soucis de sa jeunesse et les regrets des plus âgés ayant fait la révolution en 1979 et participé à la guerre Iran-Irak (1980-1988).
Dans ce cadre, différences économiques et origines sociales et religieuses, affinités ou non avec l’idéologie de la République islamique d’Iran s’effacent. Tous les genres se mélangent. Les filles minutieusement maquillées et pas très bien voilées – en Iran, les femmes doivent se couvrir tout le corps à l’exception du visage et des mains –, aux cheveux colorés et ongles vernis, rigolent et discutent avec des femmes plus traditionnelles, voire conservatrices, portant un tchador noir. Idem pour les hommes originaires de province et d’apparence modeste qui échangent avec un garçon à la coupe de cheveux excentrique.
Au-dessus des lois
Bref, cette auto-école est à l’image de la société iranienne, où la population cohabite quasiment sans friction. Or, cela ne veut pas dire que tous se sentent obligés de respecter la loi de la même façon : certains considèrent que les règles peuvent être contournées ou négligées. C’est le cas d’un jeune homme à la barbe fournie « de futur jeune cadre du régime », comme nous précise la voix off, qui pourra toujours « avancer » en Iran, « avec ou sans permis ». Celui-ci reconnaît avoir longtemps conduit sans permis, inventant maints arguments sans jamais avouer qu’il commettait alors un délit. Sa confiance sans fondement, sa capacité à prétendre à des choses sans mérite, son sentiment à se croire au-dessus des lois donnent à comprendre les propos tenus dans le film par un autre jeune, estimant qu’il est aujourd’hui « difficile d’avancer » dans un « périmètre plus étroit ». Et voilà pourquoi un passant âgé qualifie les jeunes Iraniens de « la génération brûlée » qui a été « trahie ».
Malgré ces mots lourds et sombres, le film offre bien des instants insouciants et drôles de relations humaines. A l’image de cette phrase à la fin du film : « La vie l’emporte toujours sur les règles et les idéaux que nous fabriquons », à laquelle on ne peut que souscrire.
Permis de rien, de Négar Zoka (Fr., 2016, 55 min). Dimanche 29 mai à 9 h 10 sur Public Sénat. Rediffusions : lundi 30 mai à 7 h, samedi 4 juin à 23 h 20, dimanche 5 juin à 10 h 20 et vendredi 10 juin à 17 h 30.