Chalet de télégestion, bassin des Damoiseaux à Igny. | Julie Balagué pour Le Monde

Soixante-dix sept millimètres d’eau de pluie en vingt-quatre heures. « En termes d’intensité ce n’était pas si fort que ça, mais surtout c’était interminable », raconte Hervé Cardinal, directeur des services techniques au syndicat intercommunal pour l’assainissement de la vallée de la Bièvre (SIAVB). L’office est niché à Verrières-le-Buisson (Essonne), entre la forêt de Verrières et la Bièvre, rivière de 36 km qui traverse cinq départements d’Ile-de-France et prend sa source dans les Yvelines.

Alors que la page des crues se tourne, l’équipe se félicite que les dégâts constatés sur les 18 km de cours d’eau dont le syndicat est responsable soient limités. « On a réussi à endiguer la crue. On a bien protégé nos riverains, notre mission de service public a été rendue », se réjouit Hervé Cardinal. Son bilan fait seulement état d’un terrain de golf — construit en zone inondable —, d’une maison en bord de rivière et d’un pâté de maisons touchés par les inondations.

Si la casse a été limitée, c’est notamment, estime-t-il, grâce au système de télégestion et de régulation hydraulique automatisée dont s’est pourvu le syndicat en 1993. C’était, à l’époque, une première en France. Ce logiciel, plus courant aujourd’hui dans les structures gérant les cours d’eau, se pilote à distance et fonctionne à l’aide de sondes disposées sur des points stratégiques du cours d’eau.

Chaque bassin de retenue est équipé d’un chalet de télégestion, dans lequel un serveur renvoie les informations sur plusieurs paramètres (changement de débit, pluviométrie…) au logiciel qui donne ensuite automatiquement des consignes d’ouverture ou de fermeture des vannes. Le syndicat, qui dispose également d’un outil de prévision de la pluviométrie, peut réagir rapidement et gagne le temps du déplacement d’une personne sur le terrain.

Hervé Cardinal, directeur des services techniques au SIAVB, montrant la carte du réseau de bassins du SIAVB et leurs niveaux de remplissage. L'objectif étant d'anticiper la hauteur de ces derniers pour éviter que les cours d'eau débordent. | Julie Balagué pour Le Monde

« Pendant la crue on a pu optimiser les bassins de retenue et ne pas dépasser le débit maximal de sortie en aval auquel nous sommes tenus. On a même pu aider en amont la commune de Saint-Quentin-en-Yvelines, en les autorisant à doubler leur débit », raconte Hervé Cardinal, soulignant l’intérêt d’avoir en temps réel une vision globale de la zone dont il a la charge : 120 km² où vivent environ 130 000 personnes.

Patrouille quotidienne

Mais la gestion de la Bièvre, ce n’est pas qu’un écran d’ordinateur. C’est une association entre informatique et waders, du nom du pantalon étanche qui permet d’entrer dans l’eau jusqu’à la poitrine, tout en restant au sec. A Verrières-le-Buisson, la technologie s’allie à l’humain, en l’occurrence une équipe de quatre gardes-rivières.

Parmi eux, Eric Javanaud, garde-rivière au SIAVB depuis dix-neuf ans. Depuis la crue, il patrouille tous les jours autour de la Bièvre et de ses affluents pour vérifier que les grilles de protection ne sont pas bouchées par des détritus : un embâcle empêchant le bon écoulement peut vite amener à un débordement.

Grille de protection en aval du bassin des Bas près de Jouy-en-Josas. Ces grilles sont nettoyées quotidiennement en cas de crue, une fois par semaine en période calme. | Julie Balagué pour Le Monde

« La télégestion, c’est très bien, mais sans intervention sur le terrain, les problématiques restent les mêmes », explique-t-il. En temps normal, lors de la tournée hebdomadaire, les gardes-rivières ramassent environ 300 kg de déchets. En ce moment, la moyenne est à une tonne par jour.

Outre les indicateurs du logiciel, les gardes-rivières sont souvent prévenus par les riverains. Ainsi lundi, sur un bras mort de la Bièvre, Eric Javanaud a été averti d’un éboulement d’une berge à Verrières-le-Buisson. Il a creusé pour que le cours continue de s’écouler. Le SIAVB doit maintenant contacter le propriétaire de cette section pour que ce dernier engage des travaux plus importants.

En aval, au bassin de Vilgénis, sur la commune de Massy (Essonne), il montre les saletés apportées par l’eau, lorsque le bassin a débordé. Les déchets s’entassaient sur toute la hauteur de la grille. Il a fallu une journée pour tout nettoyer. Ce jeudi, quelques branchages, des poissons morts et d’autres objets bloquent légèrement l’écoulement. Il les retire mécaniquement, et aussitôt le niveau du bassin baisse de plusieurs dizaines de centimètres.

Eric Javanaud, garde-rivière, fait fonctionner le dégrilleur pour retirer les déchets des grilles de protection. Derrière lui, un chalet de télégestion, bassin de Vilgénis (Massy). | Julie Balagué pour Le Monde

Actions ingrates

Le bassin des Damoiseaux, sur la commune d’Igny, a une particularité : le syndicat l’a vidangé en début d’année, pour le transformer en zone humide, au lieu d’un bassin d’eau permanent. De cette façon, un tiers du volume de stockage a été gagné : le bassin a désormais une charge totale maximale de 39 000 m3.

Le projet, par ailleurs plus favorable à la biodiversité, a suscité une forte opposition des riverains, certains accusant le SIAVB de défigurer le paysage. Hervé Cardinal aimerait pouvoir leur montrer le graphique qu’il a réalisé après la crue : une courbe montre le niveau de stockage atteint après les fortes pluies, permettant un recul de plusieurs heures du moment de débordement. Sans les trois bassins vidangés par le SIAVB depuis l’année dernière, « on aurait doublé le débordement », assure-t-il.

Le bassin des Damoiseaux à Igny est en cours de transformation en zone humide. | Julie Balagué pour Le Monde

Un gain non négligeable en période de forte pluviométrie, qui a participé à limiter les inondations. « Il n’y a pas que le logiciel de télégestion », insiste Jean-Michel Bordes, directeur général des services du SIAVB :

« Nos bons résultats viennent de la somme d’actions ingrates, invisibles mais essentielles, qu’on mène depuis trente ans avec les communes. L’entretien des berges, c’est fondamental par exemple. De plus, les avis que nous rendons lors des instructions pour les permis de construire sont toujours suivis. Si on avait construit des lotissements partout, nous n’aurions pas mieux fait que les autres. »

Un constat partagé par Sylvain Rotillon, directeur du syndicat mixte du bassin-versant de la Bièvre (SMBVB), chargé de coordonner les acteurs du bassin. Pour lui, la bonne gestion de la crue cette année, « c’est un peu de tout : il y a aussi de la chance, parce que la décision de vidanger les bassins a été prise au bon moment. Cela aurait pu tomber l’année prochaine. Sans les vidanges, on aurait eu des inondations vraiment plus fortes ».

« On a peut-être eu moins d’eau aussi. Heureusement que les pluies n’ont pas duré plus longtemps. Mais la chance ça ne suffit pas. »

Jean-Michel Bordes tient de son côté à faire profil bas et appelle à la vigilance. Ces jours-ci, il peine à lâcher des yeux son ordinateur. Il faudra près d’un mois pour vider l’un des bassins, qui a surstocké un important volume d’eau. Une période pendant laquelle la vallée sera vulnérable, alors que des pluies sont encore prévues.