Manifestation du 14 juin : « J’ai été arrêtée parce que je m’habille en noir »
Manifestation du 14 juin : « J’ai été arrêtée parce que je m’habille en noir »
Par Clémentine Billé
Dix-huit personnes étaient jugées en comparution immédiate, jeudi, devant le tribunal correctionnel de Paris pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ».
Le 14 juin à Paris, lors de la manifestation contre la loi travail. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
Une « métalleuse » en larmes, un fiché « S » qui veut devenir avocat et un étudiant en philo suréquipé : le défilé des prévenus jugés en comparution immédiate, jeudi 16 juin, deux jours après la manifestation parisienne contre la loi travail marquée par de violents affrontements, n’aura pas beaucoup éclairé sur le profil des « casseurs ».
Dix-huit personnes étaient jugées en comparution immédiate, jeudi, devant le tribunal correctionnel de Paris pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Lors de la journée d’action, 58 hommes et femmes avaient été appréhendées à Paris et 44 d’entre eux placés en garde à vue. Le préfet de police, Michel Cadot, a estimé à 800 le nombre de « casseurs » qui participaient au défilé. Et accusé certains militants de la CGT d’avoir pris part aux violences, déclenchant une vive polémique entre le syndicat et le gouvernement.
Jeudi, le seul syndicaliste CGT à comparaître, accompagné d’un comité de soutien, obtient le renvoi de son procès. Elu local et employé municipal, il est accusé de violences lors de son interpellation. Placé sous contrôle judiciaire, il échappe au mandat de dépôt.
« Ne laissez pas mourir son chat ! »
Marine B. est la seule femme sur le banc des accusés. « Ne laissez pas mourir son chat ! » Me Adrien Mamère, son avocat est mi-énervé mi-ironique quand il demande la relaxe de sa cliente. Cette assistante d’éducation de 29 ans est en larmes à la barre. Son chat est seul dans son appartement à Amiens depuis mardi. Elle a peur. Mais elle s’inquiète aussi pour elle. « Je travaille pour l’Etat, si j’ai un casier judiciaire, je vais perdre mon travail », articule-t-elle entre les sanglots.
Marine B. est venue mardi avec un bus de Force ouvrière (FO). Un coup de tête pour la jeune femme qui n’est pas syndicalisée. Dès le début de la manifestation, elle s’éloigne du groupe FO avec une amie. Elle veut défiler « en tant que citoyenne libre ». D’autres habitants d’Amiens sont en début de cortège, elle tente de les rejoindre. Mais la jeune femme se retrouve à côté d’un groupe vêtu de noir, qui jette des projectiles sur les CRS. Ces derniers chargent à ce moment-là. La jeune femme est interpellée vers 14 h 30 avant d’être conduite à l’hôpital. Trois points de suture le crâne, trois jours d’arrêt de travail. « Je me suis juste mis en boule après avoir reçu un coup à la tête, lâche-t-elle. J’ai été arrêté parce que je m’habille en noir, j’ai un look de métalleuse. » Après avoir répété sans relâche qu’elle était « au mauvais endroit, au mauvais moment », la jeune femme fond de nouveau en larmes. Le procureur requiert six mois de sursis et d’interdiction de se rendre à Paris. Elle est relaxée.
Masque de carnaval
D’après les forces de l’ordre, à 17 h 30 mardi, Faisal A. jetait des pierres sur l’esplanade des Invalides. Ou plutôt voulait le faire. Le jeune homme assure qu’il s’était baissé pour refaire son lacet, et non pour ramasser des cailloux. A 27 ans, cet étudiant parisien vient d’obtenir son master en droit des affaires. Il veut passer l’examen du barreau en septembre. Surprise, Faisal A. fait l’objet d’une fiche « S ». « Je l’apprends », assure-t-il. « C’est à cause de mes engagements de militant antiraciste et anti-islamophobie. » Son dossier évoque plutôt un port d’arme prohibé, des violences aggravées envers une personne dépositaire de l’ordre public et la présence dans un groupe armé. Tous les soupçons remontent, ou sont antérieurs à 2007. Son casier judiciaire est vierge.
Mais Faisal A. portait mardi deux masques empêchant de l’identifier pendant la manifestation. Un masque de carnaval, vénitien, doublé d’un autre, chirurgical, juste en dessous. « Le chirurgical, pour les gaz lacrymogènes, et le vénitien, pour réaliser de belles photos », explique-t-il avec aisance. Le procureur est ferme. A aucun moment il n’est fait mention de gaz lacrymogènes sur le site, qui justifierait le port d’une quelconque protection. Le jeune homme est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, une amende de 300 euros et une interdiction d’aller dans divers lieux propices au rassemblement de la capitale.
Un masque de plongée, une casquette coquée, des protège-tibias, un protège-sexe et un K-Way noir : c’est l’équipement de Quentin G., un étudiant en philosophie de Poitiers, pour la manifestation parisienne. Le jeune homme de 22 ans se défend : « En voyant les images des CRS et manifestants blessés à la télé, j’ai voulu prendre mes précautions. » Il est interpellé en fin d’après-midi, vers 17 h 30, alors qu’il se trouve près d’un groupe d’une cinquantaine d’individus. Des casseurs.
L’un des agents des forces de l’ordre le remarque, l’interpelle. Le jeune homme lui jetait des projectiles, selon l’agent, qui s’est porté partie civile. L’avocate de l’accusé plaide une méprise de la part du policier. Son client n’a pas réalisé, il n’a pas eu le temps de s’éloigner des casseurs. Son profil – il est décrit comme un élève brillant par ses professeurs – ne colle pas du tout avec celui d’un casseur. La présidente lit alors un passage de la déposition de Quentin G. : « Si je devais me préparer à l’affrontement, je prendrais un marteau et une kalachnikov. » De l’ironie, selon son avocate. La présidente laisse échapper une grimace. « Pensez-vous que dans le contexte actuel, il soit judicieux d’utiliser ces termes pendant une garde à vue ? » Quentin G. est finalement condamné à six mois de prison avec sursis et 200 euros d’amende pour préjudice moral contre le policier.