Le festival d’Aurillac joue l’interactivité entre artistes et public
Le festival d’Aurillac joue l’interactivité entre artistes et public
Par Camille Tidjditi
La trentième édition du rendez-vous international de théâtre de rue aura lieu, du 17 au 20 août, dans un contexte de sécurité renforcée
Représentation de « La Veillée » par la compagnie Opus, à l’affiche de l’édition 2016 du Festival d’Aurillac. | NICOLAS JOUBARD
Le Festival international de théâtre de rue d’Aurillac refuse de vieillir : un an après la célébration de son trentième anniversaire, c’est une trentième édition « bis » qui s’apprête à accueillir quatre jours de spectacle vivant au coeur du Cantal. Pourtant depuis un an les choses ont changé : comme de nombreuses manifestations estivales aux lendemains de l’attentat de Nice, le festival doit pour se maintenir négocier avec des mesures de sécurité renforcées.
Une population qui quadruple
La commune d’Aurillac connaîtra du 17 au 20 août un important afflux de visiteurs et d’artistes de rue : 130 000 spectateurs, plus de 600 compagnies de passage sont attendus. Un nombre important pour une ville qui compte en temps normal moins de 30 000 habitants. Le festival propose en outre plus de 100 lieux de spectacles en plein air, dans la programmation officielle ou le off. Spécificité du festival, la ville est ouverte à tous les artistes de passage et de nombreux spectacles proposent des parcours déambulatoires dans la ville. Autant de caractéristiques qui rendent la manifestation difficile à encadrer.
Représentation de « La Veillée » par la compagnie Opus, à l’affiche de l’édition 2016 du Festival d’Aurillac. | NICOLAS JOUBARD
Chez les organisateurs, on assure que toutes les mesures ont été prises pour garantir le bon déroulement de la manifestation et la tranquillité des spectateurs, en concertation avec la préfecture, la ville d’Aurillac, la police et les secours.
Les dispositifs de sûreté seront renforcés : contrôles visuels systématiques, consignes pour les bagages trop imposants, interdiction des véhicules dans certaines zones du centre-ville. Des mesures particulières s’appliqueront aux spectacles se déroulant sous châpiteau ou dans des espaces semi-fermés. Ainsi, la représentation de voltige de la compagnie Gratte-ciel, spectacle à grosse jauge, fera l’objet d’un contrôle d’accès strict, avec palpation de chaque spectateur et fouille des sacs. Un dispositif de sécurité proche de celui mis en place en juillet lors du festival Châlon dans la Rue qui s’est tenu moins d’une semaine après l’attentat du 14 juillet à Nice.
Lire aussi : A Châlon, artistes et public feront attention en traversant les rues
Jean-Marie Songy, président du festival, insiste sur le caractère renforcé mais pas inhabituel de telles mesures : « nous avons toujours travaillé en coopération à la fois avec le ministère de la Culture et le ministère de l’Intérieur ». Il se félicite aussi de l’absence d’incidence de ces mesures sur le programme : aucune annulation de spectacle n’est prévue pour le moment et aucun désistement artistique de la part des compagnies annoncées.
Les premières représentations dans le cadre des Préalables (programmation de spectacles en amont du Festival dans des villes et villages du département et de la région) incitent aussi à l’optimisme. Dans le village de Calvinet, la représentation du spectacle de danse de la compagnie Woest s’est déroulée sans que la présence de la gendarmerie n’entrave le parcours des artistes et des visiteurs : « les spectateurs ne les ont même pas remarqués ».
Le surcoût dû à ces mesures de sécurité supplémentaires est encore à déterminer. Il sera assumé à la fois par le festival, la ville d’Auriac et le ministère de la Culture, qui a ouvert à cet effet un fonds de soutient exceptionnel depuis l’attentat du Bataclan.
« On ne nous a pas demandé de ne pas faire la fête. »
La chargée de communication du festival se veut rassurante et parle avant tout de mesures de « bon sens » : « comme dans le cas de risques météorologiques, on pense avant tout au public ». Le mot d’ordre est « bienveillance, patience, vigilance ». Pour Jean-Marie Songy aussi, le renforcement des mesures de sécurité est une évidence, qui ne contredit pas l’esprit du festival. Il souligne le soutient et la détermination de Pierre Mathonier, maire d’Aurillac, à défendre ce style de rencontres artistiques. Le maintien du festival dans ces conditions se fera « tant que cela sera supportable éthiquement et artistiquement, et pour l’instant c’est le cas. »
Au-delà de simples mesures sécuritaires, un tel dispositif vient prolonger la réflexion du festival sur l’appropriation de l’espace public par l’art vivant. Jean-Marie Songy rappelle la raison d’être du festival et des arts de la rue : faire de l’espace public un lieu d’expression artistique. « Je fais confiance aux artistes pour s’adapter aux nouvelles conditions urbaines dans lesquelles nous vivons. Il y a vingt ans, certains types d’expressions de rue étaient impossibles. Ce sont les artistes qui ont ouvert l’espace public par leur travail. Ils vont trouver les solutions pour maintenir une relation directe avec la population. »
Jeunes équipes et compagnies implantées
Cette année, c’est une programmation mêlant jeunes équipes et compagnies plus implantées qui est proposée aux festivaliers : sur les 20 compagnies officielles présentées cette année, 10 n’ont jamais été programmées à Aurillac. Avec toujours une exigence, celle de la variété. Danse, théâtre, cirque, poésie et performance seront représentées, invitant le spectateur à se réapproprier l’espace urbain.
« Entr(EUX) », de la compagnie de danse Malaxe. | ADRIEN BARGIN
La compagnie Ici-même propose ainsi le dispositif « Fist Life Aux Armes et caetera », une expérience de réalité virtuelle, individuelle et immersive. Muni d’un smartphone, le visiteur est amené à déambuler dans l’espace urbain, incarnant tour à tour une demandeuse d’asile, une travailleuse clandestine ou un adulescent aux troubles de la personnalité... La très attendue compagnie KompleX KapharnaüM présentera son nouveau spectacle-performance L’Immobile , conte urbain invitant le spectateur à suspendre le temps pour goûter la ville en spectateur. Sont aussi annoncés le collectif de danse Malaxe, déjà applaudi cette année à Châlon-sur-Saône, le spectacle Icônes, d’Anne-James Chaton, hommage aux héroïnes de l’histoire du XX è siècle, ou encore Leurre H de la compagnie l’Escale, anticipation politico-poétique mettant à l’honneur la prouesse physique et la performance circasienne.
Autant de propositions pour réinventer un art populaire urbain, festif et poétique. Pour Jean-Marie Songy « les artistes n’ont pas de doute, il y a juste une conversation à nouer avec l’espace et le public actuels ». Et d’ajouter : « Quoiqu’il arrive, nous continuerons à jouer du tamtam sous les étoiles et à raconter aux gens les plus belles histoires du monde ». De quoi, espérons-le, préserver l’esprit de « foranisme » cher à Michel Crespin, le fondateur du festival.