Le Subbuteo se cherche une seconde jeunesse
Le Subbuteo se cherche une seconde jeunesse
Par Christophe-cécil Garnier
Au départ destiné aux enfants, le Subbuteo est, depuis, devenu un véritable sport, avec sa Coupe du monde. En France, des passionnés s’y préparent activement malgré la perte de popularité de la discipline.
Compétition de Subbuteo. | Anthony Voisin pour "Le Monde"
Des gouttes perlent sur le visage de Jean-Marie Amberny. Quelques secondes avant un coup décisif, l’un des meilleurs joueurs français de Subbuteo transpire. La faute à une tension maximale ? Non. Plutôt celle d’une salle à la climatisation chancelante et à une température caniculaire. D’un coup, il trompe la vigilance de son adversaire et inscrit un premier but. Son léger cri de joie résonne dans le gymnase d’Issy-les-Moulineaux, où une quinzaine de joueurs s’affrontent et se préparent pour la Coupe du monde de Subbuteo, qui a lieu les 3 et 4 septembre en Belgique. Un sport loin d’être une fantasque danse brésilienne ou un obscur plat portugais mais plutôt un jeu de « football de table ».
Les règles sont d’ailleurs les mêmes que celle du grand frère sur gazon. Mais avec des figurines de deux centimètres de haut et un terrain de feutrine verte de 122 centimètres sur 80. Au-dessus, deux joueurs s’opposent. A coup d’index, l’attaquant fait progresser ses pièces et le ballon jusqu’à la zone de tir pour marquer. En face, le défenseur place ses pions en barrages sans toucher la balle. Si le premier manque son tir ou la sphère, les rôles s’inversent. Chaque match dure trente minutes. « Le Subbuteo, c’est un mix de précision comme au billard ainsi qu’une concentration et des tactiques similaires aux échecs », détaille un des joueurs tout en effectuant une pichenette.
Dix-huit pays et 250 participants
Chaque saison, ces passionnés oscillent entre les nombreux tournois nationaux et continentaux. La compétition est orchestrée comme au tennis, avec cinq « Majors » complétés par des « Grands Prix » et des « Opens internationaux ». Depuis 1994, une Coupe du monde est organisée par la Fédération internationale de football de table sports (FISTF). Cette année, dix-huit pays et 250 participants s’affronteront à Frameries, à la frontière franco-belge. Malgré cette proximité, la France ne fait pas partie des favoris face à des nations comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique qui trustent presque la totalité des titres. « On n’a pas beaucoup d’espoirs pour cette édition », estime Thomas Ponté, le président de la Fédération française de football de table sport (FFFTS) – qui ne bénéficie pas d’un agrément du ministère des sports (conformément à l’article L131-8 du code du sport) –, évoquant toutefois des possibilités de podium pour l’équipe féminine et les juniors (moins de 19 ans).
Ce trentenaire, fan de football et de l’AJ Auxerre, dresse tout de même un constat positif : « On est présent dans toutes les catégories. C’est une première depuis dix ans ! » Les joueurs et joueuses de l’équipe de France vont s’engager dans deux compétitions, en équipe et en individuel. Dans la première, quatre sportifs d’une nation font face à leurs adversaires. Chacun joue individuellement, mais le nombre de buts du quatuor est ensuite comptabilisé pour donner le score final. C’est la formule privilégiée par les Français. « On est tous devenu amis avec le “par équipe”. Ça a forcément une saveur particulière », avoue Jean-Marie Amberny, dont le premier Mondial date de 1996.
De nouvelles parties s’engagent. Les pieds des joueurs crissent sur le parquet de la salle à force de trépigner autour de la dizaine de tables de Subbuteo, qui jouxtent les cages de handball et sont surplombées par les paniers de basket. Axel Donval fait méthodiquement avancer ses pièces pendant que son adversaire tente de le maintenir à distance. En vain. Arrivé dans la zone de tir, il lance une frappe qui se loge dans la lucarne des buts miniaturisés. En face, son opposant pousse un soupir de dépit. Après la rencontre, le sélectionneur-joueur de l’équipe de France demande l’aide d’un de ses coéquipiers, Thierry Vivron. La raison ? Un de ses pions a quitté son socle. Le quinquagénaire ne fait ni une ni deux et rafistole la figurine. Après quarante-quatre ans à taper du doigt, le plus ancien joueur de Subbuteo en activité a toujours une trousse de secours avec lui. « J’en fais depuis l’âge de 13 ans, témoigne-t-il. J’ai toujours dit à ma femme que j’arrêterai quand je jouerai mal. Je ne joue plus aussi bien, mais je me débrouille encore ! »
Des joueurs de Subbuteo. | Anthony Voisin pour "Le Monde"
« Comme Aimé Jacquet en 1998 »
Tous ces amateurs n’y consacrent pas autant de temps. Ils doivent jongler entre leur travail, leur passion et la vie de famille. Les heures d’entraînement en pâtissent. Une situation qu’aimerait bien faire évoluer Axel Donval, qui entame sa troisième année comme sélectionneur. « On n’est pas assez dans le sport. On joue pour se faire plaisir, mais il y a des joueurs qui ne jouent pas de l’année. Cela n’arrive pas chez les autres nations. L’équipe de France n’est pas une consécration, il faut se battre. » Axel Donval ne souhaite pourtant pas un culte de la performance, juste que chacun donne le meilleur de soi-même. « Les Italiens, on a beau les critiquer, ils sont à fond dans le sport. Ils se battent jusqu’à la mort. Et nous, non. » Ironiquement, ce sont bien les joueurs de la botte qui ont le meilleur coup de main. Le jeu y possède une popularité bien plus importante que chez ses voisins – il se dit même que Gianluigi Buffon, le légendaire gardien de la Squadra Azzura, en serait fan – au point que des Français s’expatrient les week-ends pour y jouer.
Thomas Ponté, le président de la FFFTS, vise également un côté « beau perdant » : « On va se vanter d’avoir eu quinze tirs, mais on perd quand même à la fin. Depuis quelques années, le sélectionneur veut s’orienter vers un côté plus pragmatique, comme Aimé Jacquet en 1998. » Au moment où l’équipe de France de football connaît son premier titre mondial, celle de Subbuteo entame son déclin après avoir fait partie des trois premiers mondiaux. Plusieurs raisons sont invoquées par les joueurs. La première est technique : le niveau a augmenté. « Avant, seulement cinq ou six challengers prétendaient au sacre, mais aujourd’hui, la densité est beaucoup plus forte », estime Jean-Marie Amberny, qui cite des pays arrivés sur le tard comme la Grèce. Pour le doyen Thierry Vivron – qui a gagné une fois la Coupe du monde en 1998 dans la catégorie vétéran – le changement des pièces a facilité l’apprentissage des débutants. « Avant, le fait d’avoir des figurines basées sur des culbutos rendait le jeu beaucoup plus ardu. La Fédération internationale a changé les socles pour le rendre plus abordable. Du coup, le niveau s’est homogénéisé. »
Entre chaque match, les joueurs rangent soigneusement leurs figurines dans de petites boîtes métalliques ou en bois. Elles sont alignées comme des pièces de collection. D’autres sortent un chiffon et lustrent le dessous des socles pour faciliter les déplacements. Thomas Ponté observe ces scènes d’un œil distrait. « C’est compliqué de progresser parce que c’est une histoire de moyens et de joueurs avant tout, indique-t-il. En France, il y a moins de concurrence pour nos meilleurs joueurs. Ils ont donc moins besoin de s’entraîner et ça en découle sur notre niveau de jeu international. Ce sera difficile de sortir de ce cercle vicieux sans nouveaux arrivants. »
La Fédération française ambitionne de rassembler 4 000 licenciés. | Anthony Voisin pour "Le Monde"
« Ils préfèrent jouer à la PlayStation ou à Pokémon Go »
A ses débuts, Jean-Marie Amberny était classé 520e. « Tu progressais beaucoup plus en t’opposant à des novices de ton niveau. Maintenant les débutants affrontent les meilleurs, ils se prennent des volées et c’est frustrant pour tout le monde », témoigne-t-il. Derrière lui trône une publicité pour le jeu Subbuteo, avec Christian Karembeu en souriant homme-sandwich. Le jeu a connu un arrêt de commercialisation en France entre 1998 et 2013, ce qui a amené de nombreux joueurs à stopper leur activité. Le jeu de football de table était dans les rayons depuis les années soixante. De jeu pour les enfants, il passe à l’étage supérieur quand la première Fédération française et les clubs se créent à partir de 1980. La pratique connaît un âge d’or pendant une dizaine d’années et la Fédération française ambitionne de rassembler 4 000 licenciés. Aujourd’hui, ils sont moins d’une centaine.
Pourtant, lors de l’Euro 2016, des événements autour du Subbuteo ont été organisés. Thomas Ponté assure qu’il y a eu, à chaque fois, de très bons retours du public et des organisateurs. « Cela nous conforte sur le fait que c’est une activité qui plaira toujours. Par contre, dès qu’il faut convaincre les personnes de s’impliquer, cela devient beaucoup plus compliqué. » Pour Jean-Marie Amberny, cette situation est liée à la concurrence numérique. « On n’avait pas Fifa, nous. Quand les gamins ont entre dix et quatorze ans, tu peux les accrocher. Mais après, ils préfèrent aller jouer à la PlayStation ou à “Pokémon Go” avec leurs amis. » Ceux qui restent ont souvent un de leurs parents qui jouent dans une autre catégorie.
Le chrono tourne. Les esprits sont moins concentrés, les mains deviennent moites et les coups sont moins précis. Jean-Marie Amberny finit par s’incliner. L’absence d’entraînement pendant les vacances se fait sentir. Pour être parfaitement affûté, il compte taper du doigt pendant quelques jours avant de se donner un break d’une demi-semaine. « Comme ça, quand j’arrive à la Coupe du monde, j’ai vraiment les crocs. »
Dix-huit pays et 250 participants s’affrontent lors de la Coupe du monde de Subbuteo. | Anthony Voisin pour "Le Monde"