Houda Benyamina : « Il faut féminiser le courage »
Houda Benyamina : « Il faut féminiser le courage »
Propos recueillis par Marie Godfrain (Propos recueillis par)
Chaque semaine, une personnalité répond à un questionnaire de Proust revisité par « L’Epoque ». La réalisatrice de « Divines » s’est prêtée à l’exercice.
Houda Benyamina à Cannes, le 19 mai 2016. | Abd Rabbo Ammar/ABACA
J’vais l’dire, t’as du clito… » En mai, Houda Benyamina a bousculé le Festival de Cannes avec cette saillie féministe lancée durant son discours de remerciement. La réalisatrice âgée de 35 ans venait d’obtenir la Caméra d’or pour Divines, son premier film, en salles depuis le 31 août. Chronique sociale, tragédie grecque, histoire d’amitié et d’amour filmée avec exaltation, Divines ressemble à son auteure, une boule d’énergie, une enragée et une battante.
Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?
J’aurais aimé lutter avec les Black Panthers, connaître l’époque de Mohamed Ali, Martin Luther King et Malcolm X, ou alors la Révolution française. J’aime ces époques où des hommes remettent en cause l’ordre établi grâce à des combats. Je suis fascinée par ces gens prêts à mourir pour leurs idées.
Une image de notre époque ?
Une photo de clitoris, bien sûr ! Cette expression « t’as du clito » que l’on entend dans le film m’est venue lors d’une discussion il y a quelques années. Je trouve important de féminiser le courage, d’autant plus lorsqu’il est évoqué par le clitoris, qui induit l’idée du plaisir féminin !
Un son ?
L’absence de silence. Il y a toujours tellement de bruit autour de nous que l’on a de moins en moins le temps et l’opportunité d’expérimenter le silence. On est toujours sollicité par le son d’un portable. On ne sait plus faire le vide… Le silence n’existe plus.
Un livre ?
La Famille, un trésor et un piège, d’Alexandro Jodorowsky [avec Marianne Costa, Albin Michel, 2011]. Un essai qui m’a beaucoup marquée. Il parle du poids de la famille dans nos gènes, de la façon dont cela nous détermine et explique comment travailler dessus pour se libérer et éviter de reproduire les erreurs du passé ou de nos ancêtres.
Un slogan ?
« Tu frappes, tu caresses », que j’utilise dans mon film et qui est emblématique du cours de l’histoire alternant entre périodes de crise et moments glorieux. Nous sommes clairement à une époque où l’on frappe… Mais je suis plutôt pour, ça permet de ne pas mollir.
Une expression agaçante ?
« LOL », je trouve la sonorité très laide, et je déteste le côté non assumé des phrases qui sont ponctuées par cette expression.
Un bienfait de notre époque ?
La communication. Internet a permis des avancées inouïes. Je suis systématiquement pour le progrès qui permet de se dépasser. J’aime cet outil au service de l’information et de l’intime. Par exemple, j’appartiens à un groupe Facebook où sont inscrits 85 de mes cousins répartis dans le monde entier… Et j’adore aussi l’idée de tout savoir en temps réel sur l’actualité, notamment grâce à [l’appli de vidéos en direct] Periscope.
Le mal de l’époque ?
Le besoin de s’attaquer à des boucs émissaires au lieu de chercher des solutions. Il fut un temps où le bouc émissaire était le protestant, puis le juif ; maintenant, c’est le musulman. Un comportement dévastateur pour l’humanité.
C’était mieux avant, quand…
J’adore mon époque, même s’il s’en dégage comme une odeur de guerre mondiale. Si j’étais née homme, d’autres époques m’auraient séduite, mais heureusement qu’en tant que femme je vis au XXIe siècle.
Ce sera mieux demain, quand…
Les femmes auront une place plus importante dans la société. Mais je suis confiante, la marche de l’histoire l’impose !