Angela Merkel, le 28 août à Berlin, lors d’un entretien avec la chaîne de télévision publique allemande ARD. | RAINER JENSEN / AFP

Editorial du « Monde ». Le désaveu est profond. Un an après avoir ouvert les portes de l’Allemagne aux réfugiés syriens, un an avant les élections générales de 2017, Angela Merkel a subi dimanche 4 septembre un revers politique majeur. Dans son fief électoral, le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, aux confins de l’Allemagne de l’Est, sur les bords de la Baltique, le parti de la chancelière, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), arrive en troisième position, avec 19 % des voix. Devancée par le parti populiste, Alternative für Deutschland (AfD), qui recueille 20,8 % des voix, derrière les sociaux-démocrates (30,6 %).

Bien sûr, on peut tempérer la signification de ce vote, où tous les partis démocratiques reculent. Le Mecklembourg est une petite région oubliée de l’ex-Allemagne de l’Est, frappée par un chômage de 9 %, qui ne représente que 2 % de la population allemande et 1,3 % de sa richesse. Les électeurs de l’AfD sont moins de 150 000.

Il n’empêche, l’avertissement est sérieux contre la chancelière, qui se prépare à briguer un quatrième mandat. En ouvrant ses portes aux réfugiés, Angela Merkel savait qu’elle heurterait de front une partie de son électorat. Sa décision était un mélange de pragmatisme et d’idéalisme : les réfugiés avaient déjà pris la route des Balkans, il fallait éviter une catastrophe humanitaire et l’« appel d’air », s’il a eu lieu, n’a été que marginal. Ensuite, Angela Merkel voulait que l’Allemagne, pour la première fois de son histoire et après la catastrophe nazie, porte l’esprit universel comme la France a pu le faire avec la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Avec l’accueil des réfugiés, elle voulait, en ce début de XXIe siècle, assurer la « rédemption » de son peuple.

Equilibre institutionnel menacé

Ce choix était le bon, même s’il aurait dû être concerté au niveau européen. Il a un coût politique fort. Les agressions de la nuit de Cologne, le 31 décembre 2015, les attaques terroristes de l’été, la difficulté à donner un travail à tous les réfugiés, tout cela a fait perdre aux Allemands une partie de leur enthousiasme des premières semaines. S’y sont ajoutés deux reproches personnels à la chancelière : elle ne maîtrisait pas la situation – elle a tenté d’y remédier en signant un accord peu reluisant mais efficace avec la Turquie pour tarir le flux de réfugiés – et elle décide de tout, toute seule, dans une dérive monarchique.

L’Europe ne peut se permettre la fin de l’exception allemande, qui a réussi à être épargnée dans les élections nationales par la vague ultra-nationaliste

Cette crise menace l’équilibre institutionnel outre-Rhin, alors que les sociaux-démocrates, moribonds et laminés dans les sondages, sont bien en peine de présenter une alternative politique. Dans cette affaire, Angela Merkel a brisé deux lois de la politique allemande. D’abord, elle a laissé émerger un parti à la droite de la CSU, les chrétiens sociaux de Bavière, qui se chargeaient jusqu’à présent de canaliser les pulsions droitières d’une partie de la population. Pis, elle prend le risque de faire éclater la droite traditionnelle, qui subirait le destin des autres droites en Europe : une droite humaniste, ouverte, mais anémiée, et une droite dure courant après les populistes. Une rupture avec les Bavarois serait délétère politiquement. On n’en est pas là.

L’Europe ne peut se permettre la fin de l’exception allemande, qui a réussi à être épargnée dans les élections nationales par la vague ultra-nationaliste. La responsabilité historique d’Angela Merkel est là aussi. Au plus bas de sa popularité, elle a un an pour convaincre.