Le président français, François Hollande, lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 20 septembre 2016. | TIMOTHY A. CLARY / AFP

Il faut lui reconnaître le mérite de la constance. Le soutien à la rébellion et l’engagement pour une Syrie démocratique, unitaire et pluraliste en lieu et place de la sanglante dictature de Bachar Al-Assad sont restés, tout au long de son quinquennat, au cœur de l’action diplomatique de François Hollande. Le président français l’a à nouveau montré mardi 20 septembre, dans son discours à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU).

« Je n’ai qu’un seul mot à dire : ça suffit ! », a lancé le chef de l’Etat français, pointant du doigt le régime syrien, « responsable », selon lui, de « l’échec » du cessez-le-feu conclu sous l’égide des Etats-Unis et la Russie. « La tragédie syrienne sera devant l’histoire une honte pour la communauté internationale si nous n’y mettons pas fin rapidement », a-t-il notamment affirmé, en qualifiant Alep de « ville aujourd’hui martyre ». Ces thèmes ont aussi été au cœur de l’intervention, mercredi 21 septembre, du ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, devant le Conseil de sécurité de l’ONU.

L’appel de Hollande sur la Syrie à l’ONU : « Ça suffit ! »
Durée : 01:04

  • D’où vient l’engagement de la diplomatie française dans le dossier syrien ?

Après le début de la révolte contre le régime, au printemps  2011, et dans l’enthousiasme suscité à l’époque par les « printemps arabes », le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, a pris fait et cause pour le vaste mouvement de protestation populaire et pacifique de la rue syrienne.

Au début de son quinquennat, il avait choyé Bachar Al-Assad, espérant des réformes, mais, lorsque ce dernier s’engage à fond dans la répression, Paris fait le choix de soutenir l’opposition démocratique syrienne. La France est la première, des pays occidentaux, à reconnaître officiellement la Coalition nationale syrienne, suspendant ses relations diplomatiques avec le régime.

Paris mise sur le renversement rapide d’un dictateur qui, selon les mots du ministre des affaires étrangères d’alors, Laurent Fabius, « ne devrait pas avoir sa place sur Terre ». Le régime a tenu grâce aux Iraniens et aux Russes, au prix d’une répression implacable qui est la principale responsable des quelque 300 000 morts de la guerre et des sept millions de réfugiés et déplacés syriens. Défiant la communauté internationale et les mises en garde du président américain, Barack Obama, le régime n’a pas non plus hésité, en août 2013, à utiliser du gaz sarin contre un quartier rebelle de la banlieue de Damas.

Mais, malgré ses engagements, M. Obama renonce à lancer des frappes aériennes contre le régime, préférant saisir l’offre russe d’un démantèlement de l’arsenal chimique syrien sous contrôle international. Cette volte-face sauve le régime syrien de Bachar Al-Assad et suscite une amertume certaine de François Hollande, qui s’était prononcé avec force en faveur de bombardements pour ne pas laisser ce crime impuni. Aux yeux du président français, la dérobade américaine est l’une des principales causes de l’actuelle situation. Il le répète, depuis, dans tous ses discours sur la Syrie, et l’a encore rappelé à New York.

Nombre de combattants rebelles se sentant trahis par les Occidentaux ont alors rejoint les djihadistes, dont l’organisation Etat islamique (EI), déjà puissante en Irak et devenue une actrice majeure sur la scène syrienne. De régionale, la crise est aussi devenue, à l’automne 2015, internationale, avec l’entrée en lice de la Russie et ses frappes aériennes.

  • Quels sont les objectifs de la diplomatie française ?

Il n’y a pas de possible solution militaire en Syrie. Cette conviction est au cœur de l’action de la diplomatie française, mais aussi de ses partenaires occidentaux, à commencer par les Etats-Unis. D’où l’insistance pour une relance des négociations de paix à Genève.

Elles avaient été amorcées au printemps, puis arrêtées après l’échec du cessez-le-feu négocié en février. Ce processus était appuyé par les Etats-Unis et, au moins en paroles, par la Russie, qui coparrainent le Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), lancé en novembre 2015, regroupant une vingtaine de pays occidentaux et arabo-musulmans, soutiens de la première heure de la révolution syrienne (les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, etc.) ou du régime syrien (Russie, Iran).

Un mois plus tard fut votée au Conseil de sécurité la résolution 2254, fixant la feuille de route pour mettre sur pied un gouvernement de transition avec toutes les parties, puis un projet de Constitution et enfin des élections sous contrôle international.

Mais le sort de Bachar Al-Assad reste la principale pierre d’achoppement du processus. L’opposition et les Occidentaux exigent son départ, même si ces derniers semblent se résigner à ce qu’il reste formellement dans ses fonctions au début de la transition. Les Russes veulent son maintien au pouvoir faute d’alternative.

Ce cadre est celui auquel se réfèrent tous les acteurs, avec plus ou moins d’arrière-pensées. Mais la relance du processus diplomatique implique un cessez-le-feu, et celui négocié le 9 septembre par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, a fait long feu.

A New York, François Hollande a ainsi posé les « quatre exigences » de la France dans ce dossier : « Imposer un cessez-le-feu, c’est le préalable ; assurer l’acheminement immédiat de l’aide humanitaire à Alep et aux autres villes martyres, c’est l’urgence ; permettre la reprise des négociations politiques (…), c’est la solution ; et sanctionner le recours aux armes chimiques, c’est la justice. »

  • Que peut la diplomatie française ?

Le président français, comme son ministre des affaires étrangères, a sans cesse répété à New York qu’il fallait aller au-delà des « discours » et des « incantations ». La constance des positions françaises dans la crise syrienne est appréciée par nombre de pays écœurés de la poursuite du carnage, en particulier les soutiens de la rébellion sunnite (Arabie saoudite, Qatar, Turquie). Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en ouvrant la séance du Conseil de sécurité, a évoqué une tragédie « qui jette la honte sur nous, un échec collectif qui devrait hanter tous les membres de ce Conseil ». Il est revenu sur la nécessité de sanctionner l’utilisation de l’arme chimique et « d’en punir les donneurs d’ordre ».

Mais, de fait, Paris ne peut pas grand-chose face à un processus totalement dominé par les Américains, et surtout les Russes, qui retrouvent à la faveur de cette crise leur rang de superpuissance interlocutrice privilégiée de Washington. Tout à la fois acteurs et arbitres, ils sont aujourd’hui l’acteur-clé de la crise syrienne face à une administration Obama en fin de mandat qui a toujours été réticente à s’engager dans ce dossier.

« Les Russes sont devenus partie au conflit en soutenant militairement le régime, et ils l’assument, alors que les Américains et les Occidentaux se veulent avant tout des médiateurs », explique un diplomate onusien. Seules les pressions pourraient faire bouger la Russie, et c’est aussi pour cela que Paris insiste autant sur la nécessité d’un texte à l’ONU sur les armes chimiques mettant clairement en accusation le régime, et qui pourrait être un levier pour obtenir des concessions.

John Kerry est resté longtemps prudent sur ce thème, mais il a haussé le ton au Conseil de sécurité : « Comment des gens peuvent-ils s’asseoir à la même table qu’un régime qui bombarde des hôpitaux et largue du chlore encore et encore et encore et encore, en toute impunité ?! », a lancé le diplomate américain en s’adressant à son homologue russe.

Paris mise aussi sur la rationalité du Kremlin, qui a tout à perdre à s’enliser dans le bourbier syrien. « Leur soutien au régime ne permettra pas la reconquête du pays, mais précipitera au contraire sa partition, créant un chaos encore plus grand », a affirmé François Hollande lors d’une conférence de presse à l’ONU. Mais d’aucuns craignent que le régime, avec l’appui russe, soit déjà lancé dans une fuite en avant misant sur la conquête de l’intégralité d’Alep et de tout ce qu’il considère être « la Syrie utile ».

L’opposition, elle, n’a guère de doute : les négociations sont, pour les Russes et le régime, un moyen de gagner du temps afin d’imposer le maximum de faits accomplis sur le terrain.