Climat : « Les Etats ne peuvent pas agir sans la société civile »
Climat : « Les Etats ne peuvent pas agir sans la société civile »
Par Laetitia Van Eeckhout
A l’occasion du sommet Climate Chance qui s’est tenu à Nantes du 26 au 28 septembre, collectivités, ONG, scientifiques et syndicats ont mutualisé leurs expériences.
Ouverture du sommet Climate Chance des acteurs non-étatiques engagés en faveur du climat | (c) Climate Chance 2016 - Franck Tomps
« Il faut de l’action, de l’action, de l’action », a martelé Armand Béouindé, le maire de Ouagadougou (Burkina Faso), en ouverture du sommet Climate Chance qui a réuni à Nantes, du 26 au 28 septembre, plus de 3 000 acteurs non étatiques d’une soixantaine de pays engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Durant trois jours, collectivités territoriales, organisations syndicales, ONG, communauté scientifique et entreprises ont échangé, débattu, mutualisé leurs expériences, leurs succès et leurs difficultés.
La ville d’Utrecht, aux Pays-Bas, qui promeut la voiture électrique et l’installation de panneaux photovoltaïques ; une communauté villageoise d’Éthiopie qui apprend à transformer les déchets en biogaz, évitant ainsi aux femmes de devoir ramasser du bois pour cuisiner ; le Costa Rica, surnommée la « Suisse de l’Amérique centrale », qui ambitionne d’être un pays neutre en carbone en 2021 ; la métropole catalane de Barcelone qui vise l’autosuffisance énergétique et le 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2050… Autant de projets qui témoignent du foisonnement des réalisations de terrain et des opportunités naissantes à travers le monde.
Neuf mois après la Conférence climat de Paris (COP21) et à quelques semaines de la COP22 de Marrakech au Maroc, la première édition de Climate Chance s’est voulu un antidote au fatalisme. Car si l’agrégation des engagements volontaires des Etats laisse encore la planète sur une trajectoire de 3 °C, ces initiatives et solutions concrètes rendent crédible l’objectif de 2 °C fixé par l’accord de Paris, estiment les intervenants présents à Nantes.
Organisés en autant de coalitions thématiques qu’englobe le sujet climat (les transports, l’énergie, l’habitat durable, la forêt…), les acteurs non étatiques se sont montrés déterminés à porter des propositions constructives et précises permettant aux Etats de procéder, dès 2018 – le point d’étape prévu dans le texte de l’accord de Paris – à une réévaluation à la hausse de leurs contributions.
Méthode à confirmer
Une détermination encouragée par Laurence Tubiana, l’une des deux « championnes du climat » (avec la Marocaine Hakima El Haïte) missionnées pour maintenir la dynamique enclenchée par l’accord de décembre 2015. Celle qui est pour quelques semaines encore ambassadrice chargée des négociations climatiques pour la France a salué la capacité des acteurs non gouvernementaux « à rendre les Etats plus courageux : c’est parce qu’il y a eu cette coordination fantastique des acteurs non étatiques que la COP21 a été un succès. Cette méthode est à poursuivre. »
Pour le sénateur écologiste de Loire-Atlantique Ronan Dantec, porte-parole chargé du climat pour l’organisation Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) et l’un des instigateurs de ce premier sommet Climate Chance, le message est clair : « Aujourd’hui, nous voulons dépasser la reconnaissance et être dans la collaboration concrète avec les États. Le temps n’est plus aux déclarations, mais à l’action. Et les Etats ne peuvent pas faire sans la société civile. Car c’est dans les territoires que l’action se passe. »
Dans leur déclaration finale, les acteurs non étatiques insistent sur cette nécessaire approche décentralisée de l’action climatique. Parce qu’elles concentrent un ensemble d’acteurs et parce qu’« elles sont beaucoup plus souples, plus agiles que les Etats », « les villes ont une responsabilité particulière. Elles sont des territoires de solutions, des accélérateurs de changement », insiste Johanna Rolland, la maire (PS) de Nantes.
C’est vrai pour les villes du Nord mais tout autant pour les villes du Sud, qui aimeraient voir leur capacité d’intervention renforcée. « L’innovation peut naître de grands comme de petits projets. En tant que ville, on s’intéresse à des solutions pratiques dont on sait qu’elles auront un impact », souligne Jennifer Semakula Musisi, directrice exécutive de la capitale de l’Ouganda, Kampala, qui, dit-elle, encourage le recyclage des déchets en briquettes combustibles, solution se substituant au charbon tout en offrant une possibilité de revenu supplémentaire à ses habitants.
« Pour accélérer la transition écologique, il faut arriver à responsabiliser les citoyens, appuie le maire de Séville, Juan Espadas, présent à Nantes. Les impliquer dans la recherche de solutions est le gage d’une évolution de leur comportement. Car au final, c’est eux qui décident… de se déplacer en transports en commun ou de continuer à prendre leur voiture, par exemple. »
Pour les acteurs non étatiques, cette approche décentralisée ne va pas sans un accès facilité pour les collectivités territoriales, et notamment celles des pays en développement, aux fonds climat (fonds d’adaptation, fonds vert pour le climat, fonds pour l’environnement mondial…). Dans leur déclaration finale, ils exhortent les pays développés à tenir « concrètement » l’engagement pris en 2009 lors de la COP de Copenhague de mobiliser 100 milliards de dollars (112 milliards d’euros) par an pour le climat.
« Crédibilité de l’accord de Paris en jeu »
« Réunir les 100 milliards et clarifier son affectation sera un enjeu majeur de la COP22. Marrakech sera la COP de l’action et de l’innovation dans la feuille de route financière, a promis Hakima El Haïte, par ailleurs ministre déléguée de l’environnement du Maroc. Il en va de la crédibilité de l’accord de Paris. Les pays les plus vulnérables attendent des annonces… des allocations. » « Indispensables pour tous ces investissements qui concernent des publics vulnérables et sont peu rentables, ces fonds doivent être mis à disposition sous forme de dons et non de prêts », a insisté Claire Ferhenbach, directrice générale d’Oxfam France, relayant une conviction largement partagée par les acteurs non étatiques.
De fait aujourd’hui, le financement actuel de l’adaptation au changement climatique permet essentiellement de soutenir des projets et des organismes nationaux de grande envergure, et délaisse le niveau local, jugé moins sûr. « Les gestionnaires de fonds restent dans une logique financière. Il faut pourtant amener les ressources au niveau local. Et ceci est possible sans que les fonds ne soient détournés, en impliquant les acteurs dans la définition des besoins, des solutions, comme des critères de performance et d’évaluation » insiste Luc Gnacadja, représentant du conseil d’administration du Fonds Local Climate Adaptative Living.
Lancé par le Fonds d’équipement des Nations unies, ce programme subventionne, dans les pays les moins avancés, des projets d’adaptation de petite et moyenne taille visant au renforcement de la résilience au changement climatique : réhabilitation d’un puits permettant de réduire les distances à parcourir pour collecter l’eau, installation de cordons pierreux permettant de retenir l’eau et d’augmenter la capacité des terres à produire, installations de panneaux solaires, etc.
L’apport est directement versé au territoire porteur du projet, et est rendu pérenne par un engagement du gouvernement à prendre à moyen terme la relève de ce transfert de ressources. « S’appuyer sur les acteurs et pouvoirs publics locaux qui sont les mieux à même de définir les priorités et les solutions est un gage d’efficience et de pertinence de l’investissement », insiste cet ancien ministre de l’environnement et du développement urbain du Bénin.