La Pologne envisage l’interdiction totale de l’avortement
La Pologne envisage l’interdiction totale de l’avortement
Par Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
Sous la pression de l’Eglise catholique et de l’aile droite du parti au pouvoir, un projet de loi prévoit de durcir une des législations les plus restrictives d’Europe. Les organisations féministes polonaises appellent à manifester samedi.
Une femme tient une pancarte à Varsovie, le 22 septembre en Pologne. | KACPER PEMPEL / REUTERS
« La fête est finie ! » C’est sous ce slogan que les organisations féministes polonaises veulent rassembler, samedi 1er octobre, une des plus grandes manifestations de femmes depuis la transition démocratique. Depuis que le Parlement polonais a décidé, le 23 septembre, de renvoyer en commission parlementaire une proposition de loi visant l’interdiction totale de l’avortement dans le pays, la mobilisation, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux, ne faiblit pas.
La « manifestation noire » – couleur de l’habit des protestataires – devrait culminer lundi 3 octobre, lors d’une grève des femmes polonaises au cours de laquelle nombre d’entre elles ne devraient pas se rendre au travail pour descendre dans la rue.
La législation sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en Pologne est déjà l’une des plus restrictives d’Europe. Fruit d’un compromis entre l’Eglise et l’Etat datant de 1993, elle est autorisée dans trois cas seulement : en cas de viol ou d’inceste, de graves pathologies du fœtus, ou de risques avérés pour la vie ou la santé de la mère. Le projet déposé au Parlement à l’initiative des organisations « pro-vie » vise à supprimer ces exceptions. Il fait écho à un appel lancé en ce sens par l’épiscopat polonais en avril.
Pour les femmes en Pologne, l’IVG reste un véritable parcours du combattant. Le nombre d’avortements légaux oscille entre 600 et 1 000 chaque année, pour 10 millions de femmes en âge de procréer. C’est un des taux les plus bas d’Europe. Les organisations féministes évaluent entre 100 000 et 150 000 le nombre d’avortements annuels, chiffres qui incluent l’avortement clandestin et le « tourisme », essentiellement vers des cliniques slovaques, tchèques, autrichiennes ou allemandes.
« L’avortement clandestin en Pologne est en baisse, parce qu’il reste très cher, aux alentours de 1 000 euros, souligne Krystyna Kacpura, la directrice de la Fédération pour les femmes et le planning familial (Federa). Pour une somme à partir de 300 ou 500 euros, les Polonaises préfèrent se rendre en Slovaquie. »
Pologne : anti et pro-avortement débattent au Parlement
Durée : 01:03
Situation préoccupante
Ce genre de pratique s’est développé ces dernières années : les cliniques proposent désormais des services en polonais, avec transport et hébergement inclus. Mais, pour les femmes vivant dans les conditions matérielles les plus précaires, même cette somme peut constituer une barrière. Une autre pratique courante – et plus accessible – est l’achat sur Internet de pilules provoquant des fausses couches.
« Même dans les cas autorisés par la loi, l’accès à l’avortement reste un véritable problème en Pologne, ajoute Mme Kacpura. De nombreux médecins se cachent derrière leur clause de conscience. L’allongement intentionnel des procédures est également monnaie courante dans les hôpitaux, les médecins ayant peur d’être incriminés ou stigmatisés par les organisations catholiques. » Ces dernières manifestent régulièrement devant les établissements concernés et sont particulièrement influentes.
Selon une étude de l’organisation Federa menée sur 200 hôpitaux, seuls 4,5 % des établissements acceptent de transmettre aux patientes les informations sur les procédures pouvant mener à un avortement légal. Dans certaines régions, la situation est préoccupante : dans la voïvodie des Basses-Carpates (2,2 millions d’habitants), aucun hôpital ne pratique l’avortement légal, faute de médecins n’ayant pas recours à la clause de conscience.
La grande crainte des organisations féministes est que tout durcissement de la loi porte également atteinte à la médecine prénatale, relativement bien développée en Pologne. Le projet de loi prévoit également des peines jusqu’à cinq ans de prison pour les mères, les médecins, ou toute personne qui aiderait à pratiquer un avortement. « En pratique, cela signifie que toute fausse couche sera suspecte et fera l’objet d’une enquête du parquet, précise Mme Kacpura. D’un point de vue légal, la vie du fœtus aura la priorité sur la survie de la mère. »
70 % des Polonais pour le statu quo
Cette proposition de loi d’initiative populaire met la majorité ultraconservatrice du PiS (Droit et Justice) dans l’embarras. La chef du gouvernement, Beata Szydlo, évite systématiquement les questions sur le sujet et le parti de Jaroslaw Kaczynski apparaît divisé. Le PiS s’était par le passé déjà prononcé en faveur de projets de loi similaires, quand il était dans l’opposition. Ayant désormais la majorité absolue, le parti se retrouve sous la pression de son aile droite et de l’Eglise.
Le durcissement de la loi est également soutenu par une majorité du groupe parlementaire populiste Kukiz’15, la troisième force politique du Parlement, et aurait – en théorie – toutes les chances d’être adopté. Mais, à droite, beaucoup pensent que le projet pourrait être édulcoré en commission parlementaire. Les centristes de la Plate-forme civique (PO) défendent pour leur part le statu quo actuel.
Beaucoup – y compris au sein du PiS – redoutent l’ouverture d’un front supplémentaire, alors que le gouvernement est déjà sous le feu des critiques internationales, notamment sur la réforme de la justice. Selon les dernières études d’opinion, 70 % des Polonais se prononcent pour le maintien du compromis actuel – contre 14 % pour un durcissement de la loi et 16 % pour sa libéralisation.
Le Parlement européen a décidé, à l’initiative des groupes libéraux et sociaux-démocrates, de débattre sur le droit des femmes en Pologne, mercredi 5 octobre. A cette occasion, aucun vote de résolution n’est prévu. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies prévoit également de se saisir de la question, les 17 et 18 octobre, à Genève. Des pressions internationales qui ne semblent pas intimider le parti au pouvoir.