Allex, 2 500 habitants, se déchire sur l’accueil de 50 migrants
Allex, 2 500 habitants, se déchire sur l’accueil de 50 migrants
Par Feriel Alouti
L’installation d’un centre de réfugiés dans ce village de la Drôme divise la population. La tenue d’un référendum, prévue dimanche, a finalement été annulée par la justice.
La ville d’Allex, 2500 habitants, est située à une vingtaine de kilomètres de Valence. | Google
A Allex, les divisions sont désormais gravées sur le bitume de la D93. Au sol, des « Non aux réfugiés » accompagnés de la flamme tricolore du Front national concurrencent des dizaines de « Welcome ». Depuis la rentrée, les habitants de ce village de 2 500 habitants perché sur une colline, à une vingtaine de kilomètres de Valence (Drôme), se déchirent sur l’installation d’un centre d’accueil et d’orientation (CAO) pour migrants dans le château Pergaud, situé à 3 kilomètres du centre.
Cette structure, gérée par le diaconat protestant, a ouvert ses portes le 19 septembre et héberge depuis quelques jours onze adultes et enfants originaires du Soudan, d’Afghanistan et d’Irak. Pour « désengorger » Calais et les campements de fortune installés dans la capitale, l’Etat compte y installer une cinquantaine de personnes pour des séjours compris entre un et trois mois. Un moment de répit qui doit leur permettre de lancer leur procédure de demande d’asile avant d’être répartis dans les différents centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA).
Référendum annulé
Mais l’arrivée de ces migrants, annoncée par le préfet lors du conseil municipal du 5 septembre, fait depuis l’objet d’une bataille politique. Le Front national a aussitôt dégainé en appelant à l’organisation d’un référendum pour empêcher l’arrivée de « ceux qui fuient leur pays plutôt que de se battre pour lui ». Le 9 septembre, le maire divers droite de la commune, Gérard Crozier, leur emboîte le pas en annonçant la tenue d’un référendum « pour que vive la démocratie ».
Cette idée, validée quatre jours plus tard par le conseil municipal, a finalement été retoquée par la justice. Le tribunal administratif de Grenoble, saisi par la préfecture de la Drôme, s’est en effet opposé vendredi 30 septembre à son organisation alors qu’il devait avoir lieu deux jours plus tard. Samedi 1er octobre, le maire Gérard Crozier a annoncé qu’il se pliait à cette décision : « Devant l’intransigeance de l’Etat et par la contrainte, j’annule le scrutin. Le maintenir dans ces conditions pourrait nuire gravement à l’ordre public et être préjudiciable à l’autorité municipale », a-t-il fait valoir dans un communiqué rappelant que le résultat n’aurait de toutes les manières eu « aucune valeur juridique ».
Le CAO d’Allex accueille depuis le 22 septembre onze demandeurs d’asile. | Feriel Alouti
« Maintenant, on va avoir peur »
Pour les élus d’opposition et les habitants favorables à l’accueil, en lançant l’idée d’un référendum, le maire s’est tout simplement transformé en « pompier pyromane ». « Au lieu de calmer le jeu, ça a attisé les tensions », regrette Monique Manchot, habitante et élue d’opposition sans étiquette. « J’ai plus l’impression d’avoir apaisé la situation », rétorque le maire. Certains craignent cependant les effets négatifs de l’annulation : « Je crains que ça ne renforce l’argument du déni de démocratie. Si le référendum a lieu, on pourra au moins passer à autre chose », indiquait jeudi soir Christophe Bürling, également dans l’opposition.
Cette affaire est, à leurs yeux, « du pain bénit pour les militants du FN », qui « peuvent faire d’Allex un laboratoire pour tester leur influence ». « Jusqu’à présent, les électeurs du FN étaient discrets mais depuis cette affaire, ils s’expriment à visage découvert », constate ainsi Christophe Bürling. En cette période préélectorale, l’arrivée des migrants à Allex est en effet l’occasion pour le Front national de faire entendre sa voix dans un village où le vote bleu marine a remporté 26,78 % des suffrages lors des dernières élections régionales.
Dans les rues d’Allex, l’arrivée des migrants divise la population. Thierry, 34 ans, au chômage et Sébastien, 30 ans, ouvrier s’opposent fermement à l’installation d’une telle structure dans leur village qu’ils ont déjà rebaptisé « Calaix ». « Le préfet nous impose ce centre alors que le maire, au moins, il fait quelque chose en demandant ce référendum. On nous dit de faire des efforts parce que la France n’a plus d’argent, mais pour les réfugiés, on en trouve », dénonce le premier. « Maintenant, les voleurs vont venir ici pour mettre ça sur le dos des migrants et je ne vous parle pas des viols », rebondit le deuxième.
Les « pour » et les « contre » le centre pour migrants s’opposent depuis plusieurs semaines. | Feriel Alouti
Posté devant sa 2 CV bleu ciel, Dominique, 61 ans, retraité du secteur des assurances, répond aux deux opposants : « Cinquante, c’est quand même pas Calais ! » Et de poursuivre discrètement : « On tombe dans la psychose. Il faut bien qu’ils aillent quelque part. En France, on a une tradition de terre d’accueil, il faut la garder. Quand tu reçois des bombes de ton chef d’Etat et que t’es menacé par Daech, et ben tu te casses. »
« Montrer qu’on n’est pas des fachos »
D’autres dénoncent davantage la méthode employée. « On aurait aimé être au courant plus tôt mais, au lieu de ça, on a été mis sur le fait accompli », regrette Aurélie, 33 ans, aide-soignante. Sur ce point, le préfet de la Drôme et le maire d’Allex se renvoient la balle. Joint par téléphone, le préfet Eric Spitz tient à préciser : « Je me suis rendu à Allex dès le 21 juillet pour visiter avec le maire la structure. Il m’a demandé de venir au conseil municipal le 5. S’il m’avait demandé de le faire avant, je l’aurais fait. » « S’il m’avait laissé trois semaines de plus pour organiser les choses, on aurait pas eu toutes ces galères », répond Gérard Crozier.
Croisée à la sortie de l’école, Virginie, 30 ans, famille d’accueil pour des personnes handicapées, trouve pour sa part l’idée « super » mais regrette qu’« il y ait autant de tensions ». Depuis l’annonce de l’ouverture du centre d’accueil, règne à Allex une ambiance de « suspicion générale », à en croire les habitants. Le 10 septembre dernier, une manifestation rassemblant des militants du Front national et des habitants a eu lieu sur la place du village. Face à eux, un contre-rassemblement, lancé par un collectif Nuit debout. Judith, 39 ans, était du côté des « pour ». « C’était la première fois que le Front national organisait une manif ici. Quand on a vu 150 personnes crier “On est chez nous”, on a vraiment eu un choc. »
Le Collectif Allexois fraternels occupent le terrain visuel. | Feriel Alouti
Lancé il y a une semaine, le Collectif Allexois fraternels tente de faire entendre sa voix. Il y a quelques jours, ses membres ont symboliquement rebaptisé le panneau d’entrée d’Allex « Village fraternel », tagué des « Welcome » sur les routes et accroché une banderole de bienvenue au clocher du village. L’idée, « montrer qu’on n’est pas un village de fachos », explique Judith.
Gendarmes et provocations
Depuis plusieurs jours, des militants de Civitas, une association de catholiques intégristes, extérieurs à Allex, arpentent les rues du village. Dans leurs mains, des tracts pour dire « Non à l’invasion migratoire ». Ce vendredi après-midi, une poignée d’entre eux entame une distribution devant l’école : face à la caméra d’une chaîne hongroise, une militante à l’accent du Sud dit tout le bien qu’elle pense de ce pays. « C’est la deuxième fois que je les vois et je trouve ça vraiment indécent qu’ils viennent ici. Ils distribuent même leurs tracts aux enfants… », s’agace avec discrétion une mère de famille.
Résultat, huit gendarmes surveillent jour et nuit le CAO. Malgré tout, jeudi soir, « trois jeunes » opposés à la venue des migrants sont venus « menacer » les salariés, assure Pascale Chambonnet, chef de service du centre. « Ils leur ont dit que c’étaient des traîtres à la nation et que, s’ils devaient se venger, ils commenceraient par eux. »
Depuis le 22 septembre, 11 demandeurs d’asile sont accueillis dans cette vieille bâtisse entourée d’arbres et de pommiers. « On les laisse s’installer et profiter du calme. Pour l’instant, on n’a pas de traducteur, donc c’est difficile de communiquer », explique Mme Chambonnet. Mais, « avec la présence des gendarmes, ils ont bien compris qu’il y avait des problèmes ». En attendant que le calme revienne, les familles se font donc discrètes, et évitent soigneusement de faire leurs courses à Allex.