La Cour de cassation se prononce mercredi sur le contrôle au faciès
La Cour de cassation se prononce mercredi sur le contrôle au faciès
La plus haute juridiction civile doit se prononcer sur la question des contrôles d’identité abusifs.
Des policiers, le 11 octobre à Paris. | CHARLES PLATIAU / REUTERS
L’Etat va-t-il être définitivement condamné pour des contrôles d’identité abusifs ? La Cour de cassation doit se prononcer, mercredi 9 novembre, sur cette question, très attendue par les opposants aux contrôles « au faciès », qui espèrent une décision qui fasse jurisprudence.
En 2013, treize hommes d’origine africaine ou nord-africaine attaquaient l’Etat, dénonçant des contrôles abusifs, parfois associés à des palpations, des insultes ou du tutoiement. Après avoir perdu en première instance, les plaignants ont fait appel, soutenus cette fois par le Défenseur des droits, Jacques Toubon. En juin 2015, la cour d’appel de Paris a donné raison à cinq d’entre eux, condamnant l’Etat à verser 1 500 euros de dommages et intérêts à chacun.
Le Défenseur des droits s’était réjoui de ces décisions prises en appel :
« Elles contribueront sans nul doute […] à faire avancer le débat sur la nécessaire régulation des contrôles d’identité, dans la double perspective, souhaitée par tous, d’une action mieux ciblée, gage d’une efficacité accrue des forces de l’ordre, et d’une amélioration de leurs relations avec la population. »
Toutefois, cette demi-victoire n’a vraiment satisfait aucun des deux camps : l’Etat s’est pourvu en Cassation pour les cinq dossiers dans lesquels il a été condamné, et les huit autres hommes qui n’ont pas obtenu gain de cause en ont fait autant.
Un pourvoi en Cassation
Le 4 octobre, la plus haute juridiction civile s’est donc à son tour penchée sur l’affaire en examinant si, lors des décisions en appel, les règles de droit avaient été correctement appliquées.
Me Thomas Lyon-Caen, au nom des huit hommes déboutés, a rappelé que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne revient pas à la personne qui dénonce une discrimination d’en apporter la preuve complète, mais seulement un « commencement de preuve ». Sans trace de ce contrôle – alors que les associations réclament justement l’instauration d’un récépissé – comment prouver d’ailleurs que celui-ci a bien eu lieu ? C’est ensuite à la partie mise en cause d’apporter des « éléments ou des faits objectifs » prouvant qu’il n’y a pas eu discrimination.
L’avocate générale, Nathalie Ancel, a de son côté estimé que trois des huit jugements dans lesquels l’Etat a obtenu gain de cause en appel devaient être cassés. Pour les cinq autres, elle a considéré que l’Etat apportait bien des « éléments objectifs » motivant le contrôle, par exemple de la « dangerosité de la zone » où celui-ci s’est produit. Elle a par ailleurs demandé que soit confirmée la condamnation de l’Etat dans les cinq dossiers où il a perdu.
De son côté, au nom de l’Etat, l’avocate Alice Meier a avancé que dans chacun des treize cas, « les règles légales encadrant ces contrôles » avaient été « parfaitement respectées ». Elle a mis en garde les magistrats contre la tentation de « prendre une position de principe » : « Il ne faut pas que la décision ait pour conséquence de jeter sur tout policier, voire tout représentant de l’Etat, une suspicion. » La Cour de cassation doit trancher mercredi.
Beaucoup de contrôles, peu de plaintes
En France, les personnes perçues comme « noires » et « arabes » sont contrôlées respectivement six et huit fois plus que celles perçues comme « blanches », selon une étude menée en 2009 à Paris par Open Society Justice Initiative (émanation de la Fondation George Soros) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
En mars, un rapport du collectif Stop le contrôle au faciès affirmait par ailleurs qu’en moins de cinq ans, d’avril 2011 à décembre 2015, 2 283 personnes s’étaient manifestées auprès de lui pour des contrôles abusifs, discriminatoires, reposant sur « la seule apparence et non sur le comportement ». Outre le contrôle au faciès (47 % des cas), les témoins évoquent des violences physiques (23 %), des fouilles et palpations (18 %), des insultes et propos racistes (17 % et 13 %), des intimidations – amendes abusives, menaces, racket ou autres – (23 %), et des palpations génitales (10 %).
Seule une infime minorité envisage des poursuites : 6 % ont signalé l’abus au Défenseur des droits et moins de 1,5 % à l’IGPN, la police des polices, selon le collectif. « Alors que 5,3 % des plaignants ont souhaité porter plainte contre des policiers, leur plainte a été refusée dans près de 73 % des cas », poursuit l’association. Parmi les personnes ayant contacté le collectif, trois quarts ont entre 15 à 25 ans, la plupart vivent en ville (65 % viennent d’Ile-de-France) et sont des hommes. Il n’y a pas de données à caractère ethnique ou racial « du fait des restrictions légales imposées à la collecte de données personnelles », mais « l’origine, la couleur de peau ou la religion ont quasiment toujours été mentionnées ».
De la promesse de campagne au rejet par le Parlement
Dans son engagement n° 30, lors de sa campagne en 2012, François Hollande promettait qu’il « lutterait contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ». Mais une fois élu, le président a abandonné l’idée d’imposer des récépissés : ce dispositif censé lutter contre les délits de faciès en contraignant les policiers à remettre aux personnes contrôlées un coupon stipulant la date, le lieu et la raison du contrôle d’identité.
Son ancien ministre de l’intérieur, Manuel Valls, s’y était opposé, jugeant le dispositif trop « bureaucratique » et « inopérant ». Quant à l’actuel ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, il a estimé que le phénomène des contrôles au faciès était « tout à fait marginal » en France, et s’est refusé à jeter la « suspicion » sur les forces de l’ordre alors qu’elles « fournissent autant d’efforts ».
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A la place, un nouveau « code de déontologie » pour les forces de l’ordre avait été mis en place en 2014, et les citoyens ont désormais la possibilité de saisir directement la « police des polices », l’inspection générale de la police, face à des « manquements ».
Fin juin, les députés socialistes ont fait une croix sur l’expérimentation de ces récépissés, dans le cadre du projet de loi Egalité et citoyenneté. Trois amendements destinés à instaurer cette mesure ont été jugés irrecevables par la commission des finances, en raison du surcoût supposé pour l’Etat.
Des associations, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme, Open society justice initiative ou encore le Syndicat des avocats de France, s’étaient dites « scandalisées » de ce rejet pour des questions de budget. Une campagne intitulée #DesStylosBicPourLesFlics avait été lancée sur les réseaux sociaux et une valise pleine de stylos avait été remise symboliquement au gouvernement.