Les puits d’hydrocarbures abandonnés, fléau méconnu pour le climat
Les puits d’hydrocarbures abandonnés, fléau méconnu pour le climat
Par Stéphane Foucart
Selon une étude américaine, les émissions de méthane de la Pennsylvanie devraient être rehaussées de 5 % à 8 % en raison de 470 000 à 750 000 puits en déshérence.
Une mine de charbon abandonnée, près d’Oviedo, en Espagne, en 2012. | MIGUEL RIOPA / AFP
Les puits d’hydrocarbures abandonnés n’offrent plus de combustibles à brûler, mais ils demeurent, longtemps, une source insoupçonnée de gaz à effet de serre – d’autant plus problématique qu’elle n’est souvent pas comptabilisée dans les inventaires nationaux. C’est la conclusion majeure d’une étude américaine publiée mardi 15 novembre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, qui estime que les émissions de méthane d’un Etat comme la Pennsylvanie pourraient devoir être rehaussées de 5 % à 8 % par rapport aux chiffres officiels.
Si les chercheurs, conduits par Mary Kang, de l’université Stanford (Californie), se sont intéressés à cet Etat du Nord-Est américain, c’est qu’il est l’un de ceux exploités depuis le plus longtemps. On y extrait du pétrole, du gaz ou charbon depuis plus de 150 ans, ce qui a laissé un nombre considérable de cicatrices dans la croûte terrestre. La comptabilité de ces puits ouverts puis abandonnés s’étant perdue au fil des changements administratifs et des évolutions réglementaires, les auteurs ont passé en revue toutes les données historiques disponibles : ils estiment le nombre de puits en déshérence sur le territoire de l’Etat entre… 470 000 et 750 000 !
1 % et 2 % des émissions de CO2 annuelles de la France
Puis, deux années durant, sur un échantillon d’une centaine de ces vieux puits, les chercheurs ont mesuré à plusieurs reprises, in situ, les fuites résiduelles de méthane et d’autres gaz. Premier enseignement, écrivent-ils, « les émissions persistent pendant de nombreuses années et probablement des décennies ». Au total, en extrapolant les résultats de leurs mesures à l’ensemble de la Pennsylvanie, ce sont quelque 40 000 à 70 000 tonnes de méthane qui pourraient ainsi partir dans l’atmosphère chaque année. Ce qui représente, en termes d’effet réchauffant mesuré sur un horizon de vingt ans, l’équivalent de 3,2 à 5,7 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2). Soit, peu ou prou, entre 1 % et 2 % des émissions de CO2 annuelles de la France, pour le seul Etat de Pennsylvanie.
« C’est un article très solide, produit par des scientifiques de premier plan », juge le biogéochimiste Robert Howarth, professeur à l’université Cornell (New York), l’un des premiers chercheurs à avoir attiré l’attention sur l’importance des fuites de méthane sur les sites d’exploitation de gaz de schiste, qui n’a pas participé à ces travaux. « Leurs résultats ne sont pas surprenants : nous sommes nombreux à avoir présumé que les puits de pétrole et de gaz, scellés et abandonnés, sont des émetteurs de méthane, poursuit-il. Mais leur étude est à ce jour celle qui documente le mieux ces émissions et montre qu’elles sont une source majeure de méthane atmosphérique. »
Or rappellent les auteurs, « à travers l’ensemble des Etats-Unis, le nombre de puits de pétrole ou de gaz abandonnés est estimé à plus de 3 millions, et ce nombre va continuer à augmenter dans le futur ». En effet, l’évolution du nombre de puits forés au cours du temps en Pennsylvanie suggère qu’il faut forer toujours plus de puits pour récupérer une même quantité d’hydrocarbures, en raison de l’épuisement progressif des gisements. En 1895, le nombre de forages pétroliers avait culminé à environ 6 000 annuellement creusés pour une production de 32 millions de barils, alors qu’en 1985, le même nombre de puits correspondait à une production de 5 millions de barils. Soit environ six fois moins de pétrole pour autant de trous ouverts dans la croûte terrestre.
La controverse du gaz de schiste
L’article devrait ainsi relancer le débat sur la contribution au réchauffement climatique de l’exploitation du gaz de schiste. En théorie, celui-ci est considéré comme moins néfaste pour le climat, par comparaison avec les autres hydrocarbures (pétrole, charbon). Mais, depuis la fin des années 2000, un vif débat d’experts s’est ouvert sur les fuites de méthane sur les sites de production, de traitement et de stockage du gaz. Pour les industriels du secteur, le taux de fuite n’excède guère, en moyenne, 1 % du gaz produit, alors que des chercheurs du monde académique avancent des chiffres jusqu’à dix fois supérieurs. « Au niveau mondial, la concentration de méthane dans l’atmosphère augmente rapidement, depuis environ 2009, après une décennie de quasi-stagnation, explique M. Howarth. Des études récentes indiquent que les Etats-Unis sont bien une source majeure de ces émissions. »
Enfin, les chercheurs présentent dans leur travail une typologie des puits les plus fortement émetteurs : selon leur situation, les conditions de leur mise à l’arrêt (scellés ou non), etc., ils émettent plus ou moins de méthane, pendant des durées variables. En identifiant les gros émetteurs, les chercheurs rendent possibles de meilleures stratégies pour atténuer cette contribution au réchauffement. « Mais l’article ne dit pas comment mettre en place de telles stratégies, précise M. Howarth. Y a-t-il réellement des moyens réalistes d’arrêter les fuites de méthane de ces puits ? Peut-être pas. »