Pourquoi il faut se méfier des sondages sur la primaire de la droite
Pourquoi il faut se méfier des sondages sur la primaire de la droite
Par Adrien Sénécat, Samuel Laurent
Malgré la multiplication des études d’opinion, le scrutin présente de fortes incertitudes à trois jours du premier tour.
Dimanche 20 novembre, moins de deux semaines après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, les électeurs sont appelés à voter au premier tour de la primaire de la droite. Un scrutin plus indécis qu’attendu initialement. Il existe certes quelques quasi-certitudes (Jean-François Copé et Jean-Frédéric Poisson, scotchés à 1 ou 2 % d’intention de vote, ont par exemple peu de chances de créer la surprise), mais plusieurs facteurs montrent que les résultats pourraient différer de la température relevée par les sondages.
1. L’inconnue de la participation
En 2011, la primaire socialiste avait réuni environ 2,66 millions de votants au premier tour, soit environ 5,8 % des 46,03 millions d’inscrits sur les listes électorales à l’époque. Bien en deçà des 79,5 % qui ont ensuite voté au premier tour de la présidentielle, six mois plus tard.
Les sondeurs sont aujourd’hui bien en peine d’estimer précisément combien d’électeurs feront réellement le déplacement. La plupart demandent aux sondés de dire, sur une échelle de 1 à 10, à quel point ils pensent être certains d’aller voter et ne retiennent que les réponses de ceux qui ont donné la note maximum.
Ce qui présente plusieurs limites : d’abord, rien ne dit que tous ceux qui affirment aujourd’hui fermement qu’ils vont aller voter tiendront parole. Ainsi, 30 % des personnes « certaines d’aller voter » interrogées par BVA entre le 3 et le 13 novembre ne savaient ainsi toujours pas dans quel bureau de vote se rendre. A l’inverse, rien ne dit non plus que ceux qui se disent presque sûrs d’aller voter ne feront pas du tout le déplacement.
L’importance de la participation pourrait pourtant avoir une importance capitale, car elle est au moins en partie corrélée à l’appartenance politique des votants : tout porte à croire que plus le nombre de votants sera élevé, plus il dépassera le noyau dur des militants Les Républicains. La dernière étude Kantar Sofres Onepoint donne une idée du poids de ce facteur sur les scores des trois candidats donnés en tête des intentions de vote, selon qu’il y ait 5 %, 9 % ou 14 % du corps électoral qui participe dimanche :
Selon les hypothèses, le score de Nicolas Sarkozy varie de 26 à 34 %, en tenant compte de ce seul facteur d’incertitude.
2. La « marge d’erreur »
Corollaire de cette inconnue sur la participation, les échantillons de sondés restent en général faibles. Les sondages publiés ces derniers jours se basent ainsi sur les réponses de 647 (IFOP) à 1337 (Ipsos) personnes « certaines d’aller voter » à la primaire, une base elle-même « extraite » d’un panel plus grand.
La méthode utilisée par les sondeurs français, celle des quotas (on recrée en « miniature » la structure de la société), comporte une « marge d’erreur » (terme impropre, les statisticiens parlant d’intervalle d’incertitude). Lorsqu’on dit que M. Juppé est à 29 % et M. Sarkozy à 25 %, la réalité est plus complexe : le score de chacun d’eux est en fait estimé à ce chiffre, plus ou moins 2,5 points environ. M. Juppé peut donc être à 27 % et M. Sarkozy… aussi à 27 %. Un point très rarement rappelé dans les titres des articles consacrés aux sondages.
Voici par exemple, pour un seul sondage réalisé par l’IFOP du 31 octobre au 14 novembre sur 647 personnes, le score des trois candidats donnés en tête au premier tour en tenant compte de la marge d’erreur :
Il faut également préciser que l’idée même d’intervalle de confiance n’est pas infaillible. On considère en théorie que le résultat du sondage est compris dans la marge d’erreur dans 95 % des cas. L’écart entre la mesure et la réalité peut donc être supérieur dans 5 % des cas. Sans oublier que la marge d’erreur elle-même n’est qu’un seul des biais possibles d’une étude d’opinion.
3. Des électeurs indécis
Plusieurs sondages mettent également en avant l’indécision même des électeurs, de plusieurs manières. D’abord, les intentions de vote en faveur d’un même candidat ont parfois grandement évolué en quelques semaines. Par exemple, François Fillon a gagné 10 points dans l’étude Ipsos-Sopra Steria du Cevipof en collaboration avec Le Monde entre octobre (12 %) et novembre (22 %).
Au-delà de ces seuls mouvements au fil de la campagne, 23 % des personnes interrogées début novembre dans la même étude confient que leur choix « peut encore changer », à quelques jours du premier tour. Un phénomène qui existe pour toute élection, mais renforcé ici par le fait qu’il s’agit d’un scrutin au sein d’une même famille politique, où les candidats présentent des programmes similaires sur bien des points.
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Ipsos-Sopra Steria illustre cette inconnue en donnant, à titre indicatif, trois estimations des intentions de vote pour le même candidat :
le potentiel bas, qui correspond uniquement aux électeurs « sûrs d’aller voter » pour un candidat donné ;
les intentions de vote actuelles, y compris les électeurs qui ne sont pas certains de leur choix ;
le potentiel haut, qui additionne les intentions de vote actuelles d’un candidat avec les suffrages des sondés qui ne sont pas sûrs de leur choix et considèrent ce candidat comme un deuxième choix.
Voici comment ces trois hypothèses font fluctuer le score des trois candidats donnés en tête du premier tour par ce sondage :
Autant de raisons qui invitent à prendre les sondages sur le premier tour de la primaire de la droite avec une réserve encore supérieure à celle qui est de mise pour les scrutins traditionnels. Les candidats eux-mêmes ne s’y trompent pas, multipliant les appels à la mobilisation auprès de leurs troupes ces derniers jours, pour éviter les déconvenues dimanche 20 novembre au soir.