« Il y a eu une forte adhésion au “style” Fillon »
« Il y a eu une forte adhésion au “style” Fillon »
Après le premier tour de la primaire de la droite, Nicolas Chapuis, qui codirige le service politique du « Monde », a répondu à vos questions.
François Fillon le 20 novembre 2016. | Thibault Camus / AP
Nicolas Chapuis, qui codirige le service politique du Monde, a répondu à vos questions sur le score important réalisé par François FIllon.
France-Etats-Unis : Peut-on à votre avis faire un parallèle entre le dévoilement des électeurs « cachés » de Trump, ceux que les sondages n’ont pas vus, et les mêmes électeurs cachés de François Fillon, représentant à leur façon une partie du pays ignoré de Paris, les provinces où vit, comme aux Etats-Unis, une majorité de la population ?
Nicolas Chapuis : La question est très intéressante. La question d’un électorat caché (ou plus probablement sous-évalué) peut se poser tant l’écart entre le Fillon des sondages à 20 points et le Fillon du premier tour à 44 points paraissent éloignés. Cela dit d’abord quelque chose de la difficulté à sonder les primaires avec un corps électoral flottant.
Il y a également une campagne beaucoup plus courte. Nous l’avons constaté sur le site du Monde : l’intérêt pour les contenus liés à la primaire est monté en flèche chez les lecteurs à deux semaines du vote. La prise de décision est donc beaucoup plus rapide et plus volatile par nature.
Il y a deux éléments à prendre en considération : la campagne a réellement évolué en faveur de Fillon dans la dernière ligne droite. Ses équipes elles-mêmes n’y croyaient pas une semaine avant. C’est un mouvement inédit. Mais cela ne veut pas dire que le score de Fillon n’était pas sous-évalué à l’origine. Difficile de dire quelle est la part entre les deux.
En revanche je me garderai de faire des liens avec les Etats-Unis, où le type de scrutin est différent, le territoire autrement plus difficile à sonder, et les méthodes d’enquête ne sont pas les mêmes. Soyez en tout cas assuré que la réflexion sur les enquêtes d’opinion et leur lecture est toujours vive au Monde. Nous défendons ces enquêtes, mais il faut apprendre à les lire et ne plus sous-estimer leur aspect éphémère dans un monde où tout va très vite.
Antoine : Ne pensez-vous pas que François Fillon, s’il est élu, devra mettre de l’eau dans son vin quant à certaines mesures – économiques notamment – qu’il prône dans le cadre de sa campagne pour la primaire ?
Nicolas Chapuis : Gardons-nous de tout pronostic. Mais s’il gagne, l’ampleur de la victoire de François Fillon la semaine prochaine déterminera le rapport de force dans son camp. S’il l’emporte très largement, il aura intérêt à défendre son programme, ainsi plébiscité par ses électeurs. Si Alain Juppé grappille des points, Fillon devra tenir compte du message. Mais dans tous les cas, s’il est élu, il aura une forte légitimité à défendre sa ligne avec un premier tour pareil.
Gigi : Les électeurs qui ont choisi M. Fillon n’ont-ils pas été davantage séduits par sa personnalité, son côté sérieux, que par son programme particulièrement libéral sur le plan économique et réactionnaire sur le plan sociétal ?
Nicolas Chapuis : Le style Fillon a pesé, mais comme j’ai tenté de le montrer, un seul facteur ne permet pas d’expliquer pareille vague. Il faut pour parvenir à de tels scores une conjonction entre un électorat qui adhère au style, un qui plébiscite les idées et des votants qui veulent faire barrage au camp d’en face. François Fillon a réussi l’exploit d’être à la croisée des trois.
Nicodup : « Le Monde » a écrit que le vote Fillon est un vote conservateur, catho et de province. De province je ne crois pas vu les résultats à Paris et en Ile-de-France. Catho, certainement mais est ce vraiment la base des 4 millions de voix ? Conservateur : mais le programme est ambitieux et osé !
Nicolas Chapuis : La vague Fillon est telle, qu’elle ne peut se résumer à ces trois qualificatifs : conservatrice, catholique et de province. En réalité, Fillon est en tête partout, dans toutes les grandes villes, sauf dans le Sud-Ouest. A Paris, la carte est très parlante. La ville est coupée en deux : à l’ouest, dans les bastions de la droite, Fillon est en tête ; à l’est, dans les quartiers plus à gauche, Juppé le devance.
Pour préciser ma pensée, le socle du vote Fillon est plutôt catholique de province (on observe les poussées les plus fortes dans le grand Ouest), mais il a largement dépassé cette base pour séduire bien au-delà de son cœur de cible.
Drac : Peut-on imaginer un reflux de la vague Fillon dans la mesure où peut-être beaucoup d’électeurs auraient voté pour lui afin de faire barrage à Sarkozy ?
Nicolas Chapuis : Il y a une grosse inconnue pour le deuxième tour, c’est la participation. Comme vous le dîtes, des électeurs qui cherchaient à se débarrasser de Sarkozy peuvent se dire que, le boulot étant accompli, ils restent à la maison dimanche. A l’inverse des personnes qui ont voté Nicolas Sarkozy peuvent être déçues par l’élimination de leur champion et ne pas se rendre aux urnes. Tout est possible.
Pascal : Fillon, finalement, n’apparaît-il pas comme un homme « neuf » face à Alain Juppé ? N’est-ce pas une partie de l’explication de son très bon score ?
Nicolas Chapuis : Il y a en effet un « paradoxe Fillon ». Celui qui a été pendant cinq années le premier ministre de Nicolas Sarkozy a réussi à incarner une rupture forte avec l’ancien président. Dans les débats, pendant que Juppé jouait la sécurité, quitte à paraître usé, il a également réussi à se démarquer en apparaissant comme un candidat neuf. C’est un beau hold-up en termes de com’, de la part d’un homme qui a été premier ministre cinq ans, six fois ministre, et qui est élu député depuis… 1981.
RP : Est-il probable que beaucoup d’électeurs ayant choisi François Fillon ne se soient pas rendu compte de l’ancrage à droite de son programme ?
Nicolas Chapuis : C’est l’espoir du camp Juppé, qui veut croire que quand les électeurs vont découvrir qui est François Fillon, un conservateur sur le plan des valeurs, très libéral en économie, ils vont changer d’avis. Vu la dynamique de vote de dimanche, le pari est très incertain. Ce qui est sûr, c’est que dans les médias, où le match a longtemps été entre Juppé et Sarkozy, il y a eu certainement moins de pédagogie sur le programme de Fillon. Nous espérons cependant que dans ce live, où cette thématique a été abordée, vous avez pu trouver des éléments pour vous éclairer ces dernières semaines.
Jibé : Quelle analyse faites-vous (hors de la dynamique de campagne citée partout) du vote Fillon dimanche dernier ?
Nicolas Chapuis : En effet, on peut voir dans le vote Fillon une forme d’adhésion de la part d’un électorat de droite qui a apprécié les thématiques très libérales de la campagne de l’ancien premier ministre. Dans la compétition à celui qui supprimera le plus de postes de fonctionnaires, le député de Paris est celui qui est allé le plus loin. Il semble que cela ait eu un impact.
Mais il y a eu aussi une forte adhésion au « style » Fillon. Dans tous les reportages que Le Monde a effectués, avant le vote et le jour du vote, remontaient ces remarques : « Fillon, il est sérieux », « Fillon, il est solide »… Depuis le début de la campagne, François Fillon a voulu imposer l’idée qu’il était celui qui avait le plus travaillé son projet. Il semble que cela a payé dans la dernière ligne droite, quand les électeurs se sont intéressés de près aux candidats.
Reste la donne du vote « catholique ». Il n’explique pas à lui seul une telle percée. Mais il semble que les réseaux de François Fillon, notamment, lié à Sens commun, l’une des émanations de La Manif pour tous, aient pesé dans la campagne et dans les meetings.
Steph V. : J’ai voté Fillon en raison de son programme libéral. Je sais que mon point de vue est loin d’avoir été majoritaire ces trente dernières années, et qu’il ne reflète certainement pas l’opinion majoritaire des électeurs du « Monde ». Mais ne pensez-vous pas qu’il est possible que le libéralisme soit en train de réussir une percée en France, après l’échec des politiques étatistes depuis 1981 ?
Nicolas Chapuis : En effet comme je l’ai dit plus haut, le score de Fillon ne peut s’expliquer que par un fort vote d’adhésion. Ce n’est pas le seul ressort, mais il est important. Peut-on parler d’une libéralisation de l’électorat français ? Compliqué à dire. Certes on observe une droitisation de l’électorat, avec une poussée de l’extrême droite. Mais au sein de la droite et de l’extrême droite, le libéralisme, en tant que pensée politique, est loin d’être dominant.
Il ne suffit pas de promettre une réduction de la dépense publique pour être libéral. François Fillon lui-même a fait ses classes comme proche de Philippe Séguin, qui n’était pas dans une filiation libérale. Enfin, défiez-vous des préjugés envers les lecteurs du Monde, ils sont beaucoup plus divers que vous ne pouvez le penser
Bernard N. : Vous dites : « Il aura une forte légitimité à défendre sa ligne avec un premier tour pareil. » N’est-ce pas plutôt l’élection présidentielle elle-même qui donne cette légitimité ? Et peut-on déjà considérer que cette présidentielle sera le même « plébiscite » (c’est votre mot) que cette primaire ? L’ensemble de l’électorat sera-t-il forcément enchanté par ce programme ultralibéral et poutinien ?
Nicolas Chapuis : Je parlais du débat qui ne manquera pas de naître au sein de la droite à l’issue du deuxième tour : quel programme pour la campagne ? Avec ce vote, François Fillon a toute légitimité pour dire à ses adversaires : « Ma ligne l’a largement emporté, elle doit donc largement s’appliquer. »
Il est ensuite difficile de se projeter sur la campagne présidentielle. L’attitude de Fillon, s’il gagne dimanche 27 novembre, dépendra aussi du candidat choisi par la gauche, de la présence ou non de François Bayrou, d’Emmanuel Macron… Comme nous l’a rappelé cette primaire, une campagne est avant tout une question de dynamique, de rapport de force, et ceux-ci peuvent s’inverser.