Cameroun : une enquête lancée contre WWF pour « violation des droits de l’homme »
Cameroun : une enquête lancée contre WWF pour « violation des droits de l’homme »
Par Laurence Caramel
Fait sans précédent, l’OCDE a jugé recevable une plainte déposée contre l’ONG de protection de la nature, mise en cause pour des violences à l’encontre des Baka.
Jusqu’alors seules les multinationales pouvaient être amenées à justifier leurs pratiques devant l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui regroupe les 35 pays industrialisés de la planète. Depuis jeudi 6 janvier, les organisations non gouvernementales (ONG) originaires de ces pays savent que cela peut aussi leur arriver.
Ironie de l’histoire, c’est une ONG qui a déposé plainte à l’OCDE contre WWF, le fonds mondial pour la nature, en mettant en cause les agissements de ses patrouilles anti-braconnage contre les peuples de l’ethnie Baka dans les forêts protégées du sud-est du Cameroun. La plaignante, Survival International, défend de longue date les droits des peuples autochtones et s’est toujours montrée très critique à l’encontre des mouvements conservationnistes qu’elle taxe volontiers de « colonialisme vert ».
Les experts du point de contact de l’OCDE en Suisse, où se trouve le siège de la puissante ONG de conservation, ont donc jugé recevables les accusations portées par Survival. Celles-ci sont rassemblées dans un rapport de 228 pages remis en février 2016 à l’OCDE.
Ce rapport, qui s’appuie sur des témoignages de Baka, dénonce les violences corporelles, les menaces, les humiliations et la destruction des campements subis par ces chasseurs-cueilleurs. Entre 2001 et 2014, une trentaine de cas ont été documentés, mais des incidents ultérieurs sont également rapportés. Le Bataillon d’intervention rapide contre le braconnage (BIR) qui patrouille lourdement armé se serait joint à des écogardes dans des raids nocturnes contre des campements. « Les écogardes et les soldats du BIR sont arrivés dans la nuit. Ils ont pris trois lances, trois machettes et un couteau puis ils sont entrés dans ma maison et ils ont battu mes enfants. Ils ont pris nos pagnes et les livres d’école de ma fille et les ont brûlés », raconte de façon anonyme l’une des victimes.
Salaires et formation des écogardes
Femmes baka dans le sud-est du Cameroun. | Survival international
Parmi les témoignages rapportés, on peut lire aussi :
« Ils [les écogardes] sont venus à cinq heures du matin. Il pleuvait. Ils ont commencé à me battre et ils m’ont dit que quand ils auraient fini, ils me trancheraient la gorge. »
Ou encore :
« C’était la saison sèche. Ils nous ont demandé de regarder le soleil. Les yeux nous brûlaient mais ils ont dit que si nous ne le faisions pas, ils nous battraient. »
Le WWF a joué un rôle central dans la création des trois aires protégées – Lobeke, Boumba Beck et Nkié – dans cette région du sud-est du Cameroun où vivent les Baka, rappelle Survival. Il a appuyé le gouvernement camerounais dans l’élaboration des plans de gestion de ces aires protégées et formé les groupes d’écogardes. Sans l’argent de l’ONG qui assure pour une large part le budget de fonctionnement des réserves avec les salaires des écogardes comme dans d’autres pays d’Afrique centrale, celles-ci n’auraient pas vu le jour, affirme Survival. Les forêts du bassin du Congo sont une zone d’intense braconnage, notamment pour l’ivoire de ses éléphants.
L’ONG reproche aussi à WWF de ne pas avoir obtenu l’« accord libre, préalable et informé » des Baka pour la création de ces réserves sur leurs terres ancestrales, comme l’y oblige la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
40 000 à 70 000 pygmées
Les Baka, qui sont le plus souvent désignés sous le terme de « pygmées » vivent dans les forêts humides du sud-est du Cameroun au moins depuis le XIXe siècle. Ils seraient entre 40 000 et 70 000 et dépendent entièrement des ressources forestières pour leur subsistance. Chaque clan dispose de droits sur une partie de la forêt qui lui permettent de chasser, de pêcher et de collecter des fruits et d’autres ressources. Le découpage des trois parcs nationaux et l’existence des zones tampons qui les entourent sur plus d’un million d’hectares ont conduit à leur éviction.
WWF ne nie pas qu’il y ait eu des exactions de la part des écogardes chargés de protéger la faune vivant dans ces parcs. Dans un communiqué, l’ONG suisse se défend toutefois d’avoir contribué à la marginalisation des Baka. « Depuis plus de vingt ans, nous faisons de notre mieux pour protéger les forêts et la faune qui sont vitales à la survie des Baka. La protection des droits des communautés a toujours été et reste notre priorité », affirme Frederick Kumah, directeur pour l’Afrique de l’organisation.
Il rappelle que WWF a aidé à la création de la première réserve communautaire gérée par les Baka dans cette région du Cameroun et a soutenu leur intégration dans les troupes d’écogardes. Il souligne qu’il participe actuellement à un audit sur la conduite des écogardes mené par le ministère des forêts.
Si elle se dit prête à collaborer pour « trouver les meilleures mesures pour aider les communautés baka », la plus connue des associations de conservation goûte peu en revanche de devoir se placer dans un cadre dessiné pour les multinationales pour « régler un différent entre deux organisations à but non lucratif ». La plainte déposée par Survival International repose en effet sur le non-respect des lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises en matière de droits de l’homme.
Victoire pour les peuples vulnérables
Pour le directeur de Survival, Stephen Corry, c’est en revanche une grande victoire : « Le fait que l’OCDE ait accepté notre plainte est un immense pas en avant pour les peuples vulnérables. Ils pouvaient déjà se saisir de ces lignes directrices pour essayer de faire barrage aux multinationales qui piétinent leurs droits. Ils vont maintenant pouvoir les utiliser pour se protéger des ONG à taille industrielle comme WWF. » WWF est présent dans 80 pays. En 2016, selon les chiffres officiels, elle disposait d’un budget de 345 millions de dollars (326 millions d’euros). Selon M. Corry, l’organisation « qui travaille depuis des décennies dans le bassin du Congo, n’a rien fait d’utile pour régler les problèmes des milliers de personnes déplacées par ses projets. »
Il revient maintenant à la Suisse de mener une médiation entre les deux ONG.