La constitutionnalité des assignations à résidence au long cours attaquée
La constitutionnalité des assignations à résidence au long cours attaquée
Par Jean-Baptiste Jacquin
Le Conseil d’Etat est saisi en référé d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la loi du 19 décembre prorogeant l’état d’urgence jusqu’en juillet.
La cinquième loi de prolongation de l’état d’urgence voit sa constitutionnalité contestée devant le juge des référés du Conseil d’Etat, jeudi 12 janvier. Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devait être soulevée à l’audience du matin par un homme assigné à résidence de façon ininterrompue depuis le 15 novembre 2015, soit quatorze mois.
Le Conseil d’Etat, qui a jusqu’ici systématiquement transmis au Conseil constitutionnel les QPC sur l’état d’urgence dont il était saisi, ne devrait pas changer de ligne. C’est ainsi que se corrige au fur et à mesure la mise en œuvre de ce régime d’exception maintes fois modifié par le législateur depuis son instauration dès la nuit des attentats du 13 novembre 2015.
Mesure « privative de liberté »
L’innovation de la loi du 19 décembre 2016, dont la conformité à la Constitution n’a pas encore été vérifiée, est de s’être penchée sur le cas des personnes assignées à résidence depuis plus d’un an. Car, de l’avis des élus, la durée de la mesure en change la nature.
Le Conseil d’Etat lui-même, dans son avis du 8 décembre sur le projet de loi du gouvernement, écrivait que « la succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et venir ». Il avait en conséquence recommandé de les limiter à douze mois. A cette date, 47 des 96 personnes encore sous le coup d’une assignation l’étaient depuis un an ou plus.
La loi prévoit désormais qu’« une même personne ne peut être assignée pour une durée totale équivalant à plus de douze mois ». Mais elle permet néanmoins au ministère de l’intérieur, après autorisation du juge des référés du Conseil d’Etat, de prolonger la mesure. Or pour Bruno Vinay, l’avocat de Sofiyan I., en inscrivant le principe d’une limitation à douze mois le législateur reconnaît de fait qu’au-delà la mesure devient « privative de liberté », et non plus « restrictive de liberté ». Autrement dit, c’est au juge judiciaire de l’autoriser, conformément à l’article 66 de la Constitution, et non au juge administratif.
« Absence de garantie légale »
A l’appui de la procédure de QPC qui permet à tout citoyen de s’assurer de la conformité à la Constitution d’un article de loi qui lui est opposé, M. Vinay estime que le législateur n’a pas rempli son office en ne prévoyant aucune « condition claire et objective permettant de déroger à la durée maximale de l’assignation ». Ce qui, selon lui, caractérise une « atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’aller et venir ». De fait, « aucun élément de fait nouveau » n’est nécessaire à l’administration qui « peut souverainement maintenir une mesure de police administrative faisant constamment référence aux mêmes motifs ».
La loi a ainsi prévu une mesure transitoire qui permet à la Place Beauvau de prolonger des assignations pendant quatre-vingt-dix jours sans solliciter le feu vert du Conseil d’Etat. Bref, un texte qui régit dans les mêmes termes le principe et l’exception traduirait « une absence manifeste de garantie légale ». La Ligue des droits de l’homme, représentée par Patrice Spinosi, devait intervenir en soutien de cette QPC devant le juge du Palais-Royal.
Le cas de Sofiyan I, assigné de 31 ans, illustre par ailleurs le risque de conflit entre mesures judiciaires et mesures de police administrative. Ce Français avait été condamné en décembre 2014 à cinq ans de prison, dont deux avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve de trois ans, pour avoir participé à la création en 2012 d’une filière d’acheminement de combattants djihadistes vers le Mali.
Le 29 septembre 2015, la mise en œuvre de son reliquat de peine (un an et dix mois) fait l’objet d’un aménagement avec le placement sous bracelet électronique. Ses capacités de réinsertion sont considérées comme fortes alors qu’il a un emploi à mi-temps en CDI. Les horaires des sorties autorisées sont extrêmement restreints en dehors de celles qui sont nécessaires à son emploi.
Arrivent l’état d’urgence et son assignation dès le 15 novembre. Les convocations plusieurs fois par jour à heures fixes au commissariat ne tiennent pas compte de son travail, duquel il est contraint de démissionner. « On a remplacé une peine judiciaire destinée à accompagner et surveiller la réinsertion afin de limiter le risque de récidive par une mesure administrative, moins contraignante en termes de surveillance et d’obligations, mais destructrice en termes de réinsertion », explique M. Vinay. L’obligation de travail et la surveillance GPS du bracelet électronique décidées par la justice ont dû être abandonnées. L’avocat constate le « caractère contradictoire voire incohérent » d’une telle assignation à résidence.
60 assignés à résidence au 16 janvier
Selon le ministère de l’intérieur, 52 assignations avaient été renouvelées le 20 décembre 2016 à l’occasion de la cinquième prorogation de l’état d’urgence, tandis que 35 étaient « libérées ». Place Beauvau, on explique que la baisse résulte de l’examen de situations individuelles et « ne traduit ni une réduction de l’activité en matière de prévention du terrorisme, ni une diminution de l’état de la menace qui reste très forte ».