Une région, trois façons d’envisager son futur
Une région, trois façons d’envisager son futur
En Picardie, les bacheliers habitant dans les départements de l’Oise et de la Somme sont plus nombreux à entreprendre des études supérieures que ceux de l’Aisne. Au-delà des critères sociaux et géographiques, se dresse parfois une frontière psychologique.
Résultats du bac au lycée Jean Monnet de Franconville, dans l’Oise. Les élèves du département sont plus nombreux à faire des études supérieures que ceux du département voisin de l’Aisne. AFP PHOTO BENJAMIN GAVAUDO / AFP PHOTO / BENJAMIN GAVAUDO | BENJAMIN GAVAUDO / AFP
« Ils ont tous intégré le fait que, s’ils voulaient faire des études supérieures, il fallait partir. » Jean-Marc Prince, proviseur au lycée Joliot-Curie à Hirson (Aisne), sort d’un conseil de classe. En terminale scientifique, aucun élève n’a le projet de rester en Thiérache après le bac. Si ces élèves de filière générale se voient déjà à l’université, loin de leurs proches, pour d’autres le pas est plus difficile à franchir.
Dans l’académie d’Amiens, le taux de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur est de 73,8 %, contre 77 % au niveau national en 2015. Un écart que Gilbert Leclère, chef du service académique d’information et d’orientation (SAIO), explique par le taux de chômage élevé dans la région : « Certains lycéens n’osent pas l’enseignement supérieur, ou le tentent et le quittent faute de moyens financiers. » Au-delà de l’aspect pécuniaire se dresse parfois une frontière psychologique. Selon les familles, il est plus ou moins dur « d’envisager des études supérieures et une vie loin de chez soi ».
Lors de la session 2016 d’Admission post-bac, la majorité des lycéens picards ont choisi en premier vœu l’université pour préparer une licence (37,2 %). Suivaient les BTS (34,4 %), les DUT (12,5 %) et les classes préparatoires (6,5 %). Mais ces orientations diffèrent selon le territoire.
Dans l’Aisne, le choix du BTS domine
Ainsi, dans l’Aisne, le choix du BTS domine, contrairement à l’Oise et la Somme où les élèves se dirigent davantage vers l’université. « Il y a quelques antennes IUT à Saint-Quentin, Laon et Soissons mais ça ne pèse pas assez lourd pour montrer à la population axonaise ce qu’est une vie étudiante », souligne Gilbert Leclère, du SAIO. Dans l’Aisne, les classes prépa sont rares. Ils ne sont que 7,4 % en bac général à y prétendre, contre 12,1 % dans l’Oise et 11,1 % dans la Somme.
Au-delà des critères sociaux, l’émulation pour l’enseignement supérieur n’est donc pas la même au sein des trois départements. Pour preuve, le lycée Jules-Uhry de Creil (Oise) compte 48 % d’enfants d’ouvriers ou d’inactifs parmi ses élèves de terminale, ce qui n’empêche pas quatre bacheliers technologiques sur dix de se diriger vers l’université (et 60 % des bacheliers généraux). Des chiffres supérieurs à la moyenne de l’académie.
« Nous avons des élèves dont les parents n’ont pas de formation dans le supérieur, et pourtant il y a une volonté très nette de poursuivre au-delà du bac », explique Nicolas Leclerc, proviseur adjoint. La moitié des élèves des villes du sud de l’Oise suivent des études dans l’enseignement supérieur à moins d’une heure de Paris en train. Même si la plupart de ceux du lycée Uhry restent en Picardie pour poursuivre leurs études. Nicolas Leclerc relève trois freins à la mobilité de ses élèves : « Le confort ou l’habitude, les moyens financiers et le frein culturel. »
Le budget et le modèle familial comptent
Amiens a beau séduire de plus en plus de bacheliers, grâce aux campus de l’université de Picardie-Jules-Verne (UPJV) rassemblant 60 % des étudiants de l’académie, dans le Santerre ou en Picardie maritime, les trajectoires scolaires se tournent moins vers l’enseignement supérieur.
En 2015, le lycée général, technologique et professionnel de Friville-Escarbotin (Somme) enregistrait un taux de réussite au bac de 78 %, 10 points de moins que la moyenne nationale. « On couvre un territoire rural, les élèves sont souvent issus de milieux défavorisés, commente Pierrette Le Denmat, directrice du centre d’information et d’orientation local. On travaille sur l’ambition, qu’ils aient une perspective d’avenir à bac + 3, bac + 5 ». Mais le budget et le modèle familial comptent et Amiens, à une heure de route, représente parfois le bout du monde.
Chaque année, l’UPJV envoie des ambassadeurs dans 44 établissements pour parler des formations. Stages d’immersion en prépa ou à la fac, rencontres entre lycéens et étudiants sont aussi organisés. La « réussite de tous » était l’un des axes de travail du projet académique 2014-2017. Pour Gilbert Leclère (SAIO), même s’il faut continuer à y travailler, une partie des objectifs est remplie. « Les différences d’orientation entre les élèves se sont d’ores et déjà réduites », conclut-il.
Les étudiants mobiles sont issus de familles plus favorisées
Patrice Caro et Rémi Rouault, géographes à l’UMR Espaces et Sociétés de l’Université de Caen-Normandie, ont réalisé une cartographie de la mobilité sortante des jeunes étudiants picards. Voici leur analyse.
Selon les dernières données de l’INSEE parues en 2016, un peu plus de 70 000 jeunes de 18 à 24 ans résidant en Picardie étaient encore en études ou en formation. 60 600 sont inscrits dans un établissement de la région, dont 4 000 dans un autre département que celui de leur résidence. Au total 9 600 d’entre eux étudient à l’extérieur de la région, pour moitié en Région parisienne, et la quasi-totalité du reste dans les trois autres régions limitrophes. Ces étudiants mobiles sont issus de familles plus favorisées que celles des étudiants des établissements picards, 50 % de CSP + à Paris contre 30 % en Picardie. On peut également observer que les filles issues des catégories favorisées ont une mobilité hors académie moindre que celle des garçons. De même les enfants d’ouvriers, majoritairement titulaires d’un baccalauréat professionnel, sont sous-représentés.
Les mobilités vers le Nord-Pas-de Calais s’expliquent par l’offre de formation sur place : présence de nombreux établissements privés dont l’Université catholique de Lille et les lycées agricoles assurant aussi des licences professionnelles. Mais aussi par la densité de la desserte autoroutière vers ce département. Un « effet » échangeur peut même être constaté dans certains secteurs.
Les fortes mobilités vers la région parisienne sont principalement le fait des jeunes de l’Oise. Cela s’explique par la proximité du sud du département avec la région parisienne, et les nombreuses liaisons. Les mobilités à plus longue distance sont ultra-minoritaires et correspondent au choix de spécialités rares. La Picardie est ainsi métropolisée par Lille au nord et Paris au sud. Ces aires urbaines concentrent respectivement 108 000 et 640 000 étudiants en 2013-2014, pour seulement 28 000 à Reims et à 28 000 Amiens.
Participez à « O21, s’orienter au XXIe siècle »
Comprendre le monde de demain pour faire les bons choix d’orientation aujourd’hui : après Lille (vendredi 6 et samedi 7 janvier, au Nouveau Siècle), « Le Monde » organise son nouvel événement O21 à Cenon (près de Bordeaux, les 10 et 11 février au Rocher de Palmer), à Villeurbanne (les 15 et 16 février) et à Paris (4 et 5 mars, à la Cité des sciences et de l’industrie). Deux jours pendant lesquels lycéens et étudiants pourront échanger avec des dizaines d’acteurs locaux innovants, qu’ils soient de l’enseignement supérieur, du monde de l’entreprise ou des start-up.
Les inscriptions en ligne sont d’ores et déjà ouvertes pour O21 Cenon et O21 Villeurbanne. Pour être averti par mail dès l’ouverture des inscriptions pour O21 Paris, ou pour inscrire des groupes (scolaires, associations...)à l’un ou l’autre de ces événements, écrivez-nous à o21lemonde@lemonde.fr.
Lors de ces événements seront également diffusés des entretiens en vidéo réalisés avec trente-cinq personnalités de 19 ans à 85 ans qui ont accepté de traduire en conseils d’orientation pour les 16-25 ans leur vision du futur.
Placé sous le haut patronage du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, O21 est également soutenu, au niveau national, par quatre établissements d’enseignement supérieur (Audencia, l’Essec, l’Epitech, et l’alliance Grenoble école de management – EM Lyon). Localement, l’événement est porté par les conseils régionaux des Hauts de France, de Nouvelle Aquitaine et d’Ile-de-France, les villes de Cenon et de Villeurbanne et des établissements d’enseignement supérieur.