Nicolas Petit, agriculteur, et Eric Kauffer, contrôleur à Ecocert, sur La Ferme en coton, dans le Gers. | Angela Bolis / Le Monde

« Le contrôleur, c’est le seul que je reçois à l’intérieur de chez moi », sourit Nicolas Petit, gérant de La Ferme en coton, une exploitation bio dans le Gers. Pour accueillir Eric Kauffer, auditeur chez Ecocert, le principal organisme de certification en agriculture biologique, il fallait bien, en effet, la longue table en bois trônant au milieu du salon. Celle-ci se retrouve bientôt jonchée de classeurs et de papiers : factures, grand livre comptable, cahiers de culture et registres d’élevage, plans des parcelles de l’exploitation…

Tous les ans, dans cette ferme certifiée bio, c’est le même rituel : un contrôleur d’un organisme indépendant parcourt, plusieurs heures durant, les documents et le terrain de l’exploitation. En ce matin d’hiver, M. Kauffer commence par passer au crible les registres assurant la traçabilité des cultures et des élevages, les comparant un à un avec les factures et leurs certifications bio. Avant d’enfiler ses bottes pour vérifier leur conformité sur le terrain. Au fil des 63 hectares de cultures céréalières, d’agroforesterie, d’élevages de volailles et de porcs, l’auditeur inspecte : ici, la féverole stockée dans un silo, là, la densité de poules pondeuses ou la puce accrochée à l’oreille d’un cochon.

Ces contrôles, prévus dans le règlement européen de l’agriculture biologique, conditionnent l’obtention du label bio, l’euro-feuille, sur lequel est aligné depuis 2010 le « AB » français. Un contrôle annuel obligatoire auquel s’ajoutent des contrôles inopinés, un tous les deux ans au minimum, ciblés en fonction des risques. En sus, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) réalise ses propres analyses chez les opérateurs et sur les produits finis. Tous les niveaux de la chaîne sont examinés – semences, production, transformation, grossiste, magasin, etc. – si bien qu’un produit bio peut passer entre les mains d’une poignée d’auditeurs avant de finir dans les assiettes.

« Bien balisé »

Ce contrôle annuel obligatoire est néanmoins menacé de disparition dans le futur règlement européen sur l’agriculture biologique, en cours de réforme. Si les négociations entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne, qui ont pris du retard, n’ont pas encore accouché du texte final, elles ont d’ores et déjà abouti à plusieurs points de compromis, notamment sur cette question. D’un contrôle par an assorti de contrôles inopinés en cas de soupçon, la logique s’inverserait : l’analyse des risques permettrait de passer à un contrôle tous les deux ans, pour les exploitations jugées sûres.

« Moins on contrôle, moins on est justement en mesure d’évaluer les risques présents à telle période, pour telle culture, sur telle parcelle de l’exploitation », déplore Antoine Faure, chargé de la réglementation européenne à Ecocert, qui craint une « perte de confiance du consommateur ». « Avec tous les nouveaux producteurs qui se convertissent pour profiter d’un marché en pleine croissance, il faut être rigoureux, estime aussi Eric Kauffer. Certains ne maîtrisent pas encore tout, les contrôles réguliers leur permettent d’être bien balisés. » L’agriculteur Nicolas Petit tient lui aussi à ce « suivi » :

« J’en ai besoin pour me tenir à jour de toutes les règles. Ça permet aussi d’être encadré, de ne pas se poser de questions si jamais on a une tentation… Car c’est parfois dur, par exemple quand on voit tous ses poulets malades et qu’on ne peut pas les traiter. Ça pousse à trouver d’autres solutions, c’est une démarche de progression. »

Des contaminations inévitables

Si ce système de contrôle sert de rempart contre les fraudes, celles-ci restent marginales de la part des agriculteurs, qui se convertissent à la bio de leur propre initiative. Les décertifications, néanmoins, le sont moins : chaque année, Ecocert déclasse environ 10 % des productions, partiellement ou totalement. Quant à la DGCCRF, qui a contrôlé plus de mille établissements en 2015, elle relève un non-respect de la réglementation bio dans 14 % des cas, et dans près de 4 % pour la seule présence de pesticides.

Parmi les principales accusées : les importations. En 2008 par exemple, Terrena, leader du poulet bio en France, découvrait que près de 300 tonnes de soja bio, que la coopérative avait importé de Chine pour nourrir ses volailles, étaient contaminées à la mélamine, une substance chimique toxique. Autre risque : les contaminations fortuites, notamment lors du transport ou du stockage, si les filières bio et non-bio sont mal séparées.

Nicolas Petit, agriculteur, et Eric Kauffer, contrôleur à Ecocert, sur la Ferme de coton dans le Gers. | Angela Bolis / Le Monde

Pour éviter ce type de contaminations dans les champs, le contrôleur veille justement au grain. « Bien souvent, les exploitations bio sont voisines d’exploitations conventionnelles, constate M. Kauffer. Dans ce cas, je peux revenir pour un contrôle inopiné au moment du traitement par l’agriculteur voisin, vérifier que toutes les précautions ont bien été prises (protéger ses champs avec une haie, un talus, un fossé), et éventuellement faire des prélèvements pour analyser les cultures. » Celles-ci pourront perdre leur label si la présence de pesticides est avérée, avec néanmoins une certaine tolérance si l’agriculteur avait mis en place tous les moyens pour s’en prémunir.

Cette obligation de moyens est présente à chaque instant du contrôle bio, qui se focalise avant tout sur les mesures mises en œuvre par l’opérateur pour respecter les cahiers des charges. Elle est un des fondamentaux de l’agriculture biologique, qui estime que, dans un environnement où les pesticides sont omniprésents, elle ne peut garantir un produit « zéro pesticide ». Ni réduire son modèle à un tel résultat.

Ce principe est toutefois lui aussi remis en cause par la réforme du règlement européen de la bio. Parlement, Commission et Conseil se sont en effet entendus sur un seuil de déclassement des produits bio contenant des résidus de pesticides (le double du seuil de détection, soit une quantité minime), qui serait systématique si la présence de plusieurs substances non-autorisées est détectée sur un même produit.