Primaire à gauche : « Pour la première fois, ce n’est pas une synthèse qui va l’emporter mais une ligne sur une autre »
Primaire à gauche : « Pour la première fois, ce n’est pas une synthèse qui va l’emporter mais une ligne sur une autre »
Nicolas Chapuis, chef du service politique au « Monde », a répondu à vos questions sur les enseignements à tirer de la dernière confrontation télévisée entre les sept candidats à la primaire à gauche.
Quel candidat a tiré son épingle du jeu ? Quels noms se dégagent ? Quelles alliances sont possibles pour le second tour ? A deux jours du premier tour, Nicolas Chapuis, chef du service politique au Monde, a répondu aux questions des internautes sur les enseignements à tirer du dernier débat télévisé entre les sept prétendants de la primaire à gauche.
Cameleon : Bonjour, savez-vous dans quelle mesure le débat a-t-il été suivi ?
Le débat a réuni 3,1 millions de téléspectateurs sur France 2 hier soir, soit 15 % de part d’audience. Il faut y ajouter les chiffres d’Europe 1, codiffuseur du débat. C’est bien moins que le dernier débat de la droite qui avait réuni 5,1 millions de téléspectateurs. Pour comparaison, le premier débat de la gauche, jeudi 12 janvier, avait intéressé 3,8 millions de personnes.
Lila : Peut-on dire qu’un des candidats s’en est mieux sorti que d’autres ? Y’a-t-il un outsider ?
Nous ne nous livrons pas au petit jeu des notes des candidats comme d’autres journaux. La part de subjectivité dans l’exercice est bien trop grande. Et la primaire de la droite, avec ses surprises, nous incite à la prudence, voire à l’humilité. Ce que l’on peut observer, c’est que la dynamique sur le plateau a évolué entre les débats. Manuel Valls était perçu par ses concurrents comme le favori lors du premier débat et a donc été la cible des attaques. Il incarnait alors le bilan du quinquennat, critiqué par MM. Hamon et Montebourg.
Dans ce dernier débat, c’est davantage M. Hamon qui a fait l’objet de critiques. Les autres candidats estiment qu’il a une dynamique (et qu’il faut donc l’enrayer) et que ses propositions ont été au cœur de la campagne. C’est toujours dangereux en politique de laisser l’autre imprimer le tempo et de discuter des thèmes de l’adversaire davantage que des siens. Il a donc été attaqué sur le revenu universel, jugé irréaliste par les autres. Du challenger plutôt habile des premiers débats, il est passé hier dans le rôle du candidat sur la défensive, répliquant à chacune des piques.
A-t-il réussi à convaincre les électeurs de la faisabilité de son programme, ou au contraire a-t-il été un peu décrédibilisé ? Les urnes nous le diront dimanche.
VM : A-t-on déjà des chiffres quant aux candidats qui ont été jugés les plus convaincants dans ce débat ?
Comme dit précédemment, il n’y a pas de chiffres objectifs sur la question. Il s’agit d’un ressenti de chaque téléspectateur.
Nurr : Combien de votants peut-on espérer voir dimanche ? Si ce nombre est trop faible, cela va-t-il fragiliser la crédibilité du futur candidat ?
Là encore, je me garderai de tout pronostic. La participation est évidemment un enjeu pour le PS. Ils n’espèrent pas atteindre les scores de 2011 (2,8 millions de votants au premier tour), mais ils ne veulent pas passer sous un certain seuil. Sous le million de votants, le processus serait vraiment décrédibilisé.
Mais ce ne sera pas nécessairement un fiasco. L’absence d’enthousiasme dans cette campagne doit être décorrelée de la participation finale. Les électeurs s’accoutument au principe de la primaire et peuvent avoir envie de donner leur avis, même s’ils ne sont pas emballés par l’offre.
Domtom : Les électeurs de droite iront-ils voter ce dimanche et pour qui ?
Je pense que la problématique est moins forte que dans la campagne de la droite. La principale raison est la suivante : à travers la primaire de la droite, beaucoup de Français ont eu l’impression qu’ils désignaient là le futur vainqueur de la présidentielle. Certains électeurs, qui ne se sentaient pas « de droite », ont pu vouloir donner leur avis et voter pour le candidat qui leur semblait le moins incompatible avec leurs valeurs. Et même avec cette donne, le résultat final, avec l’élection de Fillon, incarnant une ligne libérale-conservatrice, a montré que ce vote (principalement en faveur de Juppé) avait été marginal.
Pour la primaire à gauche, il n’y a pas la même dynamique. Les électeurs pensent pour la plupart que le gagnant est condamné à faire un mauvais score à la présidentielle. Il ne me semble pas qu’il y ait un mouvement massif d’électeurs de droite déclarant vouloir aller voter à la primaire.
Jiji : En cas de second tour Valls contre Hamon, vers qui Peillon aurait-il le plus de chances de se tourner ? Est-on sûr que dans ce cas Montebourg ne ferait pas à Hamon le même coup qu’à Martine Aubry ?
Vous vous projetez déjà au second tour ! Peillon a davantage vocation à se tourner vers Manuel Valls dont il est plus proche idéologiquement. La candidature Peillon, à l’origine, devait incarner une certaine défense du bilan de Hollande. Bilan que critiquent fortement Hamon et Montebourg. De plus, une partie des troupes derrière Peillon sont issues du « hollandisme ». Ils n’ont pas pardonné aux frondeurs d’avoir en quelque sorte « gâché » le quinquennat en apportant une contestation interne permanente.
Quant au rapprochement entre Montebourg et Hamon (si l’un des deux est au second tour), il y a quelques semaines, je vous aurais répondu que cela se ferait sans trop de souci. Aujourd’hui, force est de constater que le ton s’est durci entre les deux, qu’ils défendent des options différentes. Je continue à penser qu’à la fin, le rejet de Manuel Valls (auquel ils en veulent depuis leur sortie du gouvernement en 2014) sera plus fort et les poussera à une alliance.
Jacques : Les tensions entre les camps de MM. Hamon et Montebourg peuvent-ils laisser entrevoir un soutien du second à Valls s’il était éliminé ?
J’ai déjà en partie répondu, mais je précise : MM. Hamon et Montebourg se disputent le même espace politique, même si leurs options idéologiques sont très différentes. Il est donc normal que le ton se durcisse entre les deux. M. Montebourg a toujours considéré que la candidature de M. Hamon n’était pas très sérieuse et qu’il ferait mieux de se ranger à ses côtés. Le voir le challenger dans les débats et dans l’opinion l’agace prodigieusement. Mais à la fin, le front anti-Valls devrait tout de même l’emporter.
Manjmor : J’ai entendu Benoît Hamon parler de cotisations égales à travail égal pour tous les actifs. Ce qui signifierait que ceux au RSI et au régime général, ou autre, seraient traités pareil. Cela ma parait très flou. En savez-vous plus ? En quoi se démarque-t-il de Mélenchon, et Macron, qui veulent tout aligner ?
Les intentions de chacun sur le RSI sont très floues depuis le début. Ils jouent d’ailleurs tous de l’ambiguïté vis-à-vis de ce système très impopulaire. Quand M. Macron propose de supprimer le RSI par exemple, il s’agit de supprimer la caisse qui le gère pour le confier au régime général, absolument pas de supprimer les charges en question. En clair : les indépendants continueraient à payer ces charges mais à un autre organisme.
Quant à la proposition de M. Hamon, il faut rappeler que les indépendants cotisent moins que les personnes au régime général. Si on suit la logique, pour être traités pareil que les autres il faudrait donc augmenter leurs cotisations, pour ne pas déséquilibrer le système. Evidemment, ce n’est pas sur ce point qu’il insiste…
Marine : Savez-vous positionner François de Rugy sur les questions économiques ? J’entends qu’il est défavorable au revenu universel et qu’il veut développer les énergies renouvelables mais ça ne m’a pas semblé très précis.
M. de Rugy a été l’un des plus fervents défenseurs de la politique économique du quinquennat Hollande. Il se situe donc dans cette droite ligne. Dans ses propositions on retrouve par ailleurs le basculement des cotisations familles payées par les entreprises sur la CSG ou le prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source (déjà engagé par Hollande). Et effectivement, il défend le développement des énergies renouvelables. Il faut rappeler qu’il était, il y a peu encore, membre d’Europe Ecologie-Les Verts.
Zigomardo : Pourquoi le système médiatique a-t-il mis Vincent Peillon hors-jeu en décidant manifestement qu’il n’était pas crédible (alors qu’il est de loin le candidat le plus intelligent et le plus éloquent – quant à sa prétendue morgue, comparativement à Montebourg, c’est un amateur…) ?
Je ne sais pas qui vous désignez par « système médiatique », mais Le Monde ne l’a pas mis hors jeu. Nous avons été le premier journal à faire une grande interview de M. Peillon sitôt après sa déclaration de candidature. Si M. Peillon est moins cité que les autres candidats, c’est parce qu’il s’est lancé tard dans la campagne, qu’il a peu de troupes et pas d’argent. Il n’organise donc que peu de déplacement et fait campagne surtout à travers… les médias que vous accusez.
Quant aux jugements personnels sur lui – « le plus intelligent » – je vous les laisse. S’il a effectivement réussi à convaincre les millions de téléspectateurs des débats, cela devrait se voir dans les urnes dimanche.
Gladys Destin : Une fois un candidat à gauche désigné, Macron aura-t-il le même souffle ? pourra-t-il plus louvoyer ? Est-ce que son programme « poudre à perlimpinpin » prendra ?
C’est tout le pari de Manuel Valls. Il espère que la primaire à gauche donnera une dynamique au gagnant et que la bulle Macron qui, selon lui, prospère surtout sur l’absence d’un candidat du PS identifié, éclatera. Pour M. Macron, la fin de la primaire à gauche marque un tournant de la campagne. Il aura, enfin, face à lui, peu ou prou, l’offre politique consolidée pour 2017.
Ne restera que l’inconnue Bayrou. Mais tous les candidats déclarés vont l’attaquer sur le flou de ses propositions et sur l’absence de programme. Il a prévu de sortir du bois sur ces questions-là avec l’annonce de mesures et un chiffrage dans le courant du mois de février. On en saura alors un peu plus sur ce qu’est le « macronisme », ou sur ce qu’il n’est pas.
Marcus : Entre des proximités idéologiques (essentiellement sur l’économie) entre Valls et Macron, et celles manifestes entre Hamon et Mélenchon, le PS n’est-il pas déjà condamné à l’implosion, Valls et Hamon personnalisant le divorce (et susceptibles de se voir au second tour de la primaire) ?
Vous avez raison, le PS est à un tournant de son histoire. Pour la première fois, ce n’est pas une synthèse qui va l’emporter mais une ligne sur une autre. Comment vont se comporter les perdants ? Toute la question est là.
La droite du parti va-t-elle partir avec armes et bagages chez Macron en cas de victoire de Hamon ou Montebourg ? La gauche du parti va-t-elle se tourner vers Mélenchon en cas de victoire de Valls. C’est le défi du gagnant de la primaire le 29 janvier : empêcher l’implosion et convaincre les autres (et surtout les électeurs) qu’il peut y avoir encore un projet conquérant de la gauche social-démocrate en France. Vu l’état de déliquescence de ce courant de pensée, le vainqueur aura du travail.
Marcus : Comment expliquer le silence assourdissant de Martine Aubry alors qu’il semblerait assez logique qu’elle soutienne Hamon ?
Martine Aubry est actuellement absente de la vie politique pour raisons de santé. Elle ne prendra donc pas part aux débats.