Education : « L’apprentissage en réseau a pris le dessus »
Education : « L’apprentissage en réseau a pris le dessus »
Propos recueillis par Paloma Soria
A l’occasion d’O21 / s’orienter au 21e siècle à Paris, les 4 et 5 mars, Greg Niemeyer, professeur à Berkeley, examine les changements majeurs induits par le numérique dans l’éducation.
Greg Niemeyer, professeur à Berkeley, en Californie. | Greg Niemeyer
A la tête du Centre pour les nouveaux médias de l’Université de Berkeley, aux Etats-Unis, Greg Niemeyer enseigne cette matière depuis le début de sa carrière. Diplômé d’arts classiques et photographie en 1997 à Stanford, il propose une analyse transdisciplinaire des interactions entre humain et technologie. Dans un entretien, il revient sur vingt ans de transformations en profondeur du secteur de l’éducation et éclaire les enjeux du monde du travail de demain.
Quels sont les changements majeurs du domaine de l’éducation depuis les vingt dernières années ?
Greg Niemeyer : L’éducation en soi n’a pas changé. Elle reste ce moment où l’on transmet des savoirs parce qu’on les juge pertinents. Mais les modes d’apprentissage oui. Avant, le mode d’apprentissage hiérarchique dominait. Le savoir était détenu par un seul sachant, le professeur, qui s’adressait à des étudiants ignorants. Aujourd’hui, le mode d’apprentissage en réseau a pris le dessus : une collectivité de personnes partiellement savantes choisit de partager ce qu’elle sait.
La question est : comment valider ce nouveau mode d’apprentissage et permettre aux gens de prouver que l’apprentissage en réseau leur a apporté des connaissances ? Au lieu d’un diplôme, un étudiant peut avoir 100 000 abonnés sur Instagram. Ces abonnés valident un domaine de compétences plus puissamment qu’un diplôme. On assiste à une diversification des sources d’éducation.
Quelles sont les autres compétences cruciales pour se faire une place dans le monde du travail de demain ?
La vie en réseau requiert des compétences dont l’être humain n’avait pas besoin avant. La transdisciplinarité, pour commencer. Elle sera la culture du futur. Ensuite, la créativité. En cette période de bouleversements culturels, environnementaux et technologiques similaires à 1968, la créativité devient une stratégie de survie. Enfin, la capacité à vivre avec les autres : être à l’aise avec des normes sociales divergentes, être capable de côtoyer les autres sans présupposer qu’ils pensent la même chose que nous. Et il n’y a pas de diplôme pour cela.
Les diplômes sont-ils pour autant obsolètes ? La durée des études s’est allongée et l’on exige des jeunes plus de diplômes qu’on en demandait à leurs parents…
Les diplômes restent pertinents, mais plus exclusivement. C’est toute la question de la valeur du diplôme comparée à celle de la validation par l’engagement. Le diplôme universitaire témoigne de la capacité à respecter des règles, engranger du savoir et le mobiliser au bon moment. L’engagement social provenant de la réputation témoigne quant à lui de la capacité à s’intégrer au sein d’une communauté et à susciter l’intérêt des autres sur des sujets précis. Performance sociale du savoir versus répétition du savoir. Nous avons besoin des deux.
Ensuite, l’inflation des diplômes est le symptôme d’un système en décomposition. S’il faut de plus en plus de diplômes pour le même niveau de crédibilité, c’est que le système regarde dans une nouvelle direction. Les diplômes rattrapent lentement le retard du secteur de l’éducation par rapport à la réalité du marché du travail.
Quelle est cette nouvelle direction ?
Nous nous dirigeons vers une population active bien plus mobile, flexible et mondiale, capable de faire face à des situations plus complexes telles que les fake news, l’évolution très rapide du sens des mots et les changements culturels.
Forcément, l’idée d’avoir à s’adapter provoque de l’anxiété et de la peur, mais comme à la fin de l’ère féodale, où l’aristocratie accumulait les titres pour compenser son pouvoir faiblissant, il est trop tard car le pouvoir a déjà changé de mains.
Où se trouve-t-il ?
Il est passé des mains de structures rigides à celles de structures dynamiques et mouvantes. Chez Google et Microsoft, les employés changent de poste environ tous les deux ans. On les assigne à des fonctions qui leur sont inconnues pour les pousser à innover et à faire partie intégrante du réseau de l’entreprise.
En parallèle, les entreprises de la Silicon Valley prennent de plus en plus en charge la transmission des connaissances. Toutes disposent de programmes de formation continue. Chez Google, un pourcentage du salaire est versé sous la forme de frais de scolarité.
Quels sont les enjeux de l’intelligence artificielle et du big data ?
Premièrement, l’intelligence artificielle pose le défi de l’autorité. Quand on se sert d’une application pour s’orienter, par exemple, on délègue son autorité à son téléphone. Comment s’assurer qu’on délègue correctement cette autorité ? On n’a aucune garantie de la récupérer ensuite.
Deuxièmement, en matière de big data, nous sommes bien plus illettrés que nous le pensons. Quand nous postons une photo sur Facebook, nous donnons gratuitement à des entreprises des données qui nous concernent. La plupart d’entre nous sommes des esclaves des données. S’il on veut rester libre, l’enjeu est l’alphabétisation. Comment pouvons-nous, en tant que sujets des données, être aussi les auteurs de nos vies ?
Au programme d’O21/s’orienter au XXIe siècle, les 4 et 5 mars à la Cité des sciences et de l’industrie, huit conférences interactives pour aider les lycéens et les étudiants à se poser les bonnes questions.
Entrée libre sur inscription / cliquez ici pour téléchargez votre invitation
O21 en 45 secondes
Durée : 00:47