Test : « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », le jeu vidéo avec une majuscule
Test : « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », le jeu vidéo avec une majuscule
Par William Audureau
Le jeu-phare du lancement de la nouvelle console de Nintendo, la Switch, casse les codes de la saga pour offrir un monde ouvert gigantesque. Grisant, et souvent brillant.
Nintendo tire un trait sur Wind Waker, Twilight Princess et Skyward Sword, les trois précédentes aventures 3D de Link sur consoles de salon, jugées trop linéaires, trop étroites et trop biscornues. Avec ce nouvel épisode, qui sort le 3 mars sur Wii U et Switch - sur lequel nous l’avons testé - Link, le héros aux oreilles pointues, se lance dans le bain des mondes ouverts, ces jeux qui depuis le premier Assassin’s Creed en 2007, laissent le joueur vagabonder librement dans des univers s’étalant à perte de vue.
Le résultat est une réussite. Disons-le tout de go : Breath of the Wild est le plus grand des Zelda. Il l’est au moins d’un pur point de vue géographique : sa carte est immense, l’arpenter prend des dizaines d’heures, et même une fois la quête principale achevée, elle réserve encore à l’aventurier non repu des centaines de trésors et puzzles tapis dans ses coins les plus reculés. Mais c’est aussi un grand jeu, tout simplement, en terme de qualité et d’amusement.
The Legend of Zelda: Breath of the Wild - Bande-annonce Nintendo Switch
Durée : 03:50
Le meilleur jeu Ubisoft des dix dernières années
Pour quiconque est habitué du genre du jeu en monde ouvert, en grande partie codifié par l’éditeur français Ubisoft et devenu incontournable sur PlayStation 4 et Xbox One, Breath of the Wild ne sonnera pas tout à fait nouveau. Son découpage en régions, avec une tour à escalader pour débloquer la carte des environs, est même une tarte à la crème de ce type de production - d’Assassin’s Creed à Far Cry en passant par Dying Light, il s’agit d’une facilité à laquelle cèdent bien des développeurs, et le Zelda nouveau ne fait pas exception.
« Breath of the Wild » a des petits airs de « Far Cry : Hyrule Edition », avec sa vingtaine de tours à trouver et escalader. | Nintendo
En toute nonchalance, le titre de lancement de la Switch emprunte en fait bien des idées à la concurrence - citons en vrac les chevaux sauvages à dompter de Red Dead Redemption, la chasse et les jumelles de Far Cry, les concoctions magiques à fabriquer soi-même de The Witcher et tant d’autres jeux de rôle à l’occidentale, etc. De ce point de vue, Breath of the Wild est le moins japonais de tous les épisodes et celui qui s’inscrit le plus dans la continuité d’un genre à la mode.
Ainsi, il tient plus de la synthèse que d’une révolution, contrairement à ce qu’ont pu être Super Mario 64 en 1996 Ocarina of Time en 1998 - certes en plein débuts de la 3D, et aidés par une console, la Nintendo 64, bien plus puissante que la concurrence à son époque. Cela ne l’empêche pas de briller, et livrer le jeu en monde ouvert le plus abouti. En ironisant, on pourrait dire que le meilleur jeu Ubisoft, c’est Nintendo qui l’a réalisé - et le tout sans macaron « déconseillé aux moins de 18 ans ».
Un système de jeu organique, des énigmes brillantes
La supériorité de Breath of the Wild tient sans doute à quatre éléments. Tout d’abord sa patte visuelle atypique, où le style Ghibli coloré et lumineux le dispute aux teintes aquarelles envoûtantes, et ses paysages majestueux relevés de quelques notes de piano. A part The Witcher 3, rares sont les jeux capables de créer ainsi, plus que des paysages, une atmopshère.
L’autre force de ce Zelda, c’est son système de jeu organique. Il n’est pas un seul détail qui ne s’insère dans une économie générale d’interactions. Hyrule est un monde-système, où certaines armes craignent la foudre, où les piments cuisinés protègent du froid glacial des hautes cimes, où les parois rocheuses deviennent glissantes et impraticables quand il pleut, où les flèches s’enflamment d’elles-même quand Link les sort de son étui en plein volcan, où les armes se brisent à l’usage. La météo, la cuisine, l’équipement, tout s’embrique selon une logique si limpide, que le jeu laisse souvent au joueur l’initiative d’anticiper.
Une centaine de sanctuaires souterrains réservent des énigmes retorses au joueur. | Nintendo
Réfléchir, cerner, expérimenter - telles sont bien souvent les clés de la progression, dans ce monde d’Hyrule où les combats sont finalement assez souvent anecdotiques. Les traditionnels donjons ont laissé place à une myriade de « sanctuaires », d’ingénieux temples dont chacun abrite plusieurs énigmes spatiales fascinantes d’ingéniosité. Mais c’est encore dans ces quatre grandes forteresses à l’ancienne - chacune en forme d’animaux - que Breath of the Wild délivre toute sa puissance, à base d’énigmes vertigineuses d’astuce et d’originalité. Nintendo marche ici sur les pas de Portal et The Witness, parmi les jeux cérébraux les plus géniaux de ces dernières années, et fait revivre les souvenirs du Temple de l’eau, légendaire donjon alambiqué d’Ocarina of Time.
Mémoire ouverte
Et puis, il y a cette force que peu d’autres séries peuvent connaître, faute d’ancienneté. Breath of the Wild n’est pas seulement un jeu à monde ouvert, mais aussi un jeu à mémoire ouverte. L’histoire en joue volontiers, rappelant ce combat qui oppose depuis toujours - 10 000 ans, avance la légende - le preux chevalier Link, la princesse Zelda et Ganon le conquérant. En parcourant une nouvelle fois Hyrule, l’ancien vainqueur des précédents épisodes sera régulièrement récompensé, par petites touches, de références à ses aventures d’antan.
L’héritage d’Ocarina of Time, l’épisode-charnière de 1998 - le premier en 3D - est notamment omniprésent, à l’image de son emblématique temple du temps dont les ruines majestueuses surplombent la zone de départ. Mais Breath of the Wild est aussi un épisode qui rompt brutalement avec les codes de la série - adieu tunique verte de départ, boomerang, musique des coffres aux trésors et clés du boss - et tout ce monde en ruines, dans lequel Link, amnésique, se réveille après 100 ans de sommeil, lui sussurre à quel point les choses ont changé.
Que ce soit dans l’architecture, les chevaux à monter ou les peuplades rencontrées, « Breath of the Wild » multiplie les clins d’oeil aux précédents épisodes. | Nintendo
Peut-être est-ce là que le Zelda nouveau est finalement le plus beau, le plus émouvant. Le marketing peut bien le vendre comme l’épisode du retour à la liberté, à l’exploration, à l’ivresse de la découverte - tout ça, il l’est. Mais c’est aussi un jeu qui distille une étrange mélancolie, celle d’un héros trop jeune dans un monde trop vieux, d’un chevalier servant à qui chacun rappelle son échec, à qui le monde entier rappelle son étrangeté.
Link visite bien des peuples exotiques, mais tous lui rappellent qu’il est un Hylien, un peuple sans ville, une race sans peuple. Partout où il va, il est d’ailleurs ; sans n’avoir aucun chez lui. Singulière révolution que ce jeu, qui tout en cassant les carcans de sa formule, promène sa propre perte de repères. Il est tentant d’y voir le symbole même de ce Nintendo centenaire, qui après cinq ans de traversée du désert, tente de reconquérir les joueurs perdus en acceptant de renier une partie de ses formules d’antan. Derrière ses oripeaux de nouveau jeune, Breath of the Wild est un jeu sur la vieillesse, sur l’exil et le rachat.
L’UCPA avec des dragons
Alors, est-il un grand jeu ? Oui, assurément. Sa capacité à sublimer l’essence de Zelda, et faire résonner le coeur même de la saga dans l’écrin de la modernité, ses envolées épiques, son savoir-faire et son ingéniosité de tous les instants ne laissent aucun doute : il s’agit d’un jeu de maître. Mais sa force est aussi sa faiblesse.
Historiquement, les jeux Nintendo ont toujours été pensés comme des jardins miniatures à la japonaise - des concentrés réduits du réel, capable d’en restituer le suc de l’amusement. En quittant l’échelle du bonsaï pour épouser celle du baobab, Breath of the Wild perd fatalement de son intensité. Ce monde qui semble se déployer sur des milliers de kilomètre n’a plus la même concentration d’idées que ses prédécesseurs ; certains pans de campagnes sont trop semblables les uns aux autres, les artifices sont un peu plus visibles.
Par moments, Link donne l’impression de ne plus être totalement un aventurier pris dans un monde fantastique, mais un vacancier à l’UCPA, alternant alpinisme et barbecue, baignade et repos, équitation et photos touristiques. Le jeu encourage l’exploration et récompense la curiosité, mais la récompense tient parfois plus du simple dédommagement matériel - des pierres précieuses en plus, des champignons rares, éventuellement une arme un peu plus puissante - que de l’ivresse pure de la découverte, par exemple d’un paysage foudroyant d’originalité, d’une peuplade folklorique ou d’un personnage marquant.
A la montagne, au lac, ou dans le désert, « Breath of the Wild » a un côté randonneur du dimanche. | Nintendo
Et puis, arrive un petit sentier de montagne que l’on suit pendant une demi-heure, par désoeuvrement, qui se transforme peu à peu en chemin enneigé d’où jaillissent squelettes et lézards agressifs, et voilà qu’à bout d’énergie, arrivé au sommet, de la cime frappée par le blizzard surgit avec fracas un dragon géant légendaire tourbillonnant qui soudain fait basculer l’errance anodine en souvenir épique. C’est aussi là où Breath of the Wild est grand. Plus encore que par sa taille, sa direction artistique, sa richesse et son ingéniosité. C’est, tout simplement, une oeuvre qui fait naître des aventuriers.
En bref
On a aimé
- L’impression de voyage
- La liberté absolue
- Les paysages envoûtants
- Enfin un épisode digne d’Ocarina of Time
- « Oh tiens, et il y a quoi par là ? »
- La richesse du système de jeu (météo, cuisine, armes cassables...)
- Les énigmes innombrables et souvent brillantes
- On ne s’est toujours pas remis du chameau, le « donjon » des Gérudos
On n’a pas aimé
- Quelques ralentissements, notamment en forêt
- La faune un peu quelconque
- Pas mal de reliefs sans intérêt, au final
- Où sont les minijeux dans les villages ?
C’est plutôt pour vous si...
- Vous cherchez un jeu de longue haleine - comptez 30 heures minimum
- De préférence pas déconseillé aux moins de 18 ans
- Vous attendiez depuis près de 20 ans le successeur d’Ocarina of Time
- Vous voulez retrouver l’univers de Zelda
- Vous en aviez marre des jeux en monde ouvert sans âme et répétitifs
- Vous avez une Switch mais pas Breath of the Wild (quelle drôle d’idée)
- Allez, assumez, montrez-le, votre tatouage de Triforce sur la fesse gauche
Ce n’est pas pour vous si...
- Vous en avez ras-le-bol d’escalader des tours virtuelles
- Chasser le lapin vous met mal à l’aise
- Vous n’avez pas le temps pour les jeux longs
- 14 boutons à gérer pour un jeu, c’est trop pour vous