Le vêtement entre dans la danse
Le vêtement entre dans la danse
M le magazine du Monde
Libérer les postures figées des mannequins, réinventer le lien entre habillement et mouvement… En faisant appel aux chorégraphes, les maisons de mode assurent le spectacle.
Le créateur libanais Rabih Kayrouz a fait appel à la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot (au centre) pour son défilé printemps-été 2017. | Sylvain Oger/Maison Rabih Kayrouz
En janvier, à Florence, lors du Pitti Uomo, le plus grand salon de mode masculine, Paul Smith a présenté sa ligne PS By Paul Smith sous la forme d’un show chorégraphié. Sur scène, huit danseurs professionnels alternaient figures acrobatiques, pas de danse classique et démonstrations de street dance, vêtus du vestiaire automne-hiver 2017-2018 de la ligne bis du créateur anglais. La performance était signée du chorégraphe Jamie Neale.
« On a travaillé ensemble pour que le résultat soit crédible : ni trop dramatique ni trop théâtral, explique Paul Smith. Nous avons choisi des danseurs issus de spécialités différentes pour illustrer la fluidité de nos vêtements. » Une présentation qui faisait écho au thème du salon : la danse. « L’énergie de cette discipline apporte un souffle nouveau à la mode. Chaque saison, nous définissons un thème qui reflète notre époque. Le langage du corps est un bon outil de communication », indique Agostino Poletto, le directeur marketing du salon. En effet, Paul Smith n’est pas le seul à collaborer avec des chorégraphes.
Des mannequins moins robotisés
En octobre 2016, pour le lancement de la collection Kenzo x H&M, Jean-Paul Goude se voit confier la mise en scène d’un show spectaculaire fusionnant mode et danse. Le photographe-metteur en scène fait appel à l’une des stars du milieu, le chorégraphe américain Ryan Heffington, auteur de la danse endiablée du clip de Chandelier, de la chanteuse Sia (visionné plus de 1,5 milliard de fois sur YouTube). Pour clôturer le défilé de sa dernière collection, Stella McCartney, pour sa part, a demandé à Blanca Li de concevoir un flash-mob – des mouvements de foule synchronisés – destiné à entraîner le public. Quant à la très médiatique danseuse étoile Marie-Agnès Gillot, elle a chorégraphié et dansé lors du défilé printemps-été 2017 de Rabih Kayrouz, mais également posé pour les campagnes de Céline et des Galeries Lafayette.
Le show de Jean-Paul Goude pour Kenzo x H&M. | Giuseppe Grasso
Longtemps acteurs de l’ombre, les chorégraphes occupent désormais une place visible dans l’industrie de la mode. Les magazines et les marques – de H&M à Hermès, en passant par Isabel Marant et Lacoste – font appel à eux depuis quelques années. Leur rôle ? Renouveler les poses des mannequins lors des séances photo ou des campagnes de pub vidéo afin de réinventer le lien entre vêtement et mouvement. Leur influence se perçoit dans une posture, un port de tête ou encore une façon de tenir un sac.
En libérant leurs mouvements, les mannequins apparaissent moins robotisés, plus vivants. Ainsi Carine Charaire et Olivier Casamayou, duo de chorégraphes connu sous le nom de I Could Never Be a Dancer, ont réalisé des films de mode pour Hermès, Chloé et Chanel. « Aujourd’hui, on signe un mouvement comme on signe un maquillage, un vêtement ou un décor, affirment-ils. Longtemps, les mannequins n’ont été qu’une image plate, comme un simple portemanteau. Aujourd’hui, ce sont des corps en trois dimensions. »
Ancien danseur étoile du ballet de Francfort, Stephen Galloway, surnommé par le quotidien The Wall Street Journal « L’homme qui murmurait à l’oreille des mannequins », a baptisé son activité : Creative Movement Director (directeur créatif du mouvement). Il est derrière les sautillements et les muscles saillants du mannequin Natasha Poly dans la campagne de pub Isabel Marant pour l’automne-hiver 2015. « L’introduction de la danse vient bousculer la position traditionnelle – statique et verticale – du corps dans la mode. Le caractère hiératique du corps est un moyen de signifier l’intemporalité d’un produit et la permanence d’une marque. Mais la danse permet aux marques de réanimer les vêtements et de réintroduire de l’affect dans le lien avec le produit », souligne Marie Schiele, doctorante en philosophie à l’université Paris-Sorbonne.
Le ballet chorégraphié par Carine Charaire et Olivier Casamayou pour le film d’un parfum Chloé. | I could never be a dancer/TBWA/Chloé
Parfois, l’intervention des chorégraphes exige un jeu théâtral qui n’est pas à la portée de tous les mannequins. La Française Gwenola Guichard se souvient d’une série mode pour un magazine avec un danseur de ballet : « Ce genre de prises de vue requiert une parfaite connaissance de son corps. Il faut accepter d’être regardée et photographiée à 360 degrés, pas forcément sous son meilleur profil. Notre corps en se transformant en matière libre devient malléable. »
Les « créateurs de mouvement » ont longtemps été mal perçus par le monde de la danse dont ils sont presque tous issus. « Ce milieu élitiste voyait d’un mauvais œil notre incursion dans l’industrie de la mode. C’était même synonyme de fourvoiement. Aujourd’hui, il n’y a rien de choquant à travailler à la fois pour un ballet et pour une marque de mode », assure Carine Charaire. Jamie Neale, lui, se félicite de ce phénomène : « On est en train d’assister à une réappropriation de l’image du corps et, à travers elle, c’est la question du lien intime avec le vêtement qui est posée. » Rappelons que, dans les années 1920, la démarche du mannequin – hanches en avant, épaules tombantes, une main glissée dans la poche et l’autre en mouvement – adoptée lors des défilés de Coco Chanel était déjà l’œuvre de la danseuse américaine Irene Castle.
Le défilé Kenzo x H&M, dirigé par Jean-Paul Goude, en 2016
Le défilé Kenzo x H&M, dirigé par Jean-Paul Goude
Durée : 01:00