La francophonie poursuit son odyssée
La francophonie poursuit son odyssée
Globe-trotteur depuis mille ans, le français s’est forgé au gré de ses périples, instrument de conquête ou de partage, aimé ou dénigré. Il est aujourd’hui le troisième idiome le plus appris dans le monde.
Conférence de presse clôturant le XVIe sommet de la francophonie, à Madagascar, le 27 novembre 2016. | GIANLUIGI GUERCIA / AFP
La présence d’une langue hors de son berceau concrétise la diffusion d’une culture et de son influence. Que véhicule aujourd’hui le français hors de l’Hexagone ? Tour d’horizon d’une francophilie séculaire.
Du Québec au Benelux en passant par l’Afrique francophone
La langue française est globe-trotteuse. Depuis près de mille ans, au rythme de conquêtes et de migrations, elle essaime hors de ses frontières. En instrument autoritaire ou bienveillant de sa transmission, missionnaires et colons, émissaires et marchands l’ont établie sur quatre continents. Depuis, elle vit sa vie du Québec au Benelux, dans trente pays d’Afrique et d’îles ensoleillées en comptoirs lointains.
Parmi les francophones, des générations d’auteurs, de traducteurs et d’enseignants entretiennent sa constante exportation, et avec elle, une vision du monde, une cohorte d’usages et de savoirs.
Etrange paradoxe
Mais un étrange paradoxe veut que, dans l’Hexagone, on serve moins la langue qu’on ne la dénigre, alors que, hors de France, l’attitude inverse prévaut. On la respecte, on l’éprouve, on la nourrit en la confrontant aux réalités d’autres terres, d’autres vies. L’étranger francophone serait-il davantage à l’écoute de notre langue, que nous, autochtones de France ?
Tout commence par un acte de naissance. Celui du français. Les serments de Strasbourg contiennent déjà tout un symbole. En 842, deux petits-fils de Charlemagne – Charles le Chauve et Louis le Germanique – y scellent leur alliance contre leur frère Lothaire, pour se partager l’héritage de leur aïeul. Le texte juridique, en deux versions, l’une romanisée, l’autre germanisée, sera consigné par Nithard, autre descendant de l’empereur. Par son analyse, le linguiste Alain Rey indique que la langue romane exprimée dans le célèbre serment est issue d’une sorte de créole latin (fort dérivé de l’original) et d’une hybridation de langages.
Le français, langue de savoir
Au fil des siècles, le français poursuivra sa mue tout en s’expatriant. Des croisades aux victoires de Louis XV, il ira s’installer dans les cours d’Europe, en levier d’échanges et de diplomatie, culminant dans l’art de la conversation. Les encyclopédistes et la soif de connaissances des Lumières, emmenés par Diderot et D’Alembert, lui donnent un supplément d’âme, l’instaurant, aux yeux du monde, comme une langue de savoir, de culture.
De ses périples sur la planète, loin de sa terre d’origine, un militaire et géographe trouvera le nom « francophonie ». En 1871, Onésime Reclus invente le mot. Ce fervent partisan de l’expansion coloniale, qui déclarait « prenons l’Afrique, laissons l’Asie », signale que la langue est aussi l’étendard d’un pouvoir, la trace, l’indice ou le marqueur d’une domination.
Certains ont vu dans son expansion passée une forme d’universalité, voire de supériorité. L’essayiste et pamphlétaire Rivarol en sera le chantre, au XVIIIe siècle, véhiculant du français une image glorifiée, propice aux truismes dont se nourrissent les extrêmes. Cette confusion entre réalité et symbole, teintée d’accents idéologiques, présupposant la pseudo-supériorité d’une langue, d’un peuple ou d’un art participe d’une incompréhension profonde de son évolution et de son partage.
Vitalité
A l’inverse, d’aucuns voient, dans le français d’aujourd’hui, les signes patents de son déclin. D’une exagération à l’autre, chacun fausse la réalité. Ni la vitalité de la langue ni son partage ne sont pourtant en cause. Aujourd’hui, on recenserait quelque 274 millions de locuteurs francophones à travers le monde.
Malgré la prédominance de l’anglais et du mandarin, en tête des langues les plus parlées, le français, classé peu ou prou au 7e rang mondial, reste le 3e idiome le plus appris. Parmi les institutions fortement impliquées dans sa diffusion figurent quelque 800 universités, 816 alliances françaises, 96 instituts français ou encore l’Organisation internationale de la francophonie, qui regroupe 84 Etats membres.
Les Chinois, lorgnant l’Afrique occidentale, s’inscrivent massivement aux cours récemment ouverts par l’Alliance française dans leur pays. Même la révolution numérique ne semble pas freiner le flux d’échanges de 180 millions d’internautes.
Discrète mais active, la francophonie poursuit son odyssée le soir, par exemple dans les joutes de slam ou le concours d’éloquence de la Conférence des avocats du barreau de Paris et de France (ouverts au public). Ses secrétaires plaideurs, ambassadeurs de la langue, se rendent aux cours de justice, de Bruxelles à Montréal, confortant la vigueur de l’art oratoire et de la rhétorique.
Les Nuits Banches dans 200 villes étrangères
De même, la Nuit blanche, si parisienne et décriée à ses débuts, a depuis longtemps franchi les frontières de l’Hexagone pour s’immiscer, « en français dans le texte », dans près de 200 villes étrangères. Et que dire du tollé que le slogan anglais pour la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 a récemment déclenché ?
Ainsi, maltraitant le français au quotidien, on n’hésite pourtant pas à sortir nos griffes dès qu’il nous paraît méprisé. Parlerions-nous la langue unique et complexe de la contradiction et du paradoxe ? Inspirons-nous des francophones !