Au Danemark, une vidéo contre des mesures populistes
Au Danemark, une vidéo contre des mesures populistes
M le magazine du Monde
Si le texte voté par les députés du royaume ne remet pas en question le droit du sol, il instaure l’idée selon laquelle il y a des citoyens de plein droit et d’autres de seconde zone.
Au Danemark, les propos populistes questionnant l’identité nationale se multiplient.Un clip mettant en scène des enfants dénonce cette dérive. | capture Gorilla Media
Une semaine après avoir été mise en ligne, la vidéo a été visionnée plus de 2,1 millions de fois. Un fond blanc, quelques notes jouées sur un piano et quatre enfants, âgés de 7 à 11 ans. Ils ont les yeux noirs, les cheveux bruns et la peau légèrement foncée. Une voix d’homme leur demande d’où ils viennent. « Du Danemark », répondent-ils, comme une évidence. « Non, tu n’es pas danoise, Sarah, tu n’es pas danois, Abdi », tranche la voix. « Tu ne peux pas dire que, parce que tu fais venir le monde entier au Danemark et qu’ils y ont des enfants, ces enfants sont danois », poursuit-elle.
Dans cette mise en scène, la phrase reprend mot pour mot celle prononcée par le député du Parti populaire danois (DF) Martin Henriksen, afin d’en dénoncer la violence. Tenu lors d’un débat télévisé en septembre 2016, ce propos répondait à Jens Philip Yazdani, 18 ans, né au Danemark, d’une mère danoise et d’un père d’origine iranienne, qui revendiquait son identité danoise. Dans la vidéo, Scarlett, 7 ans, se cache ensuite derrière ses longs cheveux, pour pleurer. Abdi, 11 ans, insiste : « Je me sens danois, je m’amuse ici, au Danemark. Je suis né et j’ai grandi ici, j’ai plein d’amis. » Le clip se termine sur une supplication : « Chers politiciens, rappelez-vous de qui vous parlez. »
Telling kids they aren't Danish...
Durée : 03:13
Réalisé par la société de communication Gorilla Media, installée à Copenhague, ce petit film suscite la polémique dans le pays. La ministre libérale de l’immigration et de l’intégration, Inger Stojberg, a jugé qu’il était « moralement répréhensible, insensé et dégoûtant » d’utiliser ainsi des enfants. Le réalisateur, Alex Sabour, dénonce, lui, « l’hypocrisie » de ses détracteurs : « Les enfants ne sont ni sourds, ni aveugles, ni stupides. Ils regardent la télé, écoutent la radio et utilisent Internet. Ils entendent ce qui y est dit. » Alex Sabour est né en Iran et a grandi
aux Etats-Unis. Son épouse vient du Brésil. Leur fille Scarlett n’avait que 4 ans lorsqu’elle est rentrée pour la première fois de l’école en demandant d’où elle venait : « Des enfants lui avaient dit qu’elle n’était pas danoise. »
Le réalisateur dénonce aussi un texte qui a été voté, le 9 février, par les députés du royaume, proposé par les populistes : « Le Parlement constate avec inquiétude qu’il y a des quartiers au Danemark où la proportion d’immigrés et de descendants originaires de pays non occidentaux dépasse 50 %. Le Parlement estime que les Danois ne devraient pas se trouver en minorité dans des zones résidentielles au Danemark. » Le texte a été adopté à 55 voix (54 voix contre), grâce au vote des parlementaires libéraux, conservateurs et populistes.
Sur Twitter, un militaire né au Danemark de parents pakistanais témoigne de sa surprise : « Vous revenez du travail et vous découvrez que le Parlement a voté que vous n’êtes plus danois. » Dans les faits, ce texte ne suffit pas à remettre en cause le droit du sol en vigueur dans le pays. Mais il instaure l’idée qu’il y a des citoyens de plein droit et d’autres de seconde zone.
L’ex-ministre de l’égalité des chances Manu Sareen, né en Inde et arrivé au Danemark à l’âge de 4 ans, fait part de sa consternation : « On dit à des gens comme moi, qui se considèrent comme danois, qu’ils ne le seront jamais, peu importe combien ils se battent. » Alex Sabour fustige une politique contre-productive : « On veut que les jeunes éprouvent un sentiment de responsabilité à l’égard de leur pays. Mais au lieu de leur donner du pouvoir, on leur rappelle constamment qu’ils n’appartiennent pas à la communauté. »
Certains députés ont depuis reconnu que le choix des mots était maladroit. « Le fait qu’ils ne réagissent qu’après coup montre la teneur du discours sur les immigrés, réagit Manu Sareen, qui ose la comparaison avec la Bosnie, le Rwanda et l’Europe des années 1920. On a affaire à un processus de déshumanisation. Le langage influence notre perception de la réalité. » À l’époque aussi, rappelle-t-il, « [ce genre de discours] s’était propagé dans la loi ».