L’Agence mondiale antidopage « exige un système transparent »
L’Agence mondiale antidopage « exige un système transparent »
Par Clément Guillou (Envoyé spécial à Lausanne, Suisse)
Aux procès en faiblesse de l’AMA vis-à-vis de la Russie, son directeur, Olivier Niggli, oppose l’indécision du Comité international olympique et plaide pour une clarification des rôles.
Dossier russe, polémiques sur les autorisations d’usage thérapeutiques (AUT), poches de sang de l’affaire Puerto et, surtout, réforme de l’Agence mondiale antidopage (AMA) réclamée par le mouvement olympique : le directeur général de l’AMA, Olivier Niggli, a hérité, en prenant ses fonctions en juin 2016, d’une situation incertaine et explosive.
Depuis, les dossiers chauds avancent au rythme lent des réunions entre membres de l’AMA par ailleurs élus, dirigeants de fédérations internationales, avocats ou porte-parole de candidatures olympiques. A l’occasion du symposium annuel de l’Agence, à Lausanne, en présence de quelque 700 acteurs de la lutte antidopage venus du monde entier, Olivier Niggli fait le point pour Le Monde sur deux enjeux des prochains mois : la réforme des pouvoirs de l’AMA et l’évolution du dossier russe, à onze mois des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang. L’occasion pour l’ancien avocat suisse de pointer du doigt, sans jamais le citer, les responsabilités du Comité international olympique (CIO) dans la crise actuelle.
Le directeur général de l’AMA, Olivier Niggli, estime que l’organisation n’a pas perdu sa crédibilité dans la gestion du dossier russe. | ANDY BUCHANAN / AFP
Que doit changer l’Agence mondiale antidopage pour redevenir crédible aux yeux des athlètes et du public ?
Olivier Niggli : Où a été perdue cette crédibilité ? Est-ce l’AMA, qui a fait son job en sortant un rapport sur la Russie, en mettant sur la table des faits qui il y a dix ans ne seraient sans doute jamais sortis, qui a vraiment perdu sa crédibilité ? Ou est-ce que ce sont les conséquences qui ont été données à ces révélations qui font que l’on trouve, aujourd’hui, que le système ne va pas jusqu’au bout et n’est pas suffisamment efficace ?
Tout serait donc la faute du Comité international olympique, qui n’a pas exclu la Russie des Jeux de Rio, et non de l’AMA ?
Je ne dis pas ça. Je dis que les conséquences [pour la Russie] n’étaient pas claires, ce qui fait que différentes options ont été choisies par différents acteurs. Cela a créé une grande confusion dans le système. Raison pour laquelle, aujourd’hui, on doit avoir une liste de sanctions très claires. On écrit le code pénal de la non-conformité au code mondial antidopage. Dans telles circonstances, voilà quelles seront les conséquences. Que tout le monde sache à quoi il s’expose en violant les règles. Mettons-nous d’accord sur les sanctions et sur les acteurs qui les font appliquer. L’AMA, elle, doit clairement déterminer qui est en conformité et qui ne l’est pas.
Comment, avec les moyens dont elle dispose, l’AMA peut-elle sérieusement espérer contrôler la manière dont la politique antidopage est conduite dans un pays ?
D’abord, il nous faut plus de moyens pour faire ça à une grande échelle. C’est simpliste mais c’est la réalité.
Ensuite, c’est une combinaison d’éléments. Un questionnaire que rempliront les différents acteurs va nous permettre d’avoir une radiographie de l’état de la lutte antidopage dans le monde. Deuxièmement, on a développé notre département des enquêtes. On a de l’information qui remonte par ce biais. Troisièmement, on a des statistiques, grâce aux passeports biologiques dans le système Adams [de centralisation des données des athlètes].
Tout cela nous sert à savoir où l’on va aller gratter en premier. On est comme une autorité de régulation financière qui irait dans une banque pour voir ce qui est fait. Certes, même si on ne verra pas forcément ce qui se passe. Mais si, lors d’un audit, on se rend compte que quelque chose cloche sans arriver à mettre le doigt dessus, on aura les moyens de faire une enquête.
Même si elle identifie un problème, l’AMA aura-t-elle le poids et la volonté politiques nécessaires pour aller à l’encontre des intérêts de fédérations internationales ou de pays puissants ? Le public en doute aujourd’hui.
C’est quelque chose dont le public a douté et qui a mis sur la table le débat sur l’indépendance de l’AMA. Nous discutons de la façon dont les instances politiques de l’organisation doivent être restructurées pour éviter que ce genre d’influences puissent l’empêcher d’aller au bout des choses. Par ailleurs, l’autonomie de notre cellule d’investigation est totale et sera formalisée en mai. Nous pourrons faire ce travail sans interférence, je n’ai aucun doute là-dessus.
En 2015, après les premières révélations sur la Russie, le président de l’AMA, sir Craig Reedie, se voulait rassurant auprès du ministre russe des sports, Vitali Mutko, ou du vice-président de la fédération internationale d’athlétisme, Sergueï Bubka. Ce n’est pas rassurant quant à la volonté réelle de l’AMA.
Cela a posé des questions, d’accord. Mais aujourd’hui, le travail d’investigation est découplé de cette partie-là de l’organisation. Ce genre d’interférences-là, aujourd’hui, il n’y en a pas.
Le président de l’AMA Craig Reedie, à droite, aux côtés de son directeur général Olivier Niggli, lors du symposium annuel de l’organisation à Lausanne, le 13 mars 2017. | FABRICE COFFRINI / AFP
Russie : pas de conformité sans « système indépendant et crédible »
Souhaitez-vous que l’AMA puisse décider si tel ou tel pays doit être suspendu d’un événement en cas de non-conformité au code mondial antidopage ?
Je n’ai pas cette exigence-là. Mon exigence, c’est un système transparent, où tout le monde sait où il en est. Si c’est notre organisation qui doit décider, eh bien... on verra.
Mais aimeriez-vous que l’AMA ait ce rôle- là ?
Je n’ai pas de préférence. Je veux un système avec des garde-fous. Si ce n’est pas l’AMA qui décide, il faut qu’il y ait un droit d’appel. Ou qu’éventuellement on s’en remette à une instance indépendante pour prendre ce genre de décisions. Il y a plusieurs scénarios possibles, il faut une discussion entre partenaires.
Quelles conditions devra remplir la Russie pour être présente aux Jeux olympiques de Pyeongchang ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Mais pour être à nouveau en conformité, ils doivent mettre en place un système suffisamment indépendant et crédible pour que l’on ait confiance dans le fait que les tests qui sont menés en Russie sont efficaces.
Comme nous l’avions demandé, un comité indépendant supervise désormais l’agence russe antidopage [Rusada] et elle est indépendante financièrement du ministère des sports. Ils doivent encore engager un directeur général neutre et compétent.
Il y a ensuite une série de mesures qui doivent être mises en place sur le terrain, par exemple ouvrir l’accès aux contrôleurs dans les cités fermées.
Depuis un an, l’agence antidopage britannique effectue des contrôles sur le territoire russe. Avez-vous des retours faisant état de blocages ?
Nous en avons eu l’an dernier. Mais depuis quatre mois, nous n’avons plus de retours négatifs. Nous avons surtout un problème de capacité, avec pas assez de contrôleurs sur place. L’année dernière, environ 2 300 contrôles ont eu lieu sur l’ensemble de la Russie. 2 000 autres contrôles ont été planifiés, mais personne n’était disponible pour les faire. Il est important et urgent que le nombre de tests augmente.
La nomination d’Isinbaïeva « n’envoie pas un bon signal »
Quel message envoie la nomination de la perchiste Elena Isinbaïeva, notoirement critique de l’AMA et des rapports sur le dopage organisé en Russie, comme directrice de la Rusada ?
Elle n’a pas un rôle opérationnel. Mais on ne se cache pas pour dire que cela n’envoie pas un bon signal. Ce n’aurait pas été notre premier choix, cela n’envoie pas forcément le bon message à l’extérieur, mais les Russes décident eux-mêmes de l’image qu’ils veulent donner.
Le discours [lundi à Lausanne] du nouveau ministre des sports russe, Pavel Kolobkov, était en ligne avec celui de Vladimir Poutine la semaine dernière : une bonne partie correspondait à ce que l’on entend depuis un certain temps, et que l’on a trop entendu [refus du qualificatif de dopage d’Etat et dénigrement de l’ancien directeur du laboratoire de Moscou, à l’origine du rapport McLaren]. Mais il reconnaît un vrai problème et a la volonté de travailler avec l’AMA pour changer les choses. On ne change pas la culture d’un pays en quelques mois.
Selon le rapport McLaren, les JO de Londres et en particulier de Sotchi ont été manipulés par la Russie. Au-delà des efforts que peut faire le pays d’ici là, la Russie ne devrait-elle pas être exclue des prochains JO d’hiver pour l’ensemble de son œuvre ?
A notre niveau, on a pris toutes les sanctions que l’on pouvait. La réponse est donc oui. Il faut sans aucun doute sanctionner ce genre de comportements. Nous, on a fait tout ce qu’on pouvait dans le cadre de nos attributions.
Si l’agence nationale antidopage n’est pas déclarée en conformité d’ici aux JO, la Russie doit-elle, selon vous, en être exclue ?
C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre comme ça. Doit-on punir une nation complète ? Ou aura-t-on la possibilité de faire en sorte que les athlètes allant aux Jeux olympiques auront été suffisamment contrôlés pour offrir les garanties nécessaires ?