Merkel à Washington sur fond de refroidissement transatlantique
Merkel à Washington sur fond de refroidissement transatlantique
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant), Gilles Paris (Washington, correspondant), Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
La chancelière allemande rencontre Donald Trump vendredi, à la recherche d’un partage de vues sur la défense et les échanges commerciaux.
Angela Merkel à Berlin, le 9 mars 2017. | TOBIAS SCHWARZ / AFP
Un coup de froid avait précipité le report de la rencontre prévue le 14 mars entre Angela Merkel et Donald Trump. Il n’avait rien de politique puisqu’il s’agissait de la tempête de neige qui s’est abattue sur le nord de la côte Est américaine, et devait d’ailleurs être suivie d’un redoux vendredi, lorsque la chancelière allemande sera reçue à la Maison Blanche. Le refroidissement qui a saisi la relation transatlantique depuis l’élection du milliardaire, en revanche, résiste pour l’instant aux variations climatiques.
L’enjeu de la rencontre de vendredi est de taille pour celle qui cumule deux défauts aux yeux du nouveau locataire de la Maison Blanche – Mme Merkel est en effet la plus influente des responsables de l’Union européenne, et à la tête d’une puissance exportatrice. Le milliardaire n’apprécie guère Bruxelles, souvent associé à tort aux déboires rencontrés pour l’un de ses clubs de golf, en Irlande. Au-delà de l’anecdote, le renoncement par M. Trump à un ordre mondial libéral (au sens anglo-saxon) au profit du thème de l’« America First » développé pendant sa campagne, a ébranlé la communauté de valeurs qui reliait les deux rives de l’Atlantique.
L’Europe, carcan des nationalismes
M. Trump s’était félicité bruyamment du Brexit, qualifié en juin 2016 de « chose formidable ». Il avait reçu ensuite pendant la campagne le soutien de l’un de ses artisans, Nigel Farage, et a exprimé ouvertement le désir de voir d’autres pays suivre le chemin du Royaume-Uni. Son conseiller stratégique, Stephen Bannon, voit pour sa part dans l’Union européenne un carcan pour les nationalismes qu’il juge indispensables afin de préserver une identité occidentale menacée.
Le géopoliticien Walter Russel Mead, de l’Hudson Institute, estimait mercredi, lors d’une rencontre au Council on Foreign Relations, que le changement survenu à Washington peut avoir les conséquences les plus grandes en Europe. « Si on se place dans la logique d’“America First”, on peut considérer que la Russie ne constitue pas une menace importante pour les intérêts américains », a-t-il estimé, ce qui remettrait en cause le fondement de l’alliance atlantique.
Le fait que la chancelière soit la première dirigeante de l’Union à rencontrer M. Trump, et qu’elle soit amenée d’une certaine manière à parler en son nom, ne choque pas à Bruxelles. « On lui fait confiance, elle saura être ferme, glisse un diplomate. La rencontre en bilatéral est justifiée : Trump a attaqué brutalement Berlin dès le début de son mandat et l’Allemagne serait la première victime européenne d’un repli protectionniste américain. »
Le « risque » Trump n’est, étonnamment, même plus à l’agenda officiel des Européens, alors qu’ils avaient été pris de panique lors de sa prise de fonction. Réunis en conseil européen à Bruxelles les 9 et 10 mars, les dirigeants de l’Union n’en ont ainsi pas fait mention une seule fois.
Tonalités discordantes
Après l’effet de sidération, les propos modérés du vice-président Mike Pence à Bruxelles fin février ont rassuré les dirigeants de l’Union, qui attendent maintenant de voir quelle sera concrètement la ligne américaine en matière de libre-échange ou de fiscalité des entreprises. Preuve de cet optimisme sans doute excessif, certains à Bruxelles n’ont par exemple toujours pas enterré les chances du TTIP, l’accord commercial avec les Etats-Unis, oubliant le coup d’arrêt immédiatement opposé par M. Trump au traité conclu avec les pays riverains du Pacifique.
M. Pence n’est cependant qu’une voix parmi d’autres au sein de la nouvelle administration. La Haute représentante de l’Union pour la politique étrangère, Federica Mogherini, a pu faire l’expérience de tonalités discordantes lors d’un déplacement à Washington en février.
Face à M. Trump, Mme Merkel est en outre à la tête d’un pays dont les succès commerciaux ont le don d’irriter M. Trump. Ce n’est pas un hasard si elle est accompagnée des patrons de BMW, Harald Krüger, et de Siemens, Joe Kaeser, deux entreprises très solidement implantées aux Etats-Unis. Elle compte expliquer à M. Trump que personne n’a intérêt à se lancer dans une guerre commerciale. Pour l’Allemagne, c’est un enjeu essentiel : les Etats-Unis sont son troisième partenaire commercial.
Deux conseillers en éclaireurs
Berlin a préparé la visite avec beaucoup de soin. Angela Merkel a envoyé en éclaireurs à Washington son conseiller diplomatique Christoph Heusgen et son conseiller économique Lars Hendrik-Röller, le 8 mars. Sur place, les deux hommes se sont notamment entretenus avec Jared Kushner, genre et conseiller spécial de Donald Trump.
Sur le fond, la chancelière, qui a relu d’anciennes interviews de M. Trump remontant aux années 1990 afin de tenter de mieux percer son caractère, entend répéter ce qu’elle a dit déjà lors de la conférence sur la sécurité à Munich, en février. A savoir que l’Allemagne est prête à dépenser plus pour sa sécurité, avec l’objectif d’atteindre les 2 % du PIB pour le budget de la défense – une exigence américaine à propos de l’OTAN –, mais de manière progressive. Sur la forme, la chancelière va tenter de nouer de bonnes relations avec le président américain. A sa manière, en misant sur la patience et en privilégiant l’engagement.