Le retour du service militaire, thème de campagne
Le retour du service militaire, thème de campagne
Par Camille Stromboni, Eric Nunès
Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen souhaitent réintroduire une forme de conscription, comme « école de la citoyenneté ».
Vingt et un ans après la supression du service militaire par Jacques Chirac en 1996, l’hypothèse du retour d’une nouvelle forme de conscription n’a jamais été aussi proche. Trois des principaux candidats à l’élection présidentielle prévoient de recréer une formation militaire obligatoire : Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Pourquoi obliger la jeunesse à faire l’expérience d’un encadrement militaire ? Ce serait « une école de la citoyenneté », à en croire ces candidats. « Dans le contexte que nous vivons, celui d’une société qui vit des fractures, une menace terroriste, il est important de retrouver une forme de creuset national, un moment où tout le monde est réuni et mélangé », estime Emmanuel Macron, pour qui une formation militaire pour la jeunesse va « créer du lien ». Le candidat d’En marche ! prévoit une initiation éclair : un mois, pour toutes les filles et les garçons de 18 à 21 ans.
Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise, envisage également une « formation militaire », dans le cadre élargi d’un « service citoyen obligatoire » où les jeunes seront affectés à des « tâches d’intérêt général », secours à la population, sécurité publique, défense, protection de l’environnement… Ce « service citoyen » de neuf mois, rémunéré au smic, devrait être effectué avant l’âge de 25 ans.
Le programme de la candidate du Front national (FN), de son côté, prévoit une formation militaire pour une partie des futurs conscrits et des tâches de « protection civile » pour les autres. « Pour développer le patriotisme au sein de la jeunesse », précise Jérôme Rivière, ancien député UMP des Alpes-Maritimes, aujourd’hui coordinateur des sujets défense de la candidate d’extrême droite. L’ensemble sur une durée minimale de trois mois.
Un système jugé, il y a vingt ans, archaïque, inutile et inégalitaire retrouve donc une place dans le débat de la présidentielle. « Le service national fait l’objet d’une nostalgie collective », analysent Gilles Bensaïd et Romain Perez, deux économistes membres du groupe de réflexion transpartisan Jour d’après, auteurs d’un rapport à paraître sur le service civique et militaire pour tous, que Le Monde a consulté. « Mais son rétablissement dans sa forme traditionnelle ne répondra pas aux besoins de la société française et aux aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui », poursuit Romain Perez.
Un mois de « classes » pour tous
Parmi les freins avancés : le coût du retour à une forme de service militaire, alors que la défense a largement démantelé les infrastructures qui lui étaient consacrées. Le mois de « classes » pour tous, prôné par l’équipe d’En marche !, coûterait entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an, selon Emmanuel Macron. Du côté du FN, on chiffre à 3 milliards d’euros par an la création de ce service obligatoire.
Quant aux économistes Gilles Bensaïd et Romain Perez, qui ont simulé un retour sous les drapeaux de 700 000 jeunes pour un service de 12 mois, ils estiment que c’est plus de 9 milliards d’euros par an qui seront nécessaires pour assurer solde, transport, logement, alimentation et équipement. Par comparaison, en 2016, le budget total pour les établissements d’enseignement supérieur et la vie étudiante se montait à environ 15 milliards d’euros.
Ensuite, l’armée est rétive à l’idée de devenir un centre de formation à la citoyenneté. Même si des dispositifs existent déjà comme le service militaire volontaire, créé sous le quinquennat de François Hollande et inspiré du service militaire adapté, qui existe en outre-mer depuis 1961 et qui propose aux jeunes un parcours d’insertion vers l’emploi dans un cadre militaire, l’armée n’entend « plus assumer de fonction d’encadrement et de réinsertion sociale », souligne le rapport.
« Les guerres sont aujourd’hui très technologiques, les soldats sont des gens hyperperformants en opération sur des territoires extérieurs », rappelle Romain Perez. L’armée française moderne est éloignée d’une armée de conscrits et l’allocation de ressources au « cadrage » de jeunes « semble devoir réduire ses capacités d’action », avertit le rapport.
« Vision paternaliste »
Lors du débat télévisé mardi 4 avril, le candidat du Parti socialiste, Benoît Hamon, s’est dit défavorable à un retour du service militaire. Cela risquerait de transformer les jeunes conscrits en cibles des terroristes islamistes, comme les militaires de l’opération « Sentinelle » le sont déjà, et cela détournerait l’armée de ses missions premières, a justifié M. Hamon.
Le retour d’un service obligatoire, doté d’un encadrement militaire, peut-il répondre aux défaillances du système éducatif ? « Les Français ne croient pas que le rituel de passage à la citoyenneté se situe dans un cadre militaire, mais dans l’insertion professionnelle », résume Romain Perez, qui propose la fusion des multiples dispositifs déjà existants dans un service unique mêlant formation professionnelle et insertion.
Pas sûr, enfin, que les principaux concernés, les jeunes, aient très envie de ce service « obligatoire ». « Il existe déjà un service civique, indemnisé et sur la base du volontariat, qui se déroule dans le cadre d’un projet associatif. Un service obligatoire, quelle que soit sa forme, renvoie à une vision paternaliste et autoritaire de la formation de la jeunesse », juge Lilâ Le Bas, présidente de l’UNEF. Même analyse pour l’autre syndicat étudiant, la FAGE, dont Jimmy Losfeld, son président, dénonce une « logique punitive ». « Comment peut-on croire qu’un service militaire obligatoire peut mener à une émancipation de la jeunesse ? », interroge-t-il.
Quant aux tenants d’un service obligatoire, Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de l’éducation nationale, les avait alertés en 2008 dans un rapport sur le service civique : « La reconnaissance va de pair avec la générosité et le désintéressement, pas avec la contrainte et l’obligation. Obliger les jeunes à être utiles aux autres, les “forcer à aider”, c’est le contraire exact de les “aider à aider”. »