Séoul et Pékin attaqués en justice pour leur passivité face à la pollution atmosphérique
Séoul et Pékin attaqués en justice pour leur passivité face à la pollution atmosphérique
Par Philippe Mesmer (Séoul, envoyé spécial)
Une plainte a été déposée par des personnalités sud-coréennes alors que la qualité de l’air dans la péninsule connaît une forte dégradation depuis le début de l’année.
A Séoul, lors d’un épisode de pollution atmosphérique, le 23 février 2016. | ED JONES / AFP
Lassées de la dégradation accélérée de la qualité de l’air, sept personnalités sud-coréennes ont porté plainte, le 5 avril, auprès du tribunal d’instance de Séoul contre la Chine et la Corée du Sud, jugeant leur passivité dans la lutte contre la pollution comme un risque élevé pour la santé. Parmi elles, l’avocat Ahn Kyoung-jae, fatigué des crises d’asthme subies les jours de pollution, et le président de l’organisation de protection de l’environnement Green Korea, Choi Yul. Chacune demande trois millions de wons (2 500 euros) de dédommagement.
« Même si la plainte est plus un acte symbolique, estime Kim Dong-sool, spécialiste de l’environnement à l’université Kyung Hee, elle rappelle l’importance de la qualité de l’air et pourrait susciter d’autres actions. »
La pollution atmosphérique dans la péninsule connaît une forte dégradation depuis le début de l’année. Quatre-vingt cinq alertes ont été émises à la pollution aux particules PM2,5, classées comme cancérigènes au premier degré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour l’ensemble de 2016, il n’y en avait eu « que » 41. Le 22 mars, une densité de 179 microgrammes par mètre cube a même été mesurée à Séoul, en faisant ce jour-là, d’après le site de comparaison de la pollution des grandes villes du monde AirVisual, la deuxième ville la plus irrespirable après New Delhi en Inde.
Pollution « importée » de Chine
La plainte déposée à Séoul ravive le débat qui agite la Corée du Sud, où beaucoup s’accommodent de l’explication selon laquelle la pollution est « importée » de Chine. Portées par les vents dominants en cette saison, les particules traversent la mer Jaune et polluent l’air de la péninsule, allant parfois jusqu’au Japon.
Si le gouvernement ne nie pas une pollution locale, il estime à 80 % la part « importée ». « Les autorités restent assises paresseusement tout en rejetant la faute sur la Chine », regrettait fin mars dans le Financial Times Kim Shin-do, spécialiste d’ingénierie environnementale à l’université de Séoul. D’après ses travaux, « seuls » 20 % de la pollution observée en Corée viendraient de Chine. Greenpeace évalue cette part à 30 %.
Le reste serait une pollution produite localement, principalement des 53 centrales à charbon qui génèrent 43 % de l’électricité sud-coréenne et auxquelles le gouvernement continue de faire confiance. Dix doivent être fermées d’ici à 2025 et certaines seront remplacées par des installations à la biomasse. Mais dans le même temps, 20 autres seront également construites. Cet attachement au charbon – qui fait de la Corée du Sud le quatrième importateur mondial de ce combustible fossile – découle en partie de l’arrêt forcé de plusieurs centrales nucléaires, en raison de scandales de corruption autour de l’entretien et de la conception des pièces.
Autres sources de pollution identifiées : les transports, notamment les nombreux véhicules diesel, et l’industrie, trop faiblement régulée.
Officiellement, la question préoccupe les autorités. Si le maire progressiste de Séoul, Park Won-soon, a pris des initiatives pour augmenter la place du vélo notamment, et annoncé le 6 avril un plan prévoyant de récompenser financièrement les conducteurs qui réduisent l’usage de leur voiture – jusqu’à 70 000 wons (58 euros) pour 3 000 km de moins parcourus sur un an –, le gouvernement semble en retard.
En 2009, le président Lee Myung-bak (2008-2013) avait lancé en grande pompe son projet de croissance verte, finalement peu suivie d’effets si ce n’est par l’aménagement avec force béton des quatre grands fleuves du pays.
Manifestation
En 2014, la présidente destituée Park Geun-hye (2013-2017) avait appelé à la mise en place de « politiques importantes à l’échelle nationale » pour régler ce problème « qui menace la santé publique ». Là encore sans effet. Le ministère de l’environnement s’est même attiré les sarcasmes de la population en affirmant que la pollution découlait notamment des grillades de maquereaux et de lards, des plats très appréciés en Corée du Sud.
Il y a peu de chance que la situation évolue. L’engagement pris en 2015 par la Corée du Sud dans le cadre de la COP21 de Paris lui fixe un objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 37 % d’ici à 2030 en activités constantes. Or, d’après le scénario envisagé par Séoul, un tiers des réductions d’émissions doivent passer par l’achat de permis, une stratégie qui revient à autoriser, selon l’organisme d’évaluation des politiques énergétiques Climate Action Tracker, « une augmentation de 81 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 ».
Une manifestation a été organisée par Greenpeace Korea le 25 mars près de la plus grande centrale à charbon du monde, qui se trouve à Dangjin (province de Chungcheong du Sud) pour demander au gouvernement d’agir. Une autre est prévue en juin. Le mouvement reste pourtant peu suivi.
Dans le même temps, la question n’apparaît pas comme une priorité des candidats à la présidentielle du 9 mai. Aucun n’en a fait une question majeure.