Vera Songwe, le retour de la pensée unique à la Commission économique pour l’Afrique ?
Vera Songwe, le retour de la pensée unique à la Commission économique pour l’Afrique ?
Par Laurence Caramel
L’économiste camerounaise a été nommée secrétaire exécutive du cercle de réflexion onusien chargé de conseiller les gouvernements africains.
La Camerounaise Vera Songwe remplacera Carlos Lopes à la tête de la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Six mois après la démission du charismatique et iconoclaste Bissau-Guinéen, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a préféré revenir à un profil plus conventionnel pour diriger cette organisation chargée d’alimenter la réflexion des gouvernements africains sur leurs politiques de développement.
L’économiste de 42 ans, dont la nomination a été annoncée vendredi 14 avril, a fait toute sa carrière à la Banque mondiale après avoir décroché un doctorat en économie mathématique à l’université catholique de Louvain-La-Neuve (Belgique). Elle a alterné les postes au siège de l’institution à Washington, ce qui lui permettra de travailler avec l’influente Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala et des missions en Asie (Philippines, Mongolie) ou en Afrique. Entre 2012 et 2015, elle a dirigé le bureau du Sénégal avant de prendre en 2016 la direction du bureau pour l’Afrique de l’Ouest et centrale de la Société financière internationale (SFI), la filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé. Un sans-faute vite repéré par les magazines financiers. En 2013, Vera Songwe figurait sur la liste des vingt jeunes femmes les plus influentes d’Afrique établie par Forbes au côté de la femme d’affaires Isabel dos Santos, fille du président angolais.
« Secouer les cocotiers »
Son arrivée à Addis-Abeba peut donc sembler prendre à revers le travail entrepris par Carlos Lopes pour libérer la CEA d’une pensée jugée trop orthodoxe pour pouvoir répondre aux problèmes du continent. « Au cours de ces quatre années [2012-2016], nous avons réussi à mettre sur le radar de nos dirigeants des sujets qui restaient absents ou marginaux, comme la question de l’industrialisation ou du financement des économies à partir des ressources domestiques. (…) J’ai souvent été provocateur et j’ai dû secouer pas mal de cocotiers. C’est à ce prix que j’ai pu faire exister une voix alternative », déclarait-il dans un entretien au Monde Afrique le 29 septembre 2016, en annonçant sa démission.
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Durée : 04:26
La Camerounaise suivra-t-elle les pas de cet agitateur d’idées qui a sorti la CEA de son sommeil ? Sur le blog qu’elle tient dans le cadre du programme de la Brookings Institution sur « la mondialisation et le développement », elle cite parmi ses principaux centres d’intérêt « la fiscalité, les sources de financement innovant, l’agriculture, l’énergie et la gouvernance économique ». Autant de sujets qui se posent à la grande majorité des gouvernements africains. Saura-t-elle s’affranchir du cadre de Washington pour stimuler le débat africain ? Trop tôt pour le dire. Un indice toutefois. Invitée le 7 avril à Marrakech par la Fondation Mo Ibrahim à débattre sur le thème « le développement de l’Afrique est-il une illusion ? », l’ex-banquière a répondu : « Regardons où nous en sommes : 70 % des actifs dépendent encore de l’agriculture. Ils travaillent trois mois par an et le reste du temps ils sont au chômage. Pour eux, qui continuent de vivre avec moins de 2 dollars par jour, notre débat sur la croissance est une illusion. Comme disent les chauffeurs de taxi sénégalais, la croissance ne se mange pas. » Pas si orthodoxe.