Mobilisation contre les maladies tropicales négligées
Mobilisation contre les maladies tropicales négligées
Par Paul Benkimoun
Un nombre record de personnes ont reçu des traitements préventifs, mais de sérieux défis demeurent.
Lors d’une opération de détection de la maladie du sommeil, en 2010, à Mpata, en République démocratique du Congo. | BENOIT MARQUET/PNLTHA
Rendu public mercredi 19 avril à Genève, le quatrième rapport consacré aux maladies tropicales négligées (MTN) par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) constate des avancées importantes, mais rappelle aussi les défis majeurs à relever. En 2015, indique l’institution, près d’un milliard d’individus, soit 63 % des personnes à risque – un record –, ont été protégés par un traitement médicamenteux préventif pour au moins l’une des MTN, des maladies parasitaires ou bactériennes touchant principalement les populations démunies.
La directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, souligne que les donations massives de médicaments – plus de 7 milliards de traitements en cinq ans – font de l’élimination des MTN une cible atteignable. Le recours aux donations, dépendant de la seule volonté des industriels, est cependant critiqué, notamment par Médecins sans frontières (MSF), qui réclame plutôt des prix bas pour rendre ces traitements plus accessibles pour les programmes d’élimination de ces fléaux.
« La fin est en vue »
De la déclaration de Londres sur les MTN de 2012 est né un partenariat public-privé rassemblant l’OMS, la Fondation Bill et Melinda Gates, six donateurs de l’industrie pharmaceutique (Eisai, GlaxoSmithKline, Johnson & Johnson, Merck & Co, Merck KGaA et Pfizer) ainsi que le logisticien DHL et plusieurs ONG. Il vise à surmonter les divers obstacles qui freinent les campagnes d’administration de masse des traitements afin d’éliminer ces maladies d’ici à 2020.
Le résultat le plus spectaculaire a été obtenu pour la filariose lymphatique (éléphantiasis), qui est la plus proche de l’élimination, selon le rapport de l’OMS. Pour la seule année 2015, 560 millions de personnes ont reçu un traitement médicamenteux. De 1,4 milliard d’individus en 2011, le nombre de personnes ayant besoin d’un traitement est passé sous la barre des 950 millions en 2015. « La fin est en vue », se réjouit Margaret Chan.
Contre l’onchocercose, parasitose également connue sous le nom de « cécité des rivières », 119 millions de personnes ont reçu un traitement par l’ivermectine. Face au trachome, première cause mondiale de cécité due à la bactérie Chlamydia trachomatis, l’OMS a conçu une stratégie à quatre volets : éducation sanitaire à l’hygiène du visage et assainissement de l’environnement, traitement antibiotique contre les infections de la conjonctive et chirurgie de la paupière (qui se retourne vers l’intérieur, provoquant des lésions de la cornée). Environ 56 millions de personnes ont bénéficié d’un traitement antibiotique par l’azithromycine et près de 190 000 ont eu accès à la chirurgie.
Repérage précoce
L’incidence de la dracunculose ou « filaire de Médine » est passée de 3,5 millions de cas en 1986 à 25 cas humains en 2016, limités à trois pays : le Tchad, l’Ethiopie et le Soudan du Sud, et ce malgré les difficultés liées à l’insécurité et aux conflits. Avec son éradication, ce sera la première fois qu’une maladie infectieuse aura été vaincue par l’engagement communautaire et le changement des comportements, sans vaccin ni traitement. Ce succès repose sur le repérage précoce des personnes atteintes afin de les inciter à ne pas plonger dans les rivières et les marigots leurs jambes, où le parasite femelle rempli d’œufs s’est logé. Le cycle de transmission est ainsi interrompu.
D’autres maladies tropicales continuent de représenter des fléaux : maladie du sommeil, maladie de Chagas (provoquée comme la maladie du sommeil par un protozoaire du genre trypanosome), ulcère de Buruli (infection cutanée par une mycobactérie). Pour l’OMS, ces pathologies infectieuses requièrent une prise en charge innovante et intensifiée. Leur impact est mal connu, les outils optimaux pour les contrôler font défaut, les financements pour la recherche et développement sont insuffisants pour ces maladies touchant les plus pauvres.
Des partenariats public-privé visant à mettre au point des outils et traitements ont commencé à modifier cette tendance. La maladie du sommeil est passée de 37 000 cas en 1999 à 3 000 en 2015 et le contrôle de la maladie de Chagas s’est amélioré. En 2015, grâce aux donations de doses uniques d’amphotéricine B liposomale fournies, l’objectif d’élimination de la leishmaniose viscérale était atteint dans la totalité des districts du Népal, 97 % des sous-districts du Bangladesh et 82 % de ceux d’Inde.
Les récentes épidémies de Zika et de fièvre jaune ont incité l’OMS à élaborer pour la période 2017-2030 une stratégie globale de contrôle des maladies infectieuses transmises par des vecteurs (moustiques et autres insectes), qui sera soumise en mai à l’Assemblée mondiale de la santé.
La secrétaire britannique au développement international, Priti Patel, a indiqué, mercredi 12 avril, que son gouvernement s’engageait à doubler les sommes consacrées à la lutte contre les MTN. Le Royaume-Uni va ainsi investir 360 millions de livres (430 millions d’euros) dans la mise en œuvre de programmes de traitement et d’élimination de ces maladies pour les cinq années à venir.
La Fondation Bill et Melinda Gates a annoncé, mercredi 19 avril, qu’elle accordera au cours des quatre prochaines années 335 millions de dollars (313 millions d’euros) à des programmes consacrés aux MTN. Le gouvernement belge s’est engagé à apporter 25 millions d’euros répartis sur les neuf prochaines années dans le but d’éliminer la maladie du sommeil en République démocratique du Congo.
« Pas qu’une question de science »
Pour Bernard Pécoul, directeur exécutif de Drugs for Neglected Diseases Initiative, une fondation créée par MSF, « le combat est loin d’être achevé ». « Nous attendons encore des percées qui procureront de nouveaux médicaments, des tests diagnostiques et des vaccins plus sûrs et plus efficaces, indique-t-il. Nous devons maintenir nos engagements en particulier en recherche et développement pour parvenir à éliminer ces maladies. »
Président du comité scientifique de l’OMS sur les MTN, Sir Roy Anderson estime lui aussi que « le chemin est encore long ». « Nous sommes dans un engagement continu, même s’il existe des disparités entre les pays, relève-t-il. Pour les vaccins, dont la production est complexe et exigeante, le problème n’est pas qu’une question de science. Il s’agit de trouver un modèle financier permettant de mener de bons essais cliniques, d’identifier les fabricants et de produire à grande échelle. »
Dans le cadre de la réalisation des objectifs du développement durable, l’OMS estime que deux grandes missions doivent être menées : « Eliminer la transmission des MTN et s’assurer que la prestation des services de santé répond aux besoins des personnes vivant avec une maladie en lien avec les MTN. » Pour cela, elle juge décisif d’atteindre les cibles mondiales en matière d’approvisionnement en eau potable, d’assainissement et d’hygiène à l’horizon 2030. Aujourd’hui, plus de 2,4 milliards d’êtres humains n’ont pas de toilettes et plus de 660 millions continuent de boire une eau provenant d’une source inappropriée.