Au Burkina, les déçus de la révolution s’unissent contre le président Kaboré
Au Burkina, les déçus de la révolution s’unissent contre le président Kaboré
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
Lors d’un meeting commun, adversaires et partisans de l’ancien régime ont créé une plateforme de l’opposition pour « interpeller vigoureusement » le pouvoir.
Dans la Maison du peuple de Ouagadougou, les tee-shirts rouge et jaune du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) se mêlent aux chemises vertes de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) : les militants de l’ancien parti de Blaise Compaoré en meeting commun avec ceux qui l’ont chassé du pouvoir ? Il y a deux ans, cela aurait été impossible. Samedi 29 avril, pourtant, ils étaient ensemble pour défier le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré.
Plus de 3 000 personnes ont répondu à l’appel de l’opposition pour ce meeting populaire de protestation. Une première depuis l’élection de M. Kaboré, en décembre 2015. « Le coût de la vie est beaucoup plus élevé aujourd’hui que sous l’ancien régime. Je suis déçu », tempête Irénée Ouedraogo avant d’entrer dans la salle de la Maison du peuple. Ce commerçant burkinabé avait participé aux manifestations pour réclamer le départ de Blaise Compaoré. Aujourd’hui, il s’estime trahi par le pouvoir en place : « Avant l’insurrection, je vivais mieux. L’ancien régime était meilleur. Il y a quelque chose qui ne va pas. »
Cette déception a uni des Burkinabés qui, lors de l’insurrection d’octobre 2014, s’affrontaient de chaque côté des barricades. Lors du meeting de samedi, Zéphirin Diabré, président de l’UPC et chef de file de l’opposition, a formalisé cette entente en annonçant la création d’une nouvelle plateforme politique regroupant une trentaine de partis, dont le CDP. Economie, éducation, sécurité, justice, santé… Dans son document de présentation, la nouvelle plateforme adresse près de 200 recommandations au gouvernement de Paul Kaba Thiéba.
« Organiser la riposte »
Il ne s’agit pas d’une alliance formelle de l’opposition, mais cette plateforme est un symbole politique fort, une première pierre posée ensemble par les partis d’opposition. « Désormais, l’opposition dispose de marqueurs pour interpeller vigoureusement le pouvoir. […] C’est en s’appuyant sur cette plateforme qu’elle organisera désormais la riposte. Elle le fera dans la presse, dans l’hémicycle et, s’il le faut, dans la rue ! » déclare Zéphirin Diabré, sous les ovations de ses sympathisants.
Tee-shirt et sifflet aux couleurs de l’UPC, Abdoulaye, un étudiant burkinabé, se dit à bout de patience. « Nous sommes là pour avertir le pouvoir en place. Les engagements qu’ils ont pris n’ont pas été tenus. Nous voulons leur montrer que le peuple est toujours là, on est encore debout. »
Lassané Savadogo, secrétaire exécutif du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti dont est issu le président Kaboré, ne se dit pas inquiet du climat social ambiant. Mais pour lui, l’entente entre le CDP et l’UPC est contre-nature : « Avec Zéphirin Diabré, nous avons travaillé et lutté ensemble jusqu’au départ de Blaise Compaoré. On est allé aux élections, on les a gagnées. Et subitement, le chef de file de l’opposition rassemble les anciens alliés de cette lutte et un parti qui se réclame de Blaise Compaoré. Je ne vois pas comment ils peuvent parler le même langage. […] L’opportunisme en politique, je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut. »
Objectif 2020
Du côté de l’opposition, la réponse est toute trouvée. « Les leaders du MPP sont mal placés pour donner des leçons de morale à qui que ce soit dans ce pays, poursuit Zéphirin Diabré lors du meeting. Quand on critique le MPP sur sa gestion, quand on dit que le pays va mal, ils accusent les vingt-sept années de règne de Blaise Compaoré. Mais dites-moi, mes amis, avec qui Blaise Compaoré a-t-il géré ce pays durant ces vingt-sept années ? C’est avec eux ! » Dans la salle, les applaudissements repartent de plus belle, ponctués de « Prési ! Prési ! Prési ! »
Avec cette plateforme, l’opposition pense déjà à l’élection présidentielle de 2020. Malgré la chute de Blaise Compaoré, le CDP reste la troisième force politique du pays. Une configuration qui n’a pas échappé à Zéphirin Diabré, candidat malheureux lors de la dernière présidentielle. « Lors des prochaines élections, l’opposition pourrait s’entendre pour soutenir le candidat le mieux placé au second tour », glisse un cadre du CDP.