Cannes 2017 : « The Square » ou les travers contemporains
Cannes 2017 : « The Square » ou les travers contemporains
Par Thomas Sotinel
A travers les tribulations d’un conservateur de musée suédois, Ruben Östlund dresse le tableau clinique d’une société riche et malheureuse.
Il est si facile de se moquer de l’art contemporain qu’en arrivant à la projection de presse de The Square, vendredi 19 mai, on redoutait un peu la vision de ce film annoncé comme une satire violente de ce secteur d’activité. Deux heures et demie plus tard, il fallait reconnaître à Ruben Östlund le mérite d’être allé bien au-delà des clichés ironiques qui entourent l’art conceptuel ou les ready made, d’avoir fait de cette comédie amère dont le héros est le conservateur d’un musée de Stockholm, une critique toujours astucieuse et parfois inspirée de la vie publique et privée dans les sociétés riches et malheureuses. Et à voir The Square, on ne fait guère plus prospère ni plus déprimé que la Suède.
Christian (Claes Bang) est un beau quadragénaire qui dirige un établissement installé dans le palais royal. Il le programme, flatte les donateurs et supervise la politique de communication. Un incident mineur (une bande de pickpockets aussi bien organisés qu’une troupe de théâtre de rue le soulage de son téléphone et de son portefeuille) suffit à faire dérailler sa vie bien organisée. Ruben Östlund lance son malheureux personnage sur des chemins qui se transforment en détours imprévus : vigilante incompétent, amant lamentable, père sans autorité, ces échecs successifs se propagent à sa vie professionnelle qui vire elle aussi au désastre.
Gêne universelle
A chaque fois, le metteur en scène fait durer les séquences afin de porter la gêne universelle – celle des personnages à l’écran, celle des spectateurs dans leurs fauteuils – à son paroxysme. La mise en scène, faite de compositions très rigoureuses, d’un maintien hors champ d’une quantité impressionnante d’informations, accentue encore le malaise. Seul l’humour, utilisé avec parcimonie et efficacité, vient soulager cette tension permanente.
Heureusement, il y a les humains, personnages et acteurs, ridicules, mais si drôles. On voit passer une journaliste qui ne connaît pas son sujet (une pure fiction, bien sûr, incarnée avec un charme et une puissance comique indéniable par Elisabeth Moss), un artiste contemporain très ordinaire (Dominic West, ce qui permet au générique de The Square de réunir The Wire et Mad Men), un gamin de banlieue à l’irrépressible faconde.
Hélas, certains d’entre eux s’incrustent. On comprend bien la volonté du metteur en scène de faire durer chaque séquence, pour en extraire tout le potentiel satirique, pour diffuser jusqu’à la dernière particule de l’embarras des personnages. Mais il faudrait alors qu’elles soient moins nombreuses. Leur accumulation finit par produire une sensation de durée sans fin, qui masquerait presque la virtuosité et la lucidité de Ruben Östlund.
Film suédois de Ruben Östlund avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Ruben Ostlund, Terry Notary (2 h 22). Sortie en salles prochainement. Sur le Web : www.bacfilms.com/distribution/film/THE-SQUARE