La menace terroriste alarme les pays d’Asie du Sud-Est
La menace terroriste alarme les pays d’Asie du Sud-Est
Par Sylvie Kauffmann (Singapour, envoyée spéciale)
Le succès des forces gouvernementales philippines sur l’île de Mindanao face à des combattants islamistes est vu comme crucial par les pays voisins, qui redoutent de voir les groupes terroristes y installer une base.
Jamais Londres, sans doute, n’a paru si proche de l’Asie. Au moment où la capitale britannique comptait encore les victimes d’un nouvel attentat, commis dans la nuit du dimanche 4 juin, les ministres de la défense d’Asie du Sud-Est tiraient le signal d’alarme, à Singapour, sur la montée du terrorisme islamiste dans la région.
Le ministre singapourien de la défense, Ng Eng Hen, a qualifié cette menace de « préoccupation sécuritaire la plus importante », à l’issue du Shangri-La Dialogue, forum international sur la défense et la sécurité en Asie, réuni chaque année à Singapour par l’IISS (International Institute for Strategic Studies).
Pendant deux jours, les ministres de la défense et experts de 38 pays venaient pourtant de débattre d’autres menaces non moins sérieuses, au premier rang desquelles le risque nucléaire émanant de Corée du Nord et l’activisme militaire de Pékin en mer de Chine méridionale.
« Frappes chirurgicales » sur l’île de Mindanao
La conférence s’est tenue cette année sur fond d’offensive terroriste de grande ampleur aux Philippines, où l’armée tente, depuis bientôt deux semaines, de reprendre la totalité de la ville de Marawi, sur l’île de Mindanao, à quelques centaines de combattants islamistes locaux ayant prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI), qui ont attaqué la ville le 23 mai et pris en otages des milliers d’habitants.
Retenu par ces opérations, le ministre philippin de la défense Delfin Lorenzana a d’ailleurs annulé son voyage à Singapour au dernier moment et s’est fait représenter par son adjoint, M. Ricardo David.
M. David a précisé que l’armée philippine continuait à mener des « frappes chirurgicales », tout en poursuivant les opérations de sauvetage des civils encore bloqués dans Marawi. La loi martiale a été déclarée dans toute l’île de Mindanao.
Selon ce responsable, quelque 40 combattants étrangers participant au siège de Marawi ont été identifiés, dont des Indonésiens et des Malaisiens ; certains ont été tués, d’autres arrêtés. Il a estimé le nombre de terroristes étrangers actuellement aux Philippines entre 250 et 400 individus.
Pour le ministre indonésien de la défense, Ryamizard Ryacudu, « la menace terroriste dans la région a atteint un niveau d’urgence sans précédent ». Djakarta a d’ailleurs été de nouveau la cible d’attentats-suicides meurtriers en mai. « Ce sont des machines à tuer, a poursuivi le ministre à propos des groupes extrémistes. Leur théâtre d’opérations est désormais mondial. »
Selon lui, l’EI compterait environ 1 200 militants aux Philippines. Son collègue malaisien, Hishammuddin Hussein, considère pour sa part la menace du groupe Etat islamique comme à la fois « réelle et multidimensionnelle ».
Intensification de la coopération entre groupes radicaux
Plus facile à sécuriser que ces archipels, Singapour a jusqu’ici été épargnée par le terrorisme. Ses responsables n’en minimisent pas la réalité de la menace pour autant ; il suffit de voir les mesures de sécurité draconiennes prises autour de la conférence de Shangri-La pour en avoir une idée.
Pour M. Ng, le responsable de la défense de la cité-Etat, le danger est d’autant plus grand pour l’Asie du Sud-Est que l’EI a perdu du terrain au Moyen-Orient. Les services de renseignements font état d’une intensification de la coopération entre groupes radicaux des différents pays d’Asie ayant prêté allégeance à l’EI, groupes qu’il estime à une trentaine.
« La porosité des frontières et la densité de la jungle offrent un accès facile et un abri sûr pour leurs camps d’entraînement, a expliqué M. Ng. Si nous laissons ces groupes s’ancrer un peu plus dans cette zone, ils lanceront d’autres attaques. »
Le succès des forces gouvernementales philippines dans la bataille de Marawi est donc crucial pour l’ensemble des pays de la région, qui redoutent de voir les groupes terroristes y installer une base pour déployer leur « califat d’Asie du Sud-Est » et ont compris qu’il leur fallait coopérer davantage pour contrer cette menace.
Contrer les efforts de recrutement
Le responsable philippin a insisté sur la cybersécurité afin de contrer les efforts de recrutement de combattants au-delà des frontières nationales. L’Indonésie, la Malaisie et les Philippines ont décidé l’an dernier de mettre à profit leurs opérations maritimes conjointes contre le piratage pour lutter aussi contre le terrorisme ; des patrouilles communes devraient être menées à partir du 19 juin dans ce but en mer de Sulu.
Sur l’offensive de Marawi, l’aviation indonésienne est venue prêter assistance aux forces philippines pour surveiller les mouvements des groupes terroristes vers l’Indonésie. Et Singapour a offert la coopération de ses services de renseignement. Le ministre indonésien souhaite cependant que Singapour et la Thaïlande s’impliquent davantage dans cette coopération antiterroriste.
Ils ne sont pas les seuls pays concernés. Au Shangri-La Dialogue, l’urgence d’une coopération internationale contre le terrorisme a été soulignée aussi bien par les participants chinois que par le général James Mattis, chef du Pentagone, et le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, et jusqu’au ministre adjoint de la défense russe, Alexandre Fomine.
La menace terroriste a également fait partie des sujets évoqués par la ministre française des armées, Sylvie Goulard, seule ministre européenne présente à Singapour, dans plusieurs des huit entretiens bilatéraux qu’elle a eus, en marge de la conférence, avec ses homologues de la région et avec le premier ministre singapourien, Lee Hsien-long.