Qui est Reality Winner, la jeune femme soupçonnée d’avoir fait fuiter un document de la NSA ?
Qui est Reality Winner, la jeune femme soupçonnée d’avoir fait fuiter un document de la NSA ?
Par Martin Untersinger
La sous-traitante américaine de 25 ans encourt jusqu’à 10 ans de prison : la justice lui reproche d’avoir fourni un document détaillant une attaque russe contre le système électoral américain.
Une photo de Reality Winner, postée sur son compte Instagram. | HANDOUT / REUTERS
Reality Winner rentrait tout juste de vacances au Belize lorsqu’elle a été appréhendée, samedi 3 juin, par des agents du FBI, à son domicile d’Augusta (Géorgie) dans le sud-est des Etats-Unis. Cette native du Texas de 25 ans, employée de Pluribus, une entreprise sous-traitante de la NSA, la puissante agence de renseignement américaine, est accusée par les autorités d’avoir transmis à un média des informations classifiées.
La nature de ces documents et l’identité du média ne sont pas précisées dans le document d’accusation, mais elles ne font guère de doute. Quelques minutes avant que le ministère de la justice n’annonce son arrestation, le site The Intercept a publié un document interne à la NSA révélant une attaque menée, selon l’agence, par les services de renseignement russes contre un fabricant de logiciel électoral.
Une publication qui a fait du bruit, puisque ce document est le premier élément tangible étayant les accusations, formulées en janvier par les autorités américaines, d’une ingérence russe dans la course à la Maison Blanche. Reality Winner a été accusée dans le cadre de l’Espionage Act, un texte du début du XXe siècle – une première sous l’ère Trump. Ce texte a été utilisé une dizaine de fois par l’administration Obama, notamment contre Chelsea Manning, la lanceuse d’alerte dont la peine de prison a été ensuite commuée. En cas de condamnation, Reality Winner encourt une peine de dix ans de prison.
Une « idéaliste » récompensée pour son travail dans l’armée
Dans un portrait, The Guardian décrit une jeune femme « idéaliste », très sportive, adepte de yoga, très proche des animaux et passionnée de la série télé Doctor Who. Après ses études, elle a rejoint l’armée de l’air, où elle est notamment chargée d’écouter et de transcrire les communications interceptées par les services de renseignement. Selon sa mère, elle y apprend le persan (une des principales langues parlées en Iran), le dari et le pachtoune (les deux langues officielles en Afghanistan). Mme Winner est « obsédée par le combat contre l’organisation Etat islamique », explique un de ses amis. Elle travaille dans l’armée de l’air jusqu’en 2016, où elle est récompensée d’une décoration pour la qualité de son travail.
Elle est ensuite engagée chez Pluribus, où ses fonctions ne sont pas connues, en février 2017. La NSA a inauguré dans cette ville un centre spécialisé dans la cryptographie en 2012.
Mme Winner n’a aucune affinité avec le nouveau président Donald Trump. « Une merde », dit-elle en février sur Facebook, selon The Guardian. « Un fasciste orange », tacle-t-elle sur Twitter, toujours en février, au sujet de sa politique migratoire. Pour autant, cette animosité, moins visible à partir de son embauche à la NSA, ne semble pas directement liée avec sa décision – un soupçon à ce stade –, de transmettre le document de la NSA à The Intercept. « Je n’aurais jamais pensé qu’elle soit capable de faire ça. Elle m’a dit qu’elle n’était pas fan de Trump, mais ce n’est pas le genre à participer à des émeutes ou à des grèves », a expliqué sa mère, Biller Winner-Davis, aux caméras de CNN. « C’est une patriote ; la voir calomniée ainsi dans les médias est démoralisant », a expliqué son beau-père, Gary Davis. « Ma plus grande peur, c’est qu’elle n’ait pas un procès juste, qu’on en fasse un exemple », a déclaré sa mère, toujours sur CNN.
Le texte qu’elle est accusée d’avoir enfreint, l’Espionage Act, est extrêmement strict et ne fait pas la différence entre des documents transmis à la presse et des informations communiquées à un Etat hostile aux Etats-Unis. « C’est très difficile pour elle de se défendre puisqu’elle ne pourra expliquer pourquoi elle a fait ça », en vertu de ce texte de loi, a expliqué Nancy Hollander, avocate de Chelsea Manning au Guardian.
Snowden et Assange en soutien
Reality Winner a reçu plusieurs soutiens, notamment celui du lanceur d’alerte Edward Snowden, dans un communiqué :
« Les poursuites judiciaires contre des sources (…) sont une menace fondamentale pour la liberté de la presse. »
« Reality Winner doit être soutenue. C’est une jeune femme accusée d’avoir eu le courage de nous aider à savoir », a estimé, dans un message sur Twitter, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange.
Son arrestation a également nourri les accusations contre le site The Intercept (dont le Monde est partenaire dans l’analyse des documents d’Edward Snowden). Certains l’accusent d’avoir facilité la tâche des autorités pour identifier leur source. Le site a en effet, comme c’est l’usage, fourni à la NSA le document en amont de la publication. En repérant que le fichier fourni était une copie d’un document imprimé, les enquêteurs n’ont eu aucun mal à remonter vers des suspects : seuls six agents ou sous-traitants de la NSA avaient récemment imprimé le document.
Un interlocuteur sollicité par le site d’information pour vérifier l’authenticité du document que le site s’apprêtait à publier a également fourni aux enquêteurs le code postal d’où avait été posté le document. Certains experts ont noté que les autorités chargées de remonter à la source ont aussi pu s’appuyer sur des marques quasiment invisibles laissées par l’imprimante, des petits points jaunes qui permettent de déterminer le modèle et l’heure exacte de l’impression qu’il aurait fallu effacer pour plus de discrétion.
Selon le document d’accusation, Mme Winner a reconnu les faits. Elle va comparaître devant un juge jeudi qui décidera, ou non, de sa remise en liberté conditionnelle.