La première ministre écossaise Nicola Sturgeon vote lors des législatives, à Glasgow le 8 juin 2017. | ANDY BUCHANAN / AFP

L’Ecosse n’est pas (encore) indépendante, mais c’est déjà un monde à part dans le paysage électoral des législatives britanniques du jeudi 8 juin. Alors que dans le reste du pays, l’austérité et la sécurité ont fourni les thèmes dominants de la campagne, les questions du Brexit et d’un éventuel deuxième référendum sur l’indépendance ont agité les débats en Ecosse. C’est aussi un monde à part parce que trois partis principaux – Parti national écossais (SNP), Labour et Tories – s’y opposent au lieu de deux en Angleterre. Le pays, enfin, se distingue parce que les leaders de ces trois formations sont des femmes, dont deux sont homosexuelles.

La région semi-autonome, gérée depuis dix ans par le SNP (indépendantiste) a connu une véritable révolution lors des dernières législatives, en 2015 : le Labour, dont l’Ecosse était un bastion parlementaire depuis des décennies, a été brutalement supplanté par le SNP, qui est passé de 6 à 56 sièges au Parlement de Westminster, où l’Ecosse en dispose de 59. Dans la Chambre des communes sortante, les travaillistes écossais n’ont qu’un siège, tout comme les Tories et les LibDems. C’est dire que le SNP ne peut guère faire mieux qu’en 2015.

Les sondages prédisent que les indépendantistes pourraient perdre jusqu’à une douzaine de sièges ruraux au profit des conservateurs et des Libdems, sans pour autant cesser d’être la force ultradominante de la nation écossaise. Mais la perte possible de la circonscription de Moray, dont le député sortant est Angus Robertson, chef du groupe parlementaire SNP à Westminster, serait symboliquement lourde.

Le Labour et les Tories face aux indépendantistes

Le Labour et les Tories, eux, se battent pour être considérés comme l’opposition au SNP. Les travaillistes écossais, dirigés par Kezia Dugdale, sont à la peine en raison de leur ambiguïté sur l’indépendance. Ils y sont opposés par principe, mais reconnaissent que le Brexit a changé la donne. Au grand dam de Mme Dugdale, le leader national Jeremy Corbyn a affirmé que ce serait « tout à fait bien » d’organiser un second référendum sur l’indépendance, avant de se rétracter. Le parti tente de se refaire une santé en dénonçant la politique d’austérité de la première ministre Theresa May et il est férocement concurrencé sur ce thème par le SNP. Les sondages annocent un mieux pour le Labour, qui pourrait passer de 13 à 25 % des voix et de un à trois députés.

Les conservateurs, traditionnellement marginaux en Ecosse, enregistrent un regain de popularité sous l’impulsion de leur énergique et talentueuse leader, Ruth Davidson, une ancienne journaliste de 38 ans. Celle-ci tente avec un certain succès d’effacer l’image « toxique » dont souffrent les conservateurs en Ecosse pour en faire les champions de la lutte contre l’indépendance et contre la prééminence du SNP et de sa chef de file, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon.

Le message de Mme Davidson est particulièrement bien reçu dans la région des Borders frontalière de l’Angleterre et dans les Highlands rurales. Les Tories, d’après les sondages, pourraient doubler leur part des voix de 2015 (14,9 %) et passer de 1 à 7 sièges, contribuant à la majorité renforcée que revendique Theresa May au plan national. Dans ce cas, ils se substitueraient au Labour comme opposition en Ecosse.

La campagne des législatives en Ecosse, cela a été « le monde à l’envers » : les nationalistes n’ont pas dit un mot de l’indépendance, qui est pourtant leur revendication centrale, tandis que les conservateurs n’ont parlé que de cela, espérant rallier les électeurs agacés par l’obsession indépendantiste de Nicola Sturgeon. Ruth Davidson a mis en exergue les piètres résultats scolaires et sanitaires du gouvernement écossais dirigé par le SNP, qu’elle accuse d’être plus mobilisé pour accélérer la marche vers l’indépendance que pour gérer sainement le pays. Au cours d’un débat télévisé très regardé, face à Mme Sturgeon, une infirmière écossaise a d’ailleurs mis en cause la faiblesse des salaires pratiqués, avouant qu’elle devait avoir recours aux banques alimentaires.

Machine arrière de Sturgeon

La leader des Tories écossais cherche même, paradoxalement, à utiliser le Brexit, contre lequel les Ecossais ont voté à 62 %. Elle tente de faire oublier les positions favorables au « hard Brexit » (rupture nette avec l’UE) de Theresa May, impopulaires en Ecosse, et cible les électeurs qui ont voté pour rester dans l’UE furieux de l’« instrumentalisation » de leur vote par Mme Sturgeon « pour justifier un second référendum » sur l’indépendance. 

La première ministre écossaise elle-même a dû faire machine arrière. Certes, sa rhétorique est inchangée : Londres ne peut pas forcer les Ecossais à sortir de l’UE contre leur gré ; le Brexit repose la question de l’indépendance car « l’Ecosse doit pouvoir choisir son avenir ». Mais, après avoir promis l’organisation d’un nouveau référendum dès 2019, elle a adopté une position plus floue. Elle constate que le Brexit n’a pas, comme elle l’espérait, renforcé la revendication de l’indépendance, et la fin de non-recevoir opposée par Mme May à l’organisation d’un second référendum n’a pas suscité de tonnerre de protestations. Selon un récent sondage, 57 % des Ecossais veulent rester dans le Royaume-Uni (55 % lors du référendum de 2014).

Mme Sturgeon a aussi modéré ses prises de position pro-européennes car elle sait qu’un tiers des électeurs du SNP ont voté pour le Brexit. Son idée, selon laquelle l’Ecosse devrait sortir du Royaume-Uni pour rester dans l’Union européenne, se heurte aussi au fait que le marché britannique pèse quatre fois plus lourd que l’UE dans l’économie écossaise. Reste son opposition très vive au « hard Brexit » défendu par Mme May qui imposerait des droits de douane à l’Ecosse comme à l’Angleterre.

Nul doute que les nationalistes du SNP resteront ultradominants en Ecosse à l’issue des législatives. Nicola Sturgeon s’est imposée comme un animal politique remarquable par son charisme, son éloquence et son ardeur à défendre non seulement l’indépendance, mais également le maintien dans l’UE. Au point que de nombreux électeurs anglais pro-européens regrettent l’absence d’une figure de son envergure pour s’opposer au Brexit en Angleterre.